Congrès de Régions de France : la vague de la décentralisation grossit, la digue étatique tient ferme

Clôturant le congrès de Régions de France ce 28 septembre, la Première ministre est venue à Saint-Malo les mains vides. Elle n’a par ailleurs guère saisi la "main républicaine" tendue à la fois par Carole Delga et Gérard Larcher l’invitant à un choc de décentralisation naguère promis par le président de la République. Si Élisabeth Borne a vanté la "différenciation", il est douteux que la réponse satisfasse des collectivités plus que jamais lasses d’être "dépossédées et corsetées".

"Je ne viens pas faire de grandes annonces". Clôturant ce 28 septembre le congrès de Régions de France à Saint-Malo, la Première ministre a d’emblée indiqué la couleur : elle est venue les mains vides. Dans un discours singulièrement concis, la cheffe du gouvernement s'est pour l’essentiel tenue à réaffirmer son engagement "de toujours dialoguer" avec les collectivités, qu’elle avait pris l’an passé au congrès de Vichy. 

Contexte pesant

Dans l’Allier, Élisabeth Borne, alors fraîchement nommée à Matignon, avait emporté la conviction au bénéfice du doute (voir notre article du 16 septembre 2022). Cette fois, ce dernier ne lui aura pas profité. Le contexte ne s’y prêtait guère. La présentation la veille du projet de loi de finances pour 2024 (voir notre article du 27 septembre) a aiguisé les rancoeurs (voir notre article du 26 septembre). "Nous perdrons au bas mot en pouvoir d’action 5,5 milliards d’euros en 2024. Je suis à disposition de tous les ministres pour faire vérifier mes chiffres, dont j’ai la certitude qu’ils sont exacts", alertait quelques instants plus tôt André Laignel, premier vice-président de l’Association des maires de France et président du comité des finances locales. "Ligoter, asphyxier les régions, quel intérêt, alors que vous avez besoin de nous ?", interroge Carole Delga, présidente de Régions de France.

L’annonce il y a peu par le président de la République d’un passe rail (voir notre article du 5 septembre) n’est également toujours pas passée. "Quel sens a cette annonce non concertée ? Commençons par travailler avant de faire des annonces", implore la présidente de la région Occitanie (voir notre encadré). Non sans recevoir ici le soutien du président du Sénat : "Travaillons en amont des prises de décision. Les élus locaux n’en peuvent plus de découvrir à travers des vidéos sur internet ou des interviews sur YouTube des décisions (qui les affectent)", s’insurge Gérard Larcher. 

Également restée en travers de la gorge des régions, la récente déclaration d’Emmanuel Macron au 20h00 du 24 septembre dernier indiquant "qu’un quart" de la taxe sur les carburants, "ce sont les régions". "S’il veut nous donner 25%, qu’il n’hésite pas !", s’exclame Carole Delga.

Une main tendue… dans le vide ?

Par ailleurs, "la main républicaine, bienveillante, qui caresse", tendue par Carole Delga, puis par Gérard Larcher, est au pis restée dans le vide, et a été au mieux saisie d’une main molle. Face à la proposition d’organisation d’"assises de la mobilité ferroviaire et de l’intermodalité" formulée par la première, Élisabeth Borne est restée muette. Et la Première ministre n’aura guère été plus diserte sur l’appel à un "choc de décentralisation" formulé par les deux élus. "Et si vous nous faisiez confiance ?", invitait en ouverture Carole Delga, invitant dans un "appel de Saint-Malo" à un "nouveau souffle". Il est vite retombé.

Certes, la Première ministre a mis en avant la volonté de son gouvernement "de tenir compte des spécificités de chaque région", rappelant qu’elle avait demandé aux préfets de "lui faire remonter les attentes en matière d’expérimentation, de déconcentration, de différenciation, de dérogations". Certes, elle a annoncé le lancement aujourd’hui de "COP territoriales", chargées de "territorialiser la planification écologique" et qui "seront co-animées par les présidents de région et les préfets de région", comme déjà annoncé par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu (lire l'encadré de notre article). "État et régions, ensemble nous déciderons, de la forme, des séquences, de la méthode et des modalités de débat", a détaillé Elisabeth Borne qui signera une circulaire précisant les modalités du déploiement de ces COP, s'appuyant "sur l'existant".

Mais ces réponses ne sont visiblement pas à la hauteur des attentes. Lasse que "notre action (soit) entravée souvent, que notre pouvoir d’agir (soit) restreint, corseté, paralysé", Carole Delga implore l’État de redonner aux collectivités autonomie fiscale, autonomie de gestion et autonomie réglementaire, "l’inverse de l’inflation normative qui paralyse l’action des collectivités territoriales" récemment mise en relief par la sénatrice Françoise Gatel (voir notre article du 26 janvier).

La vague décentralisatrice grossit

Si cette revendication décentralisatrice est ancienne, elle se fait grandissante. Pour Carole Delga, elle est d’autant plus nécessaire au moment où "la France est menacée dans ses fondements républicains". Après la Cour des comptes (voir notre article du 10 mars) et le Sénat (voir notre article du 6 juillet), la région Île-de-France a adopté le 20 septembre une saisine de l’État pour un "choc de décentralisation" dans son ressort — le transfert de 45 compétences nouvelles —, fière de devenir ainsi "la première collectivité à utiliser ce nouveau droit de saisine de l’État". Et profitant de la venue de la Première ministre sur ses terres, le président de la région Bretagne a remis à Élisabeth Borne les propositions de sa région en la matière, formulées dans un rapport récemment présenté par un groupe de travail transpartisan aux termes de 18 mois de travaux.

Pour l’heure, les velléités décentralisatrices du président de la République (voir notre article du 10 octobre 2022) restent toutefois sans lendemain, comme l’a souligné Gérard Larcher. Ce dernier a donc décidé de prendre les devants : "Nous traduirons très prochainement en proposition de loi nos propositions pour rendre aux élus locaux leur pouvoir d’agir, en donnant tout son sens au principe de libre-administration, et avec pour mot d’ordre la simplification", annonce-t-il. "Pas un big bang territorial auquel personne ne tient", mais en donnant corps au principe de subsidiarité "cher à David Lisnard, Aristote ou Thomas d’Aquin", précise-t-il. Mais non sans fixer la limite, au moment où le président de la République promet davantage d’autonomie pour la Corse : "Le Sénat sera toujours garant de l’unité de la République. Que chacun le sache !" 

 

  • Pas de mer d’huile pour le "comité État-régions des mobilités"

"J’ai cru comprendre qu’il y avait encore quelques aiguillages à passer", a raillé Gérard Larcher ce 28 septembre, en évoquant le projet de passe rail national souhaité par l’État. C’est peu dire. La veille, l’ensemble des présidents de région — à quelques exceptions, dont Valérie Pécresse, retenue au Canada — s’étaient réunis avec le ministre chargé des transports pour un premier "comité État-régions des mobilités", au sein duquel la question fut vivement débattue. En conférence de presse, les acteurs ont fait bonne figure. "Il était inutile d’en rajouter après 1h30 d’explication de gravure", confesse un participant. Aux termes des discussions, il a été acté qu’"une mission commune sera constituée pour élaborer différents scénarios et avoir les paramètres d’ici la fin de l’année", indique Clément Beaune. Il y a urgence, puisque le ministre juge "souhaitable " que ce passe "commence à fonctionner dès l’été prochain", avec "un prix attractif". "L’État prendra sa part", a-t-il assuré.

Mais les obstacles restent nombreux. D’un même élan, tous les intervenants ont déclaré qu’un tel passe était "impossible sans l’Île-de-France". Or Valérie Pécresse a indiqué le 26 septembre qu’un tel dispositif était "radicalement impossible en Île-de-France". Plus encore, les régions conditionnent sa création à une traduction concrète du plan de 100 milliards d'euros pour le ferroviaire annoncé par la Première ministre (voir notre article du 24 février), qui tarde à prendre forme et que Carole Delga invite à "prendre à bras-le-corps". "On ne peut pas se permettre une mesure gadget", alerte Carole Delga, pour laquelle une telle offre tarifaire suppose en amont "un redimensionnement des infrastructures et du matériel roulant". "Il ne peut pas y avoir de politique de demande sans politique d’offre", convient le ministre. Aussi Clément Beaune s’est-il déclaré "ouvert à ce que dans le cadre du comité État-régions des mobilités, soient mis à plat les modèles de financement". Il a également rappelé qu’il avait "lancé avec Bruno Le Maire il y a 15 jours une mission pour étudier les différents modèles possibles" de péages ferroviaires. Pas sûr que cela suffise à rassurer et calmer les esprits. D’autant qu’outre-Rhin, le passe ferroviaire à 49 euros dont s’est entiché le ministre voit ses bases ébranlées. Côté régions, on relève en effet que l’Allemagne constate qu’il ne suscite pas le report modal escompté et commence à toucher les limites budgétaires de l’exercice.

 

 

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