Emmanuel Macron fixe le cap de l'"écologie à la française"
Une écologie à la fois "scientifique, souveraine, créant de la valeur économique, compétitive, planifiée, financée, territoriale et internationale, accessible et juste" : Emmanuel Macron a exposé en conclusion d'un conseil de la planification écologique ce 25 septembre sa vision de l'"écologie à la française". Avec comme principales annonces le financement par l'État, à hauteur de 700 millions d'euros, de 13 projets de RER métropolitains, la priorité donnée au déploiement des véhicules électriques via un nouveau dispositif de leasing réservé aux ménages modestes, le développement d'une filière de production nationale de pompes à chaleur, une reprise de contrôle sur les prix de l'électricité ou encore l'encouragement à la mise en place de budgets verts territoriaux.
Après avoir vanté la veille à la télévision une "écologie à la française", "qui n'est ni le déni", "ni la cure qui consiste à dire 'ça va être un massacre'", Emmanuel Macron a détaillé sa vision ce 25 septembre en conclusion d'un conseil de la planification écologique réunissant à l'Élysée Élisabeth Borne et plus d'une quinzaine de membres du gouvernement. Il s'agissait pour le chef de l'État de valider le plan préparé par le Secrétariat général à la planification écologique. Déjà publié dans ses grandes lignes en juillet (voir notre article du 31 juillet 2023), celui-ci vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) de la France de 55% en 2030 par rapport à 1990.
"Fruit de quatorze mois de travaux, largement débattu", ce "très bon travail" selon le qualificatif employé par le chef de l'État, se veut une réponse "au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, à la fin de l’abondance et la rareté de nos ressources : eau, matériaux et terres rares". Il s'est posé en défenseur d'une "écologie scientifique, souveraine, créant de la valeur économique, compétitive, planifiée, financée, accessible et juste, territoriale et internationale" mais aussi "une écologie qui protège les Français et la nature".
Réduction des gaz à effet de serre : "aller deux fois plus vite"
Pour tenir les objectifs de diminution des émissions de GES, il faudra "aller deux fois plus vite", a martelé Emmanuel Macron. L'"écologie souveraine" vise à réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles — charbon, pétrole et gaz, dépendance qui coûte chaque année au pays "120 milliards d'euros", a appuyé le chef de l'État. Avec ce plan, il s'agit de passer d’un mix comprenant "60 % d’énergies fossiles" à "40 % en 2030". "D’ici au 1er janvier 2027", a affirmé le président de la République, le pays sera sorti du charbon pour sa production d’électricité. Emmanuel Macron a aussi annoncé la mise en consultation de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) "dès octobre", ainsi que des réunions politiques sur le déploiement de l’éolien en mer en "octobre et novembre" "qui permettra de lancer le débat public sur l'éolien en mer, et qui nous permettra de tenir l'objectif des appels d'offres sur l'éolien en mer à horizon fin 2024".
Il a également annoncé "une loi sur la production d’énergie pour décembre". Cette dernière sera composée de trois volets principaux, a précisé l'Elysée. Le premier volet permettra de "donner un ordre de grandeur acceptable" pour le prix du mégawattheure d’électricité, "plus proche de 60 que de 100 euros", afin de "protéger les consommateurs individuels et les industriels", sans attendre la réforme du marché de l’électricité en discussion au niveau européen. Le gouvernement entend ainsi se fonder sur un récent rapport de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur le coût de production de l'électricité par le parc nucléaire actuel pour les 20 prochaines années (lire notre article). Les deux autres volets de la loi porteront sur les nouveaux régimes de concession pour l’hydroélectricité ainsi que sur les objectifs d’évolution du mix énergétique sur la période 2024-2028 et 2029-2033. Interrogé par la presse, l’Élysée a en outre précisé que les budgets carbone seront présentés dans les "prochains jours" dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone qui sera, elle aussi, mise en consultation.
Une "stratégie industrielle" à la clef
Cette écologie doit créer "de la valeur économique", a plaidé Emmanuel Macron. C’est une "stratégie industrielle", "du made in Europe", une "bonne stratégie économique et de pouvoir d’achat dans la durée". Ainsi, les 50 grands sites industriels les plus émetteurs sont tous dotés de plans de décarbonation, qui seront signés "fin octobre, début novembre". Cette mesure a vocation à "s’étendre aux PME et entreprises de taille intermédiaire", a ajouté le chef de l'État. Il a également mentionné un "grand inventaire des ressources minières" qui va être lancé afin de "sécuriser la souveraineté" du pays vis-à-vis des matières premières "nécessaires à la transition écologique" tels que le lithium ou le cobalt. L’objectif est aussi de "regarder les gisements d’hydrogène naturel" et de déployer les "technologies de rupture" – hydrogène, capture et séquestration de carbone. Pour cette dernière, "une consultation est en cours", à l’issue de laquelle le gouvernement entend "développer au moins un site en France".
En matière de transports collectifs, le président de la République a centré sa présentation sur le développement des RER métropolitains, un "chantier à la fois d'aménagement du territoire (…)" et "industriel qui représentera 10 milliards d'euros". 13 projets ont été retenus pour lesquels l'État s'engage "dès aujourd'hui" à hauteur de 700 millions d'euros. "On aura (…) dès octobre la signature des contrats de plan État-région, le déploiement des financements sur ces 13 premiers projets en même temps que le plan ferroviaire", a-t-il dit. L'autre "grand sujet" sur les transports est la voiture électrique, a-t-il souligné, l'objectif étant que la France en produise un million d’ici à 2027 et devienne également à cette date exportatrice de batteries de recharge grâce à ses quatre sites de production installés "de Dunkerque à Douai".
"Cette écologie créatrice de valeur économique, nous la voulons aussi pour le logement", a soutenu Emmanuel Macron. Alors qu'il avait confirmé la veille renoncer à bannir les chaudières à gaz pour ne pas laisser les zones rurales "sans solutions", il a fixé l'objectif de produire "un million de pompes à chaleur" par an dans le pays d'ici 2027, soit le triple du niveau actuel. "30 000 installateurs" seront également formés.
En cette rentrée dominée par l'inflation, il a aussi abordé un sujet particulièrement sensible, le prix de l'électricité. En octobre, il annoncera une reprise "du contrôle", pour avoir des prix "qui vont donner de la visibilité à la fois aux ménages et à nos industriels" tout en étant compétitifs au niveau européen.
Trajectoire pluriannuelle des financements
Emmanuel Macron a ensuite vanté une "écologie planifiée et financée". Le plan sera financé en 2024 à hauteur de 7 milliards d'euros, comme détaillé par Matignon la semaine dernière (voir notre article), et le financement de la transition écologique passera ainsi "au niveau de l’État", de "33 milliards d'euros en 2023 à 40 milliards d'euros en 2024". Pour "consolider" la trajectoire pluriannuelle des financements, il veut "mieux mobiliser" la Caisse des Dépôts, et "développer une méthodologie commune avec les collectivités territoriales pour qu'elles se dotent aussi de budgets verts avec des critères homogènes".
Emmanuel Macron a appelé à "une politique européenne cohérente avec cette approche", affirmant qu’il "ne peut y avoir une transition écologique et une vraie stratégie européenne s’il n’y a que de la réglementation et pas d’investissements". Selon lui, l’Union européenne doit investir davantage pour "défendre une écologie compétitive" et "tenir face à la Chine et aux États-Unis".
"Écologie accessible"
Le chef de l'État évoque en outre "une écologie accessible et juste qui ne laisse personne sans solutions". Il a d'abord cité l'ouverture en novembre des pré-réservations pour le leasing de voitures électriques à 100 euros par mois, qui démarrera avec seulement quelques dizaines de milliers de véhicules en 2024 pour laisser le temps à la filière européenne de monter en puissance face aux modèles chinois. Dans le bâtiment, MaPrimeRénov' va "continuer sa réforme et sa transformation" et sera accompagnée "dès octobre" d’une mesure ciblant le logement social, afin d'"accompagner les bailleurs sociaux et les acteurs structurants pour rénover le parc plus rapidement".
L’accompagnement concerne également les agriculteurs. Le plan vise à "baisser de 30% [la] dépendance" du pays aux produits phytosanitaires, a expliqué le président qui a évoqué une "stratégie d’investissement dans la recherche". Il a affirmé rejeter toute "surtransposition", n’acceptant aucune "différence entre pays européens". Le but est de "ne pas perdre" en matière de compétitivité économique, a-t-il soutenu.
Territorialisation du plan
Enfin, il a rappelé que ce plan sera territorialisé, "dès octobre, dans chaque région", via notamment le tour de France de l’écologie dont Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, est chargé (lire notre encadré). Le but : décliner les objectifs nationaux, "intangibles", mais donner au niveau des territoires "une liberté sur les moyens et le chemin à atteindre", avec des indicateurs et des responsabilités clairement établies". La stratégie permettra également de "distinguer ceux qui sont engagés et ont des résultats et ceux qui décident de ne pas jouer le jeu", estime-t-il. "Et donc nous allons mettre en place des budgets verts territoriaux, des vraies libertés d'action mais en même temps des objectifs clairs et des responsabilités partagées au niveau des territoires, a-t-il précisé. La maille est régionale mais c'est au fond chaque bassin de vie qui sera responsabilisé et donc nos communes auront un rôle très important à jouer. Nos intercommunalités d'agglomération et évidemment les départements seront insérés dans ce jeu avec un accompagnement en matière d'ingénierie territoriale pour que les bonnes réponses soient apportées sur le terrain".
Intercommunalités de France a salué dans un communiqué ce 26 septembre "la prise de conscience au plus haut sommet de l’État de l’impérieuse nécessité de la territorialisation de la transition écologique, notamment à l’échelle de chaque 'bassin de vie', et donc des intercommunalités. "La responsabilité que le Président veut donner aux territoires va dans le bon sens", estime l’association qui plaide pour que les contrats de relance et transition écologique (CRTE), signés à l’échelle des intercommunalités, "soient le cadre de la territorialisation des objectifs partagés de la planification écologique. Au vu de l’urgence d’agir, il s’agit désormais aux ministères de se mettre d’accord rapidement pour une nouvelle génération de CRTE", souligne-t-elle.
De la part des spécialistes de l'environnement, le plan présenté par Emmanuel Macron a reçu un accueil plutôt mitigé. "C'est un bon signal qu'Emmanuel Macron parle enfin d'écologie juste", a réagi Anne Bringault, du Réseau Action Climat (RAC). "Mais il faudra du concret, comme un reste à charge à 0 EUR" sur la rénovation pour les ménages modestes et l'application du "principe pollueur-payeur avec une fiscalité sur le transport aérien (...) pour financer le train". "Nous attendions un moment de vérité, le président s'est contenté de donner un calendrier", a déploré Jean Burkard, du WWF France, réclamant de "décourager les SUV", "remettre la protection de la biodiversité au coeur" de nos choix agricoles et rétablir les puits de carbone. "Il n'y a pas vraiment d'annonces nouvelles et même parfois des annonces en trompe-l'oeil, comme la sortie du charbon" en 2027, "initialement prévue en 2022", a regretté Andreas Rüdinger, spécialiste énergie de l'IDDRI. Il déplore une "vision productiviste de l'écologie", sans échéance sur la nécessaire "sortie des énergies fossiles dans le chauffage et les transports".
Au lendemain de la présentation par Emmanuel Macron de la planification écologique de la France jusqu’en 2030, Christophe Béchu a annoncé ce 26 septembre qu’il entamait dès cette semaine un "tour de France de l’écologie". L'idée est de "faire vivre la planification de deux manières : en la territorialisant mais aussi en l’expliquant, en l’approfondissant et en l’enrichissant", a indiqué le ministre de la Transition écologique. La territorialisation représentera "la part la plus institutionnelle" de la démarche, et s’appuiera sur "la présentation de diagnostics d’émissions arrêtés au 1er janvier de cette année et sur les cibles à atteindre", en mobilisant les collectivités territoriales, "en particulier à l’échelle régionale", a-t-il détaillé. En parallèle, "l’idée est d’aller en direct à la rencontre des Français", poursuit-il, pour "que la planification ne soit pas l’otage des populismes" et "pour apporter des explications et aller chercher des solutions" car selon lui, certains veulent "transformer l’écologie en carburant des extrêmes" et "l’approche des élections européennes" accentue le phénomène. Le coup d'envoi de ce tour de France sera donné en Bretagne. Ce 28 septembre, après avoir accompagné la Première ministre à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) au congrès de Régions de France, Christophe Béchu se rendra à Auray (Morbihan) pour "débattre des biodéchets avec les élus de la communauté de communes" puis à Arradon où se tiendra une réunion publique. Le lendemain, il sera à L’Alpe-d’Huez (Isère) "avec les maires ruraux réunis en congrès, pour débattre notamment du ZAN". Le 5 octobre, il se rendra dans le Pas-de-Calais, à l’invitation des 900 maires du département réunis autour des problématiques de la gestion de l’eau. "Avec Sarah El Haïry [secrétaire d'État chargée de la biodiversité], nous y ferons un bilan de la mise en œuvre du plan eau", indique-t-il. Le 6 octobre, il rencontrera 200 élus du Maine-et-Loire, réunis au sein du Forum des territoires, puis 600 cadres territoriaux de la communauté urbaine d’Angers lors d’une session de formation à la transition écologique. Le 12 octobre, il participera au congrès annuel d'Intercommunalités de France à Orléans avant d'aller le lendemain à Lorient pour parler érosion du trait de côte et stratégie d’adaptation au changement climatique. Il sera ensuite en Alsace la semaine du 16 octobre. "La territorialisation reposera, elle, sur des conférences des parties (COP) régionales qui devront être organisées d’ici à la fin de l’année", a-t-il ajouté. L’idée consiste à "mettre en face de chaque objectif, comme la réduction de telles émissions ou la restauration de tels écosystèmes, des moyens", ce qui permettra d'"assurer le financement des mesures et leur mise en œuvre sur le terrain dans des délais rapprochés". Ces COP, qui "devront être organisées d’ici à la fin de l’année", seront "coprésidées par les présidents de région et les préfets". Une circulaire précisant leur organisation sera "envoyée dans les prochaines heures ou les prochains jours" aux préfets, "tout en laissant une part de souplesse à ce binôme exécutif". Si plusieurs COP ont déjà été organisées au niveau régional, notamment en Bretagne celles-ci étaient "organisées dans des couloirs", estime le ministre et "il n’y avait pas d’articulation entre la stratégie nationale et sa déclinaison dans les territoires". La région n’est par ailleurs que "la porte d’entrée" de cette territorialisation, qui devra aussi infuser les départements, les intercommunalités et les communes, etc. "Sur les transports, les déchets, l’économie circulaire, l’eau, la lutte contre l’étalement urbain, l’adaptation au changement climatique et la renaturation des villes, on a besoin des collectivités et on ne doit pas s’arrêter aux régions", prévient Christophe Béchu. |