Mer et littoral : le Cese plaide pour une nouvelle stratégie s’adressant en priorité aux acteurs des territoires
Alors que la deuxième stratégie nationale pour la mer et le littoral se profile, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) entend peser sur sa définition. Estimant "médiocre" le bilan de la première édition, la troisième assemblée plaide singulièrement pour une sobriété des usages allant "bien au-delà du monde maritime". Elle invite également à revoir la gouvernance de la mer et à renforcer la cohérence des services de l’État et des politiques publiques.
Alors que le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML), réuni le 11 mai dernier, a émis un avis favorable à l’avant-projet du nouveau cru de stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML 2), le Conseil économique, social et environnemental (Cese) entend bien peser sur cette dernière. Après s’être autosaisi du sujet, il vient d’adopter le 24 mai (114 pour, 1 abstention, 0 contre) l’avis rédigé par Catherine Guerniou (membre désigné par la Confédération des petites et moyennes entreprises) et Élodie Martinie-Cousty (désignée par France Nature Environnement), qui ne ménage guère l’exécutif.
Jugeant "médiocre" le bilan de la SNML 1 – dont la France s’est dotée en 2017 (voir notre article du 27 février 2017) via la loi Grenelle 2 (voir notre article du 17 février 2012) – notamment en ce qu’elle n’a pas permis d’atteindre le bon état écologique des eaux, les auteures appellent "des progrès majeurs indispensables, d’autant que le développement de l’éolien en mer […] augmentera les pressions".
Réduire les pressions en mer…
Ces progrès passent selon elles prioritairement par une sobriété maximum des usages, en allant "bien au-delà du monde maritime". Ce dernier doit évidemment faire sa part. Avec la décarbonation du transport maritime (accroissement du nombre de zones à émissions contrôlées, lutte contre les pollutions par rejets accidentels et volontaires, renforcement de la réglementation sur la surveillance des conteneurs perdus…), l’évolution des techniques et modalités de pêche ou encore en appliquant le principe de précaution en mer. Pour le Cese, la SNML 2 devrait ainsi intégrer les cas pour lesquels ce principe doit s’imposer. L’assemblée propose également de "créer de nouvelles aires marines protégées intégrales ou strictes sur le côtier et au large pour compenser – a priori – les impacts du déploiement industriel des énergies marines renouvelables" ou encore "de compenser les impacts de la pêche par des sites naturels de compensation où il faudra restaurer les habitats".
… sur le littoral…
Cette sobriété est également jugée indispensable sur le littoral, qui "attire toujours" et sur lequel "l’urbanisation s’est développée quatre fois vite que sur tout autre territoire français". Le Cese estime "prioritaire pour les collectivités de réduire principalement les pressions sur la bande côtière sur-fréquentée (1 km de part et d’autre de la limite des plus hautes eaux)". Il recommande notamment que l’ensemble des Scot [schémas de cohérence territoriale] littoraux travaillent sur leurs capacités d’accueil et les fassent viser par l’autorité environnementale, les Scot devant en outre être adossés aux documents stratégiques de façade avant que ceux-ci ne soient validés fin 2024. Le Cese appelle au-delà à "l’accélération de la désartificialisation des littoraux" ainsi qu’à l’amplification de l’acquisition d’espaces naturels sensibles opérée par le Conservatoire du littoral et des départements, notamment via "le versement intégral de 100% du montant de la taxe déjà affectée du Taemup [taxe annuelle sur les engins maritimes de plaisance, nouveau nom du droit annuel de francisation et de navigation et du droit annuel de passeport] et de la moitié des 50% de la taxe éolienne dévolue aux collectivités en covisibilité".
… et bien au-delà
Les auteures insistent toutefois sur la nécessité que cette SNML 2 "s’adresse en priorité aux grands acteurs politiques des régions et des grandes métropoles qui sont à l’origine des principales pressions", mais qui ne sont pas nécessairement proches de la mer. Le Cese préconise notamment que les objectifs environnementaux des documents stratégiques de façades s’imposent aux schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet), schémas d'aménagement régional (SAR), Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc), plans climat air-énergie territoriaux (PCAET) et Scot, "en incluant la charge de la preuve de toutes les activités terrestres à impact avec des indicateurs […], avec avis conforme des préfets maritimes […] ainsi que des parcs naturels marins", notamment pour l’autorisation de mise sur le marché de produits phytosanitaires ayant un impact démontré sur les eaux douces et côtières.
Si le Cese souhaite "que les sources de pollutions marines soient mieux prises en considération dans leur ensemble" (industrie, structures hospitalières, collectivités, particuliers…) – et plus généralement que tous les secteurs économiques soient "mis à contribution et les particuliers sensibilisés [à] la fragilité des milieux marins" –, l’accent est mis sur l’agriculture. "Il est fondamental que le plan Phyto 2030 tienne enfin ses promesses", tonne le rapport, s’interrogeant notamment sur les modalités qui "permettent au seul ministre de l’agriculture de prendre des décisions à impacts avérés pour l’eau douce et le milieu marin" (dans le viseur, "l’utilisation jusqu’à fin 2024 des stocks du S-métolachlore").
Concrètement, le Cese recommande qu’un guichet unique pour toute activité pouvant avoir un impact sur le milieu marin soit déployé aux seins des directions interrégionales de la mer. Ces dernières devraient en outre être dotées de compétences plus "transversales", notamment pour débattre "avec les exécutifs régionaux et départementaux". Il demande encore que "tous les ministères et services de l’État et des collectivités territoriales délivrant des autorisations d’activités terrestres, littorales et marines [intègrent] la méthode ERC" (éviter, réduire, compenser).
Casser les silos, améliorer la représentativité
Le Cese préconise également une évolution de la gouvernance. Alors "que la France compte au moins dix ministères ou secrétariats d’État dont les décisions ont un impact sur la mer", il propose "que les enjeux de la mer et des activités maritimes se retrouvent mieux traités […] au sein d’un grand ministère d’État du développement durable, comme en 2009 au moment du Grenelle de la mer". Car si "tous les services et directions au sein des ministères sont censés travailler ensemble de façon transversale", le rapport constate "dans la réalité" un "manque de cohérence d’ensemble" et des services "déconnectés", avec une "répartition des compétences en silos" depuis le remaniement ministériel de juillet 2020.
Il déplore également un CNML, réinstallé le 5 décembre dernier (voir notre article du 6 décembre 2022), "principalement à la main du secrétaire d’État à la mer" et "qui peine à jouer son rôle de conseil" : "Aucun texte [ne lui est] soumis pour avis obligatoire [pas même la loi sur l’accélération des énergies renouvelables], sauf la SNML qu’il aura pourtant contribué à écrire…" (voir notre article du 20 mai 2022). Le Cese suggère en conséquence de le placer sous la tutelle conjointe des ministères de la biodiversité, de l’énergie, de la mer et de l’outre-mer, avec un secrétariat dédié de l’Office français de la biodiversité.
La troisième assemblée souhaite également voir la composition du CNML réformée, "avec une forte intégration des collectivités d’outre-mer, des grandes métropoles ou des représentants des régions en tête de bassin". De même, le rapport "s’interroge" sur le "manque de représentativité effective" de l’Association nationale des élus du littoral (Anel) d’une part, et du Comité national des pêches et élevages marins d’autre part (CNPEM).
Manque de suivi et de cohérence
Le Cese tance également l’exécutif et le Parlement. "Après cinq années de mandat" [présidentiel], et presque autant de réunions du Comité interministériel de la mer (Cimer), il observe ainsi qu’"aucun ministre ou service interministériel n’a fait l’inventaire régulier de l’effectivité des mesures et de leur mise en œuvre, ainsi que de leurs résultats, pas plus que ce qu’elles ont coûté en termes de mesure, ni ne les a classifiées en mesures plutôt ‘grises’ ou plutôt ‘vertes et bleues’".
Il dénonce encore le fait que "la planification écologique de la mer n’a toujours pas démarré", regrettant "qu’à ce stade" le secrétariat général à la planification écologique ne soit pas associé à la coconstruction de la SNML 2".
Il estime au-delà que le manque de cohérence dépasse le seul cadre de la mer. Évoquant la loi sur la reconquête de la biodiversité de 2016, la loi Climat et Résilience de 2021 ou encore la récente loi d'accélération des énergies renouvelables, il conclut : "Bavards, trop nombreux, se contredisant pour la plupart à quelques mois d’intervalles, ces textes de loi sont peu appliqués, encore moins financés dans leur mise en œuvre avec les acteurs locaux. Il n’existe à ce jour pas d’harmonisation et de cohérence pour un réel équilibre entre enjeux du climat, enjeux de biodiversité et enjeux sociaux dans toutes nos politiques publiques."