Habitat indigne : une proposition de loi pour stopper le ping-pong
Stéphane Peu a présenté à la presse, le 6 mai 2019, sa proposition de loi visant à "renforcer la lutte contre le logement indigne". Si cet objectif est largement partagé, les moyens d'y parvenir le sont en général moins. Le député communiste de Seine-Saint-Denis veut consacrer l'État comme garant de la lutte contre l'habitat indigne. Il suggère également d'imposer une nouvelle taxe aux bailleurs privés et de piocher dans les recettes de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Six mois après les effondrements des immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille, qui a causé la mort de huit personnes, Stéphane Peu, député communiste de Seine-Saint-Denis, a présenté à la presse sa proposition de loi visant à "renforcer la lutte contre le logement indigne". Il suggère en premier lieu (article 1) d'"établir clairement la répartition des responsabilités entre État, collectivités et établissements publics, afin d’éviter l’effet ping-pong que l’on observe trop souvent et qui nourrit les logiques de déresponsabilisation et l’inaction". Pour lui, la loi doit affirmer clairement le rôle de l’État comme "garant de la lutte contre l’habitat indigne". Les relations avec les collectivités et autres partenaires prendraient ensuite la forme de contrats d'objectifs et de moyens.
Le relogement, compétence d'État ?
Ainsi, en cas de défaillance du propriétaire ou de l’exploitant, le relogement serait de la compétence de l’État ou par délégation de la commune ou de l’EPCI concerné (article 4). Pour Stéphane Peu, "il s’agit là aussi d’éviter les tergiversations trop souvent observées, tout particulièrement lorsque les immeubles sont sous le coup d’une procédure de péril (responsabilité communale) et une procédure d’insalubrité (responsabilité préfectorale)". De fait, le ministre du Logement, Julien Denormandie, ne manque jamais de rappeler, à propos des victimes de la rue d'Aubagne, "la responsabilité des collectivités sur le relogement" (voir aussi notre encadré ci-dessous).
Un nouveau fonds alimenté par une nouvelle taxe et par l'impôt sur la fortune immobilière
Estimant que le manque de moyens pour financer pour la réhabilitation, la démolition et l’indemnisation des propriétaires concernés constitue "un des principaux obstacles à la lutte contre le logement indigne", le député communiste envisage deux nouvelles sources de financement. L'article 2 de sa proposition de loi rétablit la contribution annuelle sur les revenus locatifs (CRL) pour les bailleurs personnes physiques. Les recettes attendues seraient de l'ordre de 580 millions d'euros, qui abonderaient un fonds dédié à la lutte contre l'habitat indigne piloté par l’Anah (Agence nationale de l’habitat). Ce fonds pourrait ainsi financer la rénovation de 60.000 logements chaque année, soit 600.000 en 10 ans, ce qui correspondant à l'estimation et au plan d'actions proposé par la fondation Abbé-Pierre (voir notre article du 10 janvier 2019). Il serait également abondé par la mobilisation de la moitié de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) (article 3), soit la moitié du 1,5 milliard d'euros attendu dans le budget 2019 de l'État.
La lutte contre l'habitat indigne, un enjeu d'"union nationale" ?
Les articles 5 et 6 visent à "toucher les délinquants au porte-monnaie" : faciliter l'expropriation des propriétaires de mauvaise foi pour permettre aux collectivités de reprendre vite la main sur les bâtiments (article 5) et ne pas permettre aux marchands de sommeil de "jouer la montre" en allongeant volontairement le temps des procédures (article 6).
"On devrait avoir une union nationale sur ce sujet", estime l'élu qui dit avoir déjà sondé la majorité, selon lui, peu favorable au mode de financement qu'il propose. Le député de Seine-Saint-Denis se dit prêt à faire cause commune avec le sénateur LR des Bouches-du-Rhône Bruno Gilles, dont la proposition de loi sur le même sujet, déposée fin 2018 et discutée en séance publique le 5 mars, a été renvoyée en commission pour être approfondie, avec la bénédiction de Julien Denormandie (voir notre article du 28 février 2019). Si la lutte acharnée contre les marchands de sommeil est une des ambitions partagée, il serait toutefois étonnant que les sénateurs adoptent l'idée d'un nouveau fonds alimenté par une nouvelle taxe…
À Marseille, toujours sous l'émotion, de nouveaux outils se mettent en place
Des dizaines de Marseillais se sont rassemblés rue d'Aubagne dimanche 5 mai au matin pour rendre hommage aux victimes de l'effondrement des immeubles six mois plus tôt. Ils ont observé 9 minutes de silence, à partir de 9h05, heure à laquelle les 63 et 65 rue d'Aubagne se sont effondrés le 5 novembre, entraînant dans leur chute l'immeuble voisin du 67. 2.558 personnes avaient alors été évacuées de leur immeuble. Plus de 600 Marseillais vivent encore à l'hôtel, en l'attente d'un relogement.
"Depuis ce drame, beaucoup a été fait mais beaucoup reste à faire. Je partage l'impatience des Marseillais, je reste pleinement mobilisé à leurs côtés et je continuerai à faire en sorte que les choses avancent plus rapidement", a indiqué dans un communiqué le ministre du Logement, Julien Denormandie. Le gouvernement mobilise, via l'Anah, 240 millions d'euros pour la rénovation de logements privés de la ville. L’État deviendra en outre "d’ici la fin de l’année" actionnaire de la SPLA-IN en charge de la rénovation du centre-ville, dont l’objectif sera de "racheter les logements insalubres, de les rénover et de les remettre sur le marché".
La fondation Abbé-Pierre estime que "plus de 100.000 personnes vivent toujours dans des logements indignes" à Marseille et appelle à un "sursaut des pouvoirs publics". Elle demande, avec le Collectif du 5 novembre - Noailles en colère, la signature d'une charte de relogement impliquant l'État, la métropole et la ville avec des engagements permettant de garantir les droits des délogés.
Vendredi 3 mai, la mairie de Marseille a annoncé la signature d'une charte avec les professionnels de l'immobilier, notamment la Fnaim (Fédération nationale de l'immobilier) pour améliorer les diagnostics et la prise en charge des situations à risque.
AFP