Rentrée des classes 2018 - Les dédoublements des classes en REP sont-ils responsables des fermetures des classes rurales ?
Comme tous les ans en cette période de l'année, les recteurs d'académie procèdent, pour chaque département, aux répartitions de postes de professeurs des écoles pour la rentrée prochaine, à partir des enveloppes transmises par le ministère de l'Education nationale (voir encadré). Et comme chaque année, les arbitrages ne plaisent pas à tout le monde (voir nos articles ci-dessous du 7 février 2017 et du 11 février 2016). Une nouveauté est toutefois apparue dans le débat 2018 : le nouveau dispositif de dédoublement des classes de CP et CE1 dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) est accusé d'aspirer les postes d'enseignants au détriment des territoires ruraux. Ce lien de cause à effet, dénoncé pour la première fois par l'Association des maires ruraux de France dans un communiqué du 23 janvier dernier, le gouvernement ne veut pas en entendre parler. Jean-Michel Blanquer entend défendre deux politiques volontaristes menées de front, l'une dans les REP, l'autre dans les territoires ruraux.
"Nous avons une stratégie rurale qui s'affirme dans chaque département de France",
"Les premiers retours des dédoublements des classes de CP (ndlr : mis en place dans les REP+ à la rentrée 2017) sont excellentissimes", a-t-il déclaré le 31 janvier à l'Assemblée nationale, à l'occasion des questions au gouvernement. Ce qui n'empêche pas que, par ailleurs, "nous avons une stratégie rurale qui s'affirme dans chaque département de France", a-t-il répondu à la député (LFi) de l'Ariège Bénédicte Taurine, qui lui reprochait d'utiliser les effectifs des enseignants des écoles rurales comme "variable d'ajustement" pour abonder les nouveaux besoins en enseignants consécutifs au dédoublement des classes en REP.
Un raisonnement jugé "démagogique" par le ministre au sens où "chaque année, par définition, il y a des écoles qui ferment et des écoles qui ouvrent". En l'occurrence, "nous avons créé 3.000 postes dans le 1er degré, alors qu'il y a une baisse démographique, donc en équivalent c'est beaucoup plus que 3.000 postes", a précisé Jean-Michel Blanquer. "Nous devrions, si nous tenons compte de la démographie, supprimer des postes. Non seulement nous n'en supprimons pas mais nous en créons !", a-t-il ajouté. "Nous avons une politique volontariste pour les départements ruraux. Cette politique volontariste se traduit en ce moment même par des classes qui ne seront pas supprimées alors qu'en temps normal elles l'auraient été. Nous avons une stratégie rurale qui s'affirme par des contrats dans chaque département de France", a-t-il rappelé, faisant référence aux contrats ruralités qu'il entend renouveler et développer.
Même réponse quelques jours plus tard, le 7 février, au député LR du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, à la suite de quoi le parti Les Républicains a suggéré d' "instaurer un moratoire sur la fermeture de classes dans les zones rurales".
La conférence nationale des territoires avait annoncé un "plan d'action"
L'idée n'est pas nouvelle. Le 17 juillet dernier, lors de la conférence nationale des territoires, Emmanuel Macron avait annoncé un "plan d'action conjoint entre l'Etat et les territoires" en faveur de l'école rurale, construit sur la base d'une "évaluation partagée des besoins" qui serait conduite "d'ici à la fin de l'année" (voir notre article du 18 juillet 2017). Le président de la République avait alors considéré que "les territoires en particulier les plus ruraux ne peuvent plus être la variable d'ajustement d'économie" et effectivement annoncé que "d'ici là il n'y aura plus de fermeture de classes dans les écoles primaires". Or, à moins de considérer la relance des contrats ruralités comme le "plan d'action" annoncé, aucun "plan" n'a été à ce jour formalisé.
Les Républicains ont compté "15 fermetures de classes pour une seule ouverture en Corrèze", 45 fermetures pour 17 ouvertures en Eure-et-Loire, 34 fermetures pour 25 ouvertures dans le Loir-et-Cher ou 66 fermetures de classes pour 37 ouvertures dans les Vosges.
Dans la Sarthe, département de Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe et vice-président de l'Association des maires ruraux de France, une cinquantaine de fermetures de classes sont prévues, dont une quarantaine en milieu rural. Pour lui, l'équation est simple : le directeur académique "doit trouver 32 postes pour les dédoublements de classes de CP et CE1 en REP+ pour l'agglomération du Mans. Comme il n'y a pas eu de postes supplémentaires, sa seule solution a été de fermer des classes en milieu rural".
28 classes devraient fermer dans l'Indre
Dans l'Indre, les discussions sont encore en cours mais 28 classes rurales devraient fermer en septembre. Certes, le nombre d'élèves baisse dans ces campagnes mais le nombre de classes supprimées est supérieur au recul démographique, déclare Sophie Grenon, directrice d'une école à Eguzon-Chantôme et déléguée syndicale Snuipp-FSU, première organisation chez les professeurs des écoles. Pour elle, c'est évident : le département doit "libérer" six postes pour des dédoublements en éducation prioritaire.
"On nous parle de chiffres, de 23, 22 élèves par classe ! Mais en rural, pour faire des classes de 23 élèves, il faut que les enfants fassent des dizaines de km en bus" se désole Martine Fournier, maire de Bellefont-La Rauze (Lot). Sur sa commune, regroupement de trois villages, l'école à classe unique risque de fermer. Ses 18 enfants seront répartis sur deux écoles "si les surfaces sont suffisantes", alors que l'établissement venait de réaliser plusieurs aménagements pour l'accueil d'une enfant malvoyante. "C'est vrai qu'on a une baisse démographique. Mais c'est surtout que la métropole toulousaine a besoin de postes supplémentaires pour ses dédoublements de CP et CE1", estime l'élue.
Des conséquences également dans les départements urbains
Selon notre confrère Maire-Info, quotidien édité par l'Association des maires de France, l'AMF a été alertée par plusieurs communes des Hauts-de-Seine, "ce qui indiquerait, qu'a priori, cette situation ne concerne pas que les territoires ruraux mais également des écoles aux franges des réseaux d'éducation prioritaire". Dans le Val-de-Marne, autre département urbain, on estime aussi que les dédoublements de classes en REP vont provoquer des dégâts. Jugeant que "la dotation ministérielle de 176 postes est largement insuffisante", le conseil départemental craint "pour les écoles maternelles qui ne sont pas obligatoires", indiquant que "102 fermetures de classes sur les 180 annoncées les concernent". "A cela s’ajoutent la diminution des décharges des directions d’écoles, la fin des contrats aidés, la suppression de très nombreux postes 'plus de maîtres que de classes', le manque affirmé de postes de remplaçants…"
Ecoles : combien de postes d'enseignants, qui décide des affectations ?
Chaque année, la carte scolaire est examinée, et chaque année, des classes ferment et d'autres ouvrent, en fonction de la démographie. Le ministère de l'Education nationale communique le nombre de postes alloués par académie (qui regroupe plusieurs départements) et c'est ensuite aux recteurs de répartir les postes pour chaque département. Les comités techniques départementaux se réunissent en janvier et février et toutes les décisions n'ont pas encore été prises.
Le nombre d'élèves dans le 1er degré (maternelle et élémentaire) va baisser de 30.000 à la rentrée prochaine, à environ 6,76 millions d'enfants. En se basant sur une moyenne de 25 élèves par classe, cette baisse démographique permet de "récupérer" 1.300 postes. Qui s'ajoutent aux 3.600 postes créés par le ministère, soit 4.900 postes au total. En face, le nombre de postes requis pour l'extension du dédoublement des classes en Education prioritaire (après les CP en REP+, ce sera au tour des CP de REP et le début du processus pour les CE1 de REP et REP+), s'élève à 7.200 selon les comptes des syndicats. 4.900 postes disponibles pour un besoin de 7.200, il manque donc 2.300 postes qu'il va "falloir récupérer dans plusieurs viviers : remplaçants, postes dédiés à la formation continue des enseignants et... écoles rurales", estime Xavier Suelvès, délégué national chargé du premier degré au SE-Unsa.
Fermetures de classes en milieu rural ne veut pas dire fermetures d'écoles, sauf pour les écoles à classe unique, un cas de plus en plus rare car "on est arrivés au bout du remaillage possible du territoire", selon Xavier Suelvès. Les écoles rurales ont très souvent des classes multiniveaux (jusqu'à quatre, voire cinq).
AFP