"Les élus littoraux sont en première ligne face à l’exaspération de leurs administrés"

L’Association nationale des élus des littoraux (Anel) tient du 11 au 13 octobre son congrès annuel à Lorient, sous la bannière "France littorale 2100, les élus en première ligne". Président de l’association, Yannick Moreau, maire des Sables d’Olonne, revient sur les différents défis que doivent relever ces derniers, en pointant singulièrement celui de "l’acceptabilité sociale".

Localtis - L’Anel place son prochain congrès sous le pavillon "France littorale 2100". En octobre 2021, dans son "appel de Pornic", l’association appelait le lancement de travaux de prospective "Littoral 2050" pour permettre l’adaptation des littoraux au changement climatique, au tourisme, etc. Est-ce à dire que les dés sont déjà jetés pour cette première échéance ?

Yannick Moreau - Toutes les cartes, ou presque, sont encore entre nos mains. Comme mes collègues élus, je me refuse au fatalisme ou au catastrophisme. Les élus locaux – et l’appel de Pornic le prouve bien – n’ont jamais abordé la question climatique à travers une approche sensationnaliste ou alarmiste. Force est néanmoins de constater, à la lumière des travaux du Giec, que l’horizon 2100 est une échelle temporelle pertinente. Le plan d’"adaptation" d’une France à +4 °C en 2100, récemment annoncé par le gouvernement [voir notre article du 22 mai], s’inscrit dans cette dynamique et permet d’envisager plusieurs scenarios. Puisque la partie n’est pas jouée d’avance, il nous revient d’anticiper les échéances pour protéger nos populations et nos écosystèmes : c’est tout l’objet du congrès qui s’ouvre à Lorient.

Vous insistez sur la "réalité alarmante" de l’érosion côtière. La loi Climat et Résilience a introduit de nouveaux outils pour y faire face : droit de préemption spécifique, bail réel d’adaptation à l’érosion côtière et nouvelle méthode d’évaluation des biens... Leur déploiement semble tarder. Qu’en est-il et qu’en attendez-vous ?

L’information des acquéreurs et locataires (IAL), obligatoire depuis le 1er janvier 2023 pour les biens immobiliers situés dans une zone susceptible d’être atteinte par le recul du trait de côte, est une évolution louable mais insuffisante. Un effort de sensibilisation des habitants et des acteurs économiques est nécessaire : les élus peinent à avoir un discours audible auprès de ces différents publics sans tomber dans le catastrophisme. Certains acteurs sont encore dans le déni du risque, en investissant dans des biens immobiliers sur le littoral – résidences secondaires, équipements, locaux commerciaux … – avec un objectif de rentabilité à court terme. Certains passagers clandestins pensent également qu’ils pourront compter sur une indemnisation des pouvoirs publics… 

Quel premier bilan tirez-vous de l’installation du Comité national du trait de côte (CNTC), autre nouveauté ?

Je note d’abord que la promesse faite lors du dernier congrès de l’Anel au Grau-du-Roi a été tenue par la secrétaire d’État de l’époque, Bérangère Couillard. Six mois après sa création, le CNTC a prouvé son utilité en rassemblant autour de la table l’ensemble des parties prenantes et en fixant un calendrier clair jusqu’au projet de loi de finances 2025.

Sur la définition d’un modèle de financement des projets de recomposition spatiale des territoires littoraux impactés par l’érosion côtière [ndlr : qui constitue l’une des missions du comité – voir notre article du 16 mars 2023], nous attendons avec impatience la publication du rapport de la mission interministérielle pilotée par l’IGEDD et l’IGA pour avoir une base de travail et de discussion sérieuse, adossée à un inventaire précis des biens exposés au recul du trait de côte aux horizons 2050 et 2100.

L’actualisation de la stratégie nationale du trait de côte, autre mission confiée au comité, a suscité quelques réactions de la part des élus du littoral. L’Anel a insisté pour que les ouvrages de défense contre la mer ne soient pas oubliés de la stratégie. Même si la recomposition spatiale et les solutions fondées sur la nature doivent être soutenues, elles ne peuvent pas être mises en œuvre dans l’ensemble des territoires. Sans ces ouvrages de protection (digues, murs de défenses, enrochements, brise-lames ou perrés), de nombreuses communes – à l’image de Biarritz ou de La Rochelle – risqueraient de sombrer dans l’océan. Idem pour les ports, qui ne sont pas relocalisables dans les zones rétro-littorales.

Même si les données ne sont pas complètement consolidées, plusieurs scenarios prospectifs réalisés par le Cerema montrent qu’un effacement complet de ces ouvrages de génie civile entraînerait des conséquences désastreuses à l’horizon 2100. Sans ces aménagements, l’élévation d’un mètre du niveau marin provoquerait un ennoiement progressif des littoraux français, menaçant jusqu’à 460.000 logements, pour une valeur vénale de 86 milliards d’euros, mais également 55.000 locaux d’activités, 900 campings, 15.000 bâtiments publics, 1.800 km de routes et 500 km de voies ferrées.

L’Anel plaide de longue date pour la création d’un "fonds de solidarité nationale" pour faire face à l’enjeu de l’érosion côtière. Bérangère Couillard a indiqué que des outils financiers seraient déployés à l’horizon 2025. L’échéance sera-t-elle à votre connaissance tenue ? Comment ce fonds serait-il alimenté ? 

À ce stade, nous n’avons aucune raison de douter du cap fixé par le gouvernement.

La position de l’Anel demeure inchangée : les collectivités littorales réclament un fonds de solidarité nationale d’adaptation du littoral au changement climatique. L’Anel propose de destiner une partie du produit de la taxe sur les éoliennes maritimes, prévue à l’article L.1519B du code général des impôts, situées en zone économique exclusive (ZEE) à l’alimentation de ce fonds, qui doit reposer sur une gouvernance partagée et paritaire entre l’État et les collectivités territoriales. L’augmentation du taux de la taxe communale additionnelle sur les droits de mutation perçus sur les transactions immobilières réalisées dans les intercommunalités littorales apparaît également comme un outil fiscal approprié. Certains élus proposent également d’affecter une partie de la taxe de séjour au financement des opérations de recomposition spatiale.

La nouvelle stratégie nationale de la mer et du littoral actuellement en consultation (voir notre article du 19 septembre) vous paraît-elle à la hauteur des enjeux ?

L’Anel s’est battue pour éviter une approche en silos, qui empêche d’appréhender les problématiques littorales dans leur complexité. Avec l’appui de l’association Interco’ Outre-mer, nous avons également insisté pour que chaque objectif de cette nouvelle stratégie comporte un volet ou une "coloration" littoral(e).

Fortes des amendements que nous avons apportés, les lignes directrices de cette stratégie 2023-2029 répondent globalement aux attentes des élus littoraux. Nous veillerons dans les prochains mois à ce que sa déclinaison opérationnelle – dans le cadre de la révision des documents stratégiques de façade et des documents stratégiques de bassin maritime – s’adapte aux singularités des façades et des bassins ultra-marins.

Enfin, j’aimerais mettre en lumière un sujet qui, bien qu’absent de la stratégie, reste en toile de fond de ces sujets brûlants : je veux ici parler de la question de l’acceptabilité sociale. Les élus de terrain que nous sommes sont plus que jamais en première ligne face à des administrés exaspérés qui peinent à se loger sur la terre qui les a vus grandir, qui se désolent de voir les paysages des cartes postales de leur enfance se dégrader en raison de l’implantation d’éoliennes proches des côtes, qui s’inquiètent des difficultés d’accès à l’eau, qui craignent de voir des filières traditionnelles – à l’image de la pêche – disparaître au nom d’une idéologie verte parfois outrancière.

 

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