Congrès de Régions de France - Transition écologique : des territoires qui veulent remettre l'Etat à sa place

Au congrès de Régions de France, à Saint-Malo, les élus locaux ont une nouvelle fois affirmé que la transition écologique passera nécessairement pas les territoires, par ailleurs déjà à l’œuvre. Mais aussi par une coopération avec un État accompagnateur, incarné par les préfets, plutôt que censeur, symbolisé par une administration centrale vilipendée. Aux prises avec des "injonctions contradictoires", ils insistent sur l’enjeu de l’acceptabilité, plaident pour des "objectifs atteignables" et une réglementation "de bon sens".

Comment concilier le développement des territoires et la préservation des ressources naturelles ? Tel était le thème du congrès de Régions de France, organisé ces 27 et 28 septembre à Saint-Malo. Riches, les débats qui s’y sont tenus n’ont pour autant toujours pas permis de résoudre pleinement l’équation. Pour l’heure, une seule certitude semble se dégager, formulée par le président du Sénat : "L’essentiel de la transition écologique se fera sur et par les territoires (…), dans une logique ascendante, ce qui n’exclut pas le nécessaire dialogue entre l’État et les collectivités. L’écologie passe d’abord par le concret, par le projet. La solution viendra de cette proximité avec les citoyens". En pareille situation, Gérard Larcher ne prenait guère le risque d’être contredit. Prenant l’exemple du zonage des politiques de l’habitat, le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, avait peu avant estimé qu’"un maire et son intercommunalité saura toujours mieux le faire qu’un conseiller à Paris sur son tableur Excel". La veille, le président du Medef avait tracé la voie : "Des dispositions trop étatiques, avec des centres de décision trop éloignés, c’est le meilleur moyen de perdre du temps et des moyens".

L’administration centrale vilipendée, l’État déconcentré loué

De manière générale, l’État ne fut pas ménagé pendant ces deux jours. Vice-président de Départements de France, Jean-Léonce Dupont a, par exemple, peu goûté la circulaire sur la territorialisation de la planification écologique invitant à "une prise de conscience collective" des enjeux — une formule pourtant reprise quelques instants après par Élisabeth Borne, expliquant à l’assistance que "les COP doivent permettre une prise de conscience collective de la marche à franchir pour réussir la transition écologique". "Ah bon ? Elle n’est pas déjà faite ? Il faudrait que certains sortent du périphérique ! Je n’ai pas une réunion où l’on ne parle pas de cette problématique. Non seulement on en parle, mais on agit !", s’est emporté l’élu, avant d’égrener les exemples, parmi lesquels le plan adopté par la Dordogne pour développer le photovoltaïque sur ses collèges "dès 2010". 

Les collectivités n’entendent pas jouer solo, mais cherchent un partenaire "accompagnateur, facilitateur, et pas censeur", pour reprendre la description faite par Gérard Larcher. "L’efficacité passe par le travail en commun, y compris, au passage, pour les agences de l’État", affirme, railleur, le président du conseil régional de Bretagne. Ces dernières furent particulièrement dans le collimateur, à commencer par les agences de l’eau. "Un État dans l’État, qui pose des difficultés à l’État lui-même", juge Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. "L’État fonctionne en silos, qui ne communiquent pas", déplore pour sa part Renaud Muselier, rappelant que pendant la pandémie, "l’ARS avait ordre de ne pas parler avec le préfet de région". Ce dernier, comme le préfet de département, a depuis le Covid plus que jamais le vent en poupe. "Je fais plus confiance à un préfet qu’à un responsable d’administration centrale", confesse Xavier Bertrand. Son homologue de la région Paca va plus loin encore, vantant sa méthode : "Je me mets avec le préfet de région et j’obtiens le tampon pour contourner les administrations qui ne veulent pas faire avancer les dossiers".

Retour de balancier ?

De ce congrès, il ressort également que le "tout pour la nature" commence à toucher ses limites, y compris chez ses défenseurs. "Je veux bien entendu protéger les dauphins, mais je veux aussi protéger mes pêcheurs", prévient Loïg Chesnais-Girard. Renaud Muselier donne dans le même registre : "Avec France 2030, j’ai 12 milliards d’euros pour investir sur la zone industrielle et le port de Fos. Mais j’ai la tortue d'Hermann, le pissenlit je-ne-sais-pas quoi…". Dans l’absolu, tous semblent prêts à suivre les préconisations de l’architecte-urbaniste Philippe Madec, qui recommande de "ménager le territoire plutôt que de continuer à l’aménager dans une vision très ponts et chaussées".

Mais les élus soulignent les "injonctions contradictoires" auxquelles ils sont confrontés, dont l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) constitue, selon Xavier Bertrand, "l’exemple-type". "D’un côté, on promeut Choose France, de l’autre on décompte l’industrie verte du ZAN, de même que les véloroutes. Il va falloir remettre du bon sens dans les décrets", implore-t-il. Du "bon sens", il en réclame encore pour la réglementation sur les eaux usées ou pour celle "sur les conditions de délivrance des permis pour permettre de construire en hauteur, ce qui est permis en Belgique, mais pas en France". "Comment réindustrialiser la France si nous n’avons ni retour sur investissement (CVAE), ni liberté de pouvoir accueillir les industries", interroge à son tour André Laignel, premier vice-président de l’Association des maires de France, en alertant sur le fait que le ZAN n’est encore pour nombre de maires "qu’un drone qui plane au-dessus de leur tête", alors que s’installe "une crise massive du logement". "La loi littoral, le ZAN… sont des sources de tracas épouvantables", leur fait écho Huguette Bello, à la tête du conseil régional de La Réunion.

L’enjeu de l’acceptabilité

Patrick Martin, nouveau président du Medef, relève ce changement de perception. "Avec la loi Climat et Résilience, on avait trouvé la pierre philosophale. À l’époque, nous avions émis une voix dissonante, qui avait été balayée". C’est désormais moins le cas. Le chef d’entreprise dénonce plus que jamais la "mauvaise allocation des ressources" qu’elle induit, estimant que "le coût de la tonne de CO2 évitée par les 20 principales mesures de la loi s’élève à environ 800 euros, alors que son prix sur le marché est de 70 euros aujourd’hui". Et de prévenir : "Cette révolution va nécessiter des moyens financiers considérables — un surcroit d’investissements de 40 milliards d’euros par an pour les entreprises — que seule la croissance peut apporter. La décroissance condamne l’acceptabilité de la transition".

Pour les élus, cette acceptabilité reste un véritable sujet de préoccupation, notamment en matière de déploiement des énergies renouvelables (EnR).  Singulièrement dans les Hauts-de-France, qui représente "5,7% du territoire, et 29% des éoliennes terrestres. Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter cela ?", interpelle Xavier Bertrand. Dénonçant "l’abus de faiblesse" dont se seraient rendus coupables des promoteurs profitant des difficultés rencontrées par les agriculteurs, il dénonce un "encerclement" et prévient : "Trop, c’est trop. Un jour, cela va vraiment se passer très mal". 

Lier l’utile à l’agréable, s’en tenir au "maximum du possible"

Reste que la nécessité d’agir demeure : "La France est le pays qui se réchauffe le plus rapidement dans le monde", alerte l’hydrologue Emma Haziza. Elle relève encore que "la tendance s’accélère" et que "contrairement à ce que l’on nous avait expliqué, que le réchauffement viendrait du sud, il n’en est rien. Les périodes d’ensoleillement anormales touchent plutôt les Hauts-de-France que le sud !" Pour elle, le défi majeur, "c’est l’adaptation, le parent pauvre", jusqu’ici victime d’une focalisation trop grande sur l’atténuation. Le relever "demande d’être lucide sur l’état de la situation" ainsi qu’une nécessaire "solidarité territoriale", puisque "nous ne sommes pas égaux face aux ressources".

La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, souligne également la nécessité "d’investir en liant l’utile à l’agréable. Il ne faut pas juste la potion amère", mais mettre en avant que le fait que la transition permet aussi "d’améliorer le confort et la santé des gens, le vivre-ensemble. Le combat pour le climat est plus abstrait". Reste qu’elle souligne que "le chemin est étroit". "En 2030, il va falloir produire vraiment beaucoup plus d’électricité. Le nucléaire, c’est EDF. C’est un projet industriel difficile, coûteux, qui prend du temps, mais on sait faire. Les EnR, c’est notre responsabilité collective", met-elle en garde. Un défi d’autant plus grand qu’il suppose un renversement de modèle, vers un dispositif "décentralisé, avec des consommateurs-producteurs et une multitude de technologies" et qui suppose de "mobiliser tous les territoires disponibles".

Pour Jean-Léonce Dupont, un autre ingrédient s’impose : "Essayons de fixer des objectifs atteignables. J’en ai un peu assez des objectifs merveilleux en termes de communication, mais dont on sait dès leur énoncé que l’on ne les atteindra pas. L’interdiction de location des logements G en 2025, nous savons très bien que ce n’est pas atteignable. Il faut privilégier l’idée du maximum du possible".

 

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