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Le Sénat adopte la proposition de loi sur l'habitat indigne

Les sénateurs ont adopté, le 11 juin, en première lecture, la proposition de loi sur l'habitat indigne, déposée initialement par le marseillais Bruno Gilles et enrichie par la rapporteure Dominique Estrosi-Sassone. Le texte introduit notamment une "police spéciale du logement" et renforce le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux.

La proposition de loi "visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux", déposée par Bruno Gilles, sénateur (LR) des Bouches-du-Rhône (et conseiller municipal de Marseille) et une soixantaine de ses collègues, dans la foulée du drame de la rue d'Aubagne dans la cité phocéenne, a été adoptée le 11 juin en première lecture.

Le texte voté diffère fortement de la version initiale, que la rapporteure du texte, Dominique Estrosi-Sassone, avait fait renvoyer en commission lors du premier examen du texte en séance publique. La sénatrice des Alpes-Maritimes avait alors jugé nécessaire de "prendre un peu plus de temps pour approfondir notre réflexion sur les dispositifs proposés" et d'"étudier d'autres dispositifs qui permettraient de simplifier certaines procédures" (voir notre article ci-dessous du 28 février 2019).

Vers une "police spéciale du logement"

Dans la rédaction adoptée le 11 juin, la proposition de loi comprend de nombreuses mesures. Elle rend ainsi obligatoire la réalisation d'un diagnostic technique global pour les immeubles en copropriété construits depuis plus de quinze ans (avec un diagnostic technique simplifié lorsque l'immeuble comporte moins de cinquante lots principaux). Elle prévoit aussi que le gouvernement remet au Parlement, dans un délai de deux mois suivant la promulgation de la loi, un rapport sur la sous?utilisation de la procédure de suspension du versement des aides financières pour un logement considéré comme insalubre ou indécent.

La proposition de loi modifie l'article 198 de la loi Elan du 23 novembre 2018 (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique), en ramenant de 18 à 12 mois le délai laissé au gouvernement pour prendre par ordonnance "toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à améliorer et renforcer la lutte contre l'habitat indigne à compter du 1er janvier 2021".

La principale mesure reste toutefois l'introduction, à l'initiative de la rapporteure, d'un très long article instaurant, dans le code de la construction et de l'habitation, une "police spéciale du logement", au sens juridique du terme (voir notre article ci-dessous du 5 juin 2019). Il s'agit en l'occurrence d'harmoniser et de simplifier la réglementation actuelle, qui "comprend pas moins de treize polices qui s'appliquent à des situations différentes et qui font intervenir des autorités et des procédures différentes".

Pouvoirs renforcés pour les collectivités

D'autres dispositions du texte renforcent le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux : création d'un nouveau cas d'expropriation, transmission du casier judiciaire aux élus, inversion (à titre expérimental et pour cinq ans) du principe selon lequel le silence de la collectivité à l'issue d'un délai de deux mois vaut autorisation de louer... S'y ajoutent également la création d'un droit de préemption spécifique en matière d'habitat indigne, ou encore la possibilité donnée aux collectivités territoriales de bénéficier d'un droit de priorité pour récupérer un bien exproprié en raison d'un arrêté de péril ou d'insalubrité.

Autre mesure, introduite en séance publique par un amendement : la possibilité donnée aux EPCI compétents en matière d'habitat, ou à défaut aux communes, de "désigner un référent chargé d'accompagner les propriétaires de logements dégradés qui le demandent dans la réhabilitation de leur logement en identifiant les mesures et travaux possibles ainsi que les aides publiques mobilisables".

La proposition de loi crée aussi un "dispositif de suivi des copropriétés dégradées composé du maire, du président du tribunal de grande instance, des administrateurs provisoires, des services de l'État, qui permet de vérifier que le redressement est bien engagé".

Rétablissement de l'APL accession et lutte contre les marchands de sommeil

Dans le prolongement de la récente mission aux Antilles de Dominique Estrosi-Sassone et de Sophie Primas, présidente (LR) de la commission des affaires économiques (voir notre article ci-dessous du 20 mai 2019), un article prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, le gouvernement remet au Parlement "un rapport présentant les solutions permettant de remédier aux conséquences de la suppression de l'APL accession sur la réalisation de travaux par les propriétaires occupants et sur la lutte contre l'habitat indigne", notamment dans les collectivités d'outre-mer. Ce rapport devra également présenter "les avantages et les inconvénients d'un rétablissement de l'APL accession".

Enfin, comme il est désormais de règle dans tout texte traitant de l'habitat indigne, la proposition de loi renforce les sanctions contre les marchands de sommeil, au-delà de ce que prévoit déjà la loi Elan. Elle augmente le montant des sanctions financières et crée une sanction spécifique pour la mise en location d'un logement sans autorisation de louer. Elle prévoit aussi que le produit des amendes prononcées par le préfet dans le cadre du permis de louer et du permis de diviser bénéficie aux collectivités territoriales.

"Nombreuses sont vos propositions qui vont dans le bon sens"

La proposition de loi a été adoptée dans un climat largement consensuel. Il reste maintenant à connaître la position du gouvernement et le sort qui sera réservé au texte à l'Assemblée nationale. Le gouvernement n'a déposé aucun amendement. Lors de la discussion générale, Julien Denormandie, le ministre de la Ville et du Logement, a déclaré aux sénateurs que "ce débat dépasse les clivages politiques" et que "nombreuses sont vos propositions qui vont dans le bon sens". Il estime notamment que "les collectivités territoriales doivent être plus soutenues dans leur mission de détection" et "partage donc la nécessité d'augmenter le montant de l'amende en cas de manquement à l'obligation de déclaration ou d'autorisation préalable à la location et d'en affecter le produit aux collectivités, dans l'esprit de ce qui figure dans la loi Elan avec le produit des astreintes".

Pour Julien Denormandie, le gouvernement ne "peut qu'adhérer à la nécessité d'accélérer les réponses aux situations d'insalubrité et de dangerosité des immeubles, aux recherches d'amélioration du permis de louer, à l'amélioration des actions à porter contre les marchands de sommeil". Les seules réserves ouvertement exprimées concernent l'expérimentation d'un refus tacite de l'autorisation de louer après deux mois de silence de l'EPCI ou de la commune, ou encore la possibilité pour les associations d'agir sans l'accord des locataires. Par ailleurs, Julien Denormandie "souscrit à l'objectif de prévention" du diagnostic obligatoire pour toutes les collectivités de plus de quinze ans, mais estime que "ce sujet doit être traité dans le cadre de l'ordonnance sur la réforme de la copropriété".

Au final, le ministre du Logement s'en est donc remis à la sagesse du Sénat – autrement dit ne s'est pas opposé à la proposition de loi -, tout en précisant que le texte "vraisemblablement sera enrichi par les travaux de vos collègues députés". Ceux-ci s'appuieront notamment sur les résultats de la mission sur l'habitat indigne confiée par le Premier ministre à Guillaume Vuilletet, député (LREM) du Val d'Oise (voir notre article ci-dessous du 12 décembre 2018).

 

Références : proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (adoptée en première lecture par le Sénat le 11 juin 2019).

 

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