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Mal-logement - Marseille, capitale de l'habitat dégradé, insalubre et dangereux

Julien Denormandie avait présenté à Marseille, le 10 octobre, la "stratégie nationale d'intervention sur les copropriétés". Un plan de 2,74 milliards d’euros sur 10 ans, visant la résorption de 684 copropriétés en difficulté. Il ne se doutait pas qu'il y reviendrait si vite, suite à l'effondrement le 5 novembre 2018 de deux immeubles d'habitation, pour constater l'urgence à lutter contre l'habitat insalubre.

L'effondrement de trois immeubles vétustes, lundi 5 novembre 2018, dans le quartier populaire de Noailles à Marseille, à deux pas du Vieux-Port, provoquant la mort de cinq personnes selon le dernier bilan encore provisoire, relance le débat sur l'habitat insalubre dans cette ville. Se référant à un rapport remis au gouvernement en mai 2015 par Christian Nicol, inspecteur général honoraire de l'administration du développement durable, la fondation Abbé-Pierre indique qu'à l'époque déjà on estimait à 40.000 le nombre de logements indignes à Marseille dans le parc privé (soit 13% des résidences principales), présentant un risque potentiel pour la santé et la sécurité de 100.000 habitants.
Ces proportions ne sont vues "nulle part ailleurs en France", déplore Florent Houdmon, directeur régional de la fondation Abbé-Pierre. C'est selon lui "le résultat de décennies d'inaction publique" et l'effondrement des immeubles est en lien direct avec "la défaillance totale, dès le repérage, des pouvoirs publics".

Deux des trois immeubles étaient murés et théoriquement inhabités

"Ni le nombre d'arrêtés de péril ou d'insalubrité, ni les dispositifs incitatifs ne sont aujourd'hui à la hauteur", estime la fondation. De fait, deux des trois immeubles qui se sont écroulés lundi étaient murés et théoriquement inhabités. L'un des deux bâtiments, au 63 de la rue, était "fermé et muré", selon la mairie, qui l'avait racheté après avoir pris un arrêté de péril en 2008. Il était "entièrement sécurisé", a martelé Arlette Fructus, adjointe au maire au logement, politique de la ville et rénovation urbaine, également vice-présidente de la métropole déléguée sur le même portefeuille. L'élue déplore au passage le temps perdu par les procédures judiciaires engagées par les propriétaires pour éviter l'expropriation.
Selon le site d'investigation local Marsactu, après cet arrêté de péril pris il y a plus de 10 ans, "la ville avait inscrit le n°63 dans la liste des 500 immeubles visés par le plan d'éradication de l'habitat indigne (EHI) et confiés à deux opérateurs". La mairie envisageait notamment d'y aménager une micro-crèche, dans le cadre d'un vaste plan de réaménagement du centre-ville sur 15 ans.
L'immeuble mitoyen, le numéro 65, qui s'est lui aussi effondré, était théoriquement le seul occupé. Il s'agissait d'une copropriété de 10 appartements, dont 9 étaient habités, au-dessus d'un commerce vacant au rez-de-chaussée. Depuis 2007, les signaux d'alerte se multipliaient : effondrement du plafond du hall d'entrée, fissures inquiétantes... L'immeuble avait fait l'objet le 18 octobre "d'une expertise des services compétents qui avait donné lieu à la réalisation de travaux de confortement permettant la réintégration des occupants", selon la mairie.

48% des immeubles du quartier sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé

Dans tout le quartier de Noailles, de nombreux immeubles sont dans un état inquiétant. Dans des documents publiés en janvier 2018, la Société locale d'équipement et d'aménagement (Soleam), justement chargée de mettre en œuvre le réaménagement du centre-ville, y décrivait "une forte dégradation du bâti notamment liée à vétusté des immeubles". "Sur les 3.450 logements recensés, le diagnostic a mis en évidence que 48% des immeubles, soit environ 1.600 logements, sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé", concluait-elle. Noailles ne compte que 5% de logements sociaux selon la Soleam, mais un important "parc privé dégradé" incluant des "taudis".
"Ce dramatique accident pourrait être dû aux fortes pluies qui se sont abattues sur Marseille ces derniers jours", selon une hypothèse avancée lundi par la mairie, qui a dû reloger 100 personnes évacuées dans les immeubles à proximité.
Selon la fondation Abbé-Pierre, il n'y a qu'une solution : la "production massive de logements réellement abordables, dans une métropole connue pour le nombre de villes ne respectant pas la loi SRU, et une action résolue de lutte contre l'habitat indigne, où la mairie, la métropole et l'État prennent chacun leurs responsabilités".

Un des sites prioritaires du plan "Initiative copropriétés"

Marseille fait justement partie des 14 "sites de priorité nationale" du plan "Initiative copropriétés" présenté le 10 octobre dernier, à Marseille, par Julien Denormandie, encore secrétaire d'État auprès du ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard (voir notre article ci-dessous du 10 octobre 2018). Le plan, de 2,74 milliards d’euros sur 10 ans, vise la résorption de 684 propriétés en difficulté, soit près de 56.000 logements, grâce à un partenariat inédit avec la CDC-Banque des Territoire et Action logement. "L'intervention publique sur les copropriétés dégradées est un enjeu majeur pour les élus locaux confrontés à la question du mal-logement, au risque de péril et d'insécurité de leurs administrés", disait alors le dossier de presse du ministère.
Désormais ministre chargé de la ville et du logement auprès de Jacqueline Gourault, Julien Denormandie était le 5 novembre rue d'Aubagne, pour assister au déblaiement et à la recherche de personnes sous les décombres. Le lendemain, il a maintenu son agenda qui, hasard de calendrier, l'emmenait à Grigny pour visiter la copropriété Grigny 2 (5.000 logements) qui bénéficie également du suivi national au titre du plan "Initiative copropriétés".

La lutte contre l'habitat indigne avec Elan

Julien Denormandie a aussi rappelé à Grigny que la lutte contre l’habitat indigne était "une des priorités du gouvernement" et faisait l'objet de plusieurs articles de la future loi Elan (qui, après un séjour au Conseil constitutionnel, devrait bientôt être promulguée).
Un article d'Elan vise à améliorer le fonctionnement des Orcod (opérations de requalification des copropriétés dégradées), notamment en "facilitant les opérations de relogement" dans le parc social et en permettant au maire et au président d’intercommunalité de faire usage de leur "pouvoir de désignation" lorsqu’ils lancent une Orcod (ce qui leur permet d’attribuer plus rapidement un logement social du contingent de la commune ou de l’EPCI). Une ordonnance sera prise pour réformer le droit de copropriété de manière à "améliorer la gestion des immeubles et à prévenir les contentieux". Les syndics de copropriété et les agents immobiliers auront l’obligation de signaler au procureur de la République les suspicions d’activité de "marchands de sommeil".
Elan prévoit des sanctions "sans précédent" contre les marchands de sommeil, qui pourront désormais être poursuivis par le fisc au titre de la présomption de revenus, comme les trafiquants de drogue. Leurs biens immobiliers seront confisqués de façon systématique et ils auront interdiction d'en acheter de nouveaux pendant dix ans. Ils feront l’objet d’astreintes administratives tant qu’ils ne font pas les travaux nécessaires.
Intervenant ensuite à la 11e édition des ateliers de l'Anah, Julien Denormandie a déclaré, à propos du "drame" marseillais, que le plan "Initiative copropriétés" et les mesures nouvelles de la loi Elan "donnent des moyens d’action supplémentaires pour dépister ces situations et agir plus rapidement".

 

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