Habitat indigne : le gouvernement donne des instructions pour renforcer les sanctions et prépare une ordonnance
Julien Denormandie a annoncé, le 21 janvier à Pierrefitte, l'envoi imminent d'une circulaire aux préfets visant à "accélérer" les procédures judiciaires contre les marchands de sommeil et à instaurer un magistrat référent au sein des pôles de lutte contre l'habitat indigne. Le texte désigne également six départements prioritaires pour bénéficier de "groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre l'habitat indigne" (GLTED-LHI). Le lendemain, le ministre se rendait à Marseille pour un état des lieux de la mobilisation publique suite au drame de la rue d'Aubagne en novembre dernier (encadré).
Le 21 janvier, Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, et Julien Denormandie, le ministre du Logement, se sont rendus à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis, 30.000 habitants) pour rencontrer des habitants victimes de l'habitat indigne et de marchands de sommeil. Ils ont notamment visité une maison de deux étages, divisée en douze "appartements" de 9 à 30 m2 - parfait exemple du phénomène de division pavillonnaire - et ne respectant ni les normes d'hygiène, ni les hauteurs sous plafonds, mais où les habitants payent néanmoins des loyers allant de 450 à 900 euros par mois. Cette visite a donné lieu à des échanges tendus avec le propriétaire, qui s'était rendu précipitamment sur les lieux. Celui-ci à tenté de plaider sa bonne foi et sa méconnaissance des règles d'urbanisme (aucun permis de construire n'a été déposé lorsque le pavillon a été divisé en douze lots...).
Une circulaire pour "accélérer" les procédures judiciaires
Les deux ministres ont ensuite participé à une table ronde sur le sujet, à la mairie de Pierrefitte, et assisté à la signature de la convention instaurant l'outil de prévention mis en place par l'établissement public foncier de la région Île-de-France (EPFIF) et Action logement. Cet outil - la Sifae (société immobilière et foncière Action logement-EPFIF) - sera doté de 80 millions d'euros et aura pour mission de racheter des pavillons susceptibles d'être acquis et divisés par des marchands de sommeil, dans des périmètres jugés à risque par les maires. Il devrait permettre de traiter environ 100 pavillons par an.
À l'occasion de cette visite de terrain, les deux ministres ont redit leur engagement contre l'habitat indigne et les marchands de sommeil. Ils ont notamment annoncé la signature d'une circulaire en vue d'"accélérer" les procédures judiciaires contre les marchands de sommeil. Cette circulaire prévoit également d'instaurer un magistrat référent au sein des pôles de lutte contre l'habitat indigne, afin de renforcer et coordonner les procédures administratives. Ces pôles devront en outre établir, avant le 30 avril 2019, des plans départementaux fixant des objectifs chiffrés annuels en matière de lutte contre l'habitat indigne.
Six départements prioritaires
La circulaire prévoit également un sort particulier pour les six départements "les plus exposés à cette problématique" : la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l'Essonne, les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et le Nord. Ces six territoires vont bénéficier de la mise en place prioritaire de groupes locaux de traitement de la délinquance dédiés à la lutte contre l'habitat indigne (GLTED-LHI).
Des moyens supplémentaires vont être déployés pour lutter contre l'habitat indigne : le budget général de la Justice va être augmenté et 14 millions d'euros supplémentaires seront affectés à l'Anah (Agence nationale de l'habitat) "pour intervenir plus massivement sur les six territoires d'accélération". Le ministère rappelle que tout cela sera complété par les programmes de rénovation des copropriétés dégradées (Initiative copropriétés) et de rénovation des centres villes (programme Coeur de ville), dont le budget global est de 18 milliards d'euros.
Ordonnance : l'entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2021
Les deux ministres ont annoncé l'élaboration prochaine d'une ordonnance sur la lutte contre l'habitat indigne. Celle-ci n'est pas une surprise, dans la mesure où elle est prévue par l'article 198 de la loi Elan du 23 novembre 2018 (évolution du logement, de l'aménagement et du numérique). L'article 198 habilite le gouvernement à "prendre par ordonnances, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à améliorer et renforcer la lutte contre l'habitat indigne à compter du 1er janvier 2021".
Le contenu de l'ordonnance s'appuiera sur les résultats de la mission sur l'habitat indigne confiée par le Premier ministre à deux députés - Guillaume Vuilletet, député (LREM) du Val d'Oise, et Alexandra Louis, députée (LREM) des Bouches-du-Rhône – et qui doit remettre ses propositions au mois de mai (voir notre article ci-dessous du 12 décembre 2018).
D'autres actions ont déjà été mises en œuvre ou engagées dans le domaine : dispositions des lois Alur et Elan (avec, dans ce dernier texte, un chapitre de quinze longs articles entièrement consacrés à la lutte contre l'habitat indigne), possibilité, depuis le 1er janvier 2019, de mise en œuvre du "permis de louer" (déjà effectif dans certaines communes de Seine-Saint-Denis, comme Saint-Denis, Stains ou Aubervilliers)...
Elan : le premier programme partenarial d'aménagement serait créé à Marseille
Julien Denormandie s'est rendu à Marseille, le 22 janvier 2019, pour faire le point sur la mobilisation des pouvoirs publics depuis le drame des effondrements de la rue d’Aubagne, le 5 novembre dernier. À cette occasion, le ministre du Logement a déclaré : "Je souhaite que, dès le printemps, nous disposions d’une vision d’ensemble des études conduites et qu’une proposition de programme d’action structuré puisse nous être soumis, afin qu’avec la ville de Marseille et la métropole d’Aix-Marseille, nous soyons en capacité d’arrêter notre stratégie d’intervention." Il a ensuite précisé que ce programme d'action prendrait la forme d'un programme partenarial d’aménagement (PPA), outil créé avec la loi Elan. Dans l'esprit du ministre, il serait adossé à une "société d’aménagement commune".
Concernant le point d'étape, le ministre a indiqué que 1.400 personnes sont encore dans l’attente d’une réponse, soit de relogement, soit pour réintégrer leur logement. Environ 180 familles (400 personnes) ont réintégré leur logement.
La Mous (maîtrise d'œuvre urbaine et sociale), assurée par Soliha Provence, bénéficie d'un budget de 3 millions d'euros. Elle a proposé 200 solutions de relogement dont à ce stade 80 ont été acceptées (et 60 refusées), auxquels s'ajoutent 300 logements HLM mis à disposition par les bailleurs sociaux.
Deux foncières propriétaires d’une partie de la "Rue de la République" ont mobilisé 75 logements en cours de commercialisation. Le ministre a demandé "à tous les propriétaires qui disposent d’un logement vide ou qui va se libérer dans le centre-ville" de se faire connaître. Il a annoncé que l’État soutiendra "exceptionnellement" la ville de Marseille, la métropole et le conseil départemental, pour financer l'espace d’accueil des personnes évacuées.
Le ministre a également annoncé que "des actions immédiates de traitement de l’habitat dégradé seront lancées début février, lorsque la ville en aura délibéré". Une convention sera alors signée avec l'Anah pour financer 100 % des travaux d’urgence de réhabilitation d’une centaine de bâtiments prioritaires dans les 3 ans qui viennent. Enfin, l'Anru devrait allouer près de 50 millions d'euros, qui s'ajouteront aux 240 millions d'euros précédemment annoncés.
Valérie Liquet