Le rapport Claris sur la gouvernance des hôpitaux propose de renforcer le rôle du conseil territorial de santé
Versé aux travaux du Ségur de la santé, le rapport sur "la gouvernance et la simplification hospitalières" remis le 17 juin par le professeur Olivier Claris propose notamment de "renforcer la structuration du territoire de santé et réaffirmer la juste place des élus". La gouvernance devrait aussi s'appuyer sur un conseil territorial "aux compétences plus affirmées", préconise-t-il.
Le professeur Olivier Claris, président de la commission médicale d'établissement (CME) des Hospices civils de Lyon, a remis à Olivier Véran son rapport sur "la gouvernance et la simplification hospitalières". Ce travail lui avait été confié fin décembre 2019 – en pleine crise des hôpitaux – par Agnès Buzyn, alors ministre des Solidarités et de la Santé (voir nos articles du 20 novembre 2019 et du 8 janvier 2020). La lettre de mission demandait notamment au groupe de travail – composé également d'un président de CME de centre hospitalier général, d'un président de CME de centre hospitalier spécialisé (psychiatrique) et d'un directeur d'hôpital, avec l'assistance de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) – de "rendre opérationnelle cette nouvelle gouvernance médicalisée, en proposant un schéma cible et des schémas de transition".
Lutter contre les "irritants du quotidien"
C'est peu dire que les travaux de la mission, qui devait rendre ses conclusions en mars, ont été perturbés par la crise sanitaire. Le groupe a néanmoins pu effectuer des déplacements sur le terrain entre janvier et mars, procéder à des auditions et diffuser un questionnaire à 800 établissements (avec 6.500 réponses de professionnels médicaux et paramédicaux). En outre, le rapport prend aujourd'hui un relief particulier, sa remise coïncidant désormais avec le Ségur de la santé. Dans un communiqué du 17 juin, Olivier Véran se félicite d'ailleurs du "consensus de haut niveau atteint sur le chantier de la refonte de la prise de décision à l'hôpital au plus près des équipes" et confirme que "le rapport du professeur Claris serait versé aux travaux du Ségur de la Santé, afin d'alimenter la concertation".
Très documenté et très concret, le rapport pointe notamment toute une série d'"irritants du quotidien" qui remontent des questionnaires et pèsent sur le fonctionnement des hôpitaux : lourdeur des circuits de décision, absentéisme, recherche de lits et de structures d'aval, absence de réponse de la hiérarchie, multiplication des procédures et process qualité... La mission formule aussi plusieurs constats, pour certains déjà bien connus : perte d'attractivité de l'hôpital public, coupure entre le "top management" de l'hôpital et les acteurs médicaux et paramédicaux de terrain, instances de gouvernance au fonctionnement méconnu et peu attractives pour les professionnels de terrain, affaiblissement de la notion de service de soins qui reste pourtant le "niveau d'action de référence primordial pour les équipes soignantes", délégations de gestion insuffisantes au bénéfice des pôles et des services, responsables médicaux insuffisamment formés et outillés...
Rendre leur place aux services
Face à ces constats, le rapport propose une soixantaine de mesures, ainsi que 27 "bonnes pratiques managériales à généraliser", repérées par le biais des auditions et des réponses au questionnaire. Ainsi, le rapport préconise de "revaloriser et réinvestir les services de soins" – quelque peu marginalisés par le développement des départements, puis des pôles –, notamment en reconnaissant réglementairement et financièrement la fonction de chef de service. Il propose aussi de conforter le binôme constitué du directeur et du président de la CME, en renforçant les compétences et les moyens des présidents de CME et en rendant obligatoire une co-signature sur un certain nombre de décisions, comme les désignations individuelles de praticiens à des postes de responsabilité ou les contrats de pôle.
Au-delà de ce binôme, le rapport propose également des mesures plus générales pour associer davantage les professionnels aux décisions, avec en particulier l'adoption et la mise en œuvre obligatoire d'un "projet de management et de gouvernance" doté d'un volet médical, ou la mise en place, dans chaque établissement, d'une cellule de gestion de projets copilotée par un directeur et un membre de la CME. Les responsables médicaux devraient également se voir proposer de véritables parcours managériaux. En parallèle, le rapport préconise de mettre en place des "délégations de gestion fortes".
En matière de simplification, la mission recommande plusieurs mesures, comme l'assouplissement des règles de la commande publique, le recentrage des GHT (groupements hospitaliers de territoire) sur leurs missions d'organisation territoriale de soins en simplifiant leur mode de gouvernance, ou encore la simplification du régime des autorisations de soins, ainsi que des processus nationaux de certification et d'évaluation. Dans le même esprit, les processus de recours aux infirmières de pratiques avancées et aux protocoles de coopération entre professionnels devraient être également allégés.
Appuyer la gouvernance sur le conseil territorial
Sur ces questions d'organisation, la mission propose aussi de "renforcer la structuration du territoire de santé et réaffirmer la juste place des élus". Cette préconisation repose sur la montée en puissance de l'approche populationnelle, qui suppose d'"adapter la mise en œuvre des priorités nationales et régionales au contexte de chaque territoire autour d'un projet territorial de santé, déclinaison du PRS [projet régional de santé, ndlr], voire d'enveloppes budgétaires permettant le financement de cette déclinaison territoriale". Pour y parvenir, le rapport estime qu'il faudra redéfinir certains périmètres géographiques des territoires. Il sera également nécessaire de disposer "d'un lieu d'échange, de concertation et de coordination représentatif des acteurs du territoire où se construisent les politiques partagées et les actions de coopération". Ce rôle devrait revenir au conseil territorial, créé par la loi Touraine de 2016, et dont le ressort correspond souvent au périmètre du département. Les élus locaux y sont bien représentés. La mission propose donc "d'appuyer la gouvernance territoriale sur ce conseil territorial, en confortant son rôle et en le dotant de compétences plus affirmées, y compris en termes de régulation, ainsi que d'une capacité d'initiative et d'innovation. Il doit pour cela disposer d'outils juridiques et de moyens de financement de ses actions avec davantage d'autonomie". Afin ne pas multiplier les structures administratives, le rapport suggère que le GHT pourrait, dans un premier temps, constituer le support logistique et administratif du conseil territorial.
Si le rapport Claris propose ainsi un ensemble cohérent de propositions, il ne suscite en revanche pas l'adhésion du Collectif inter-hôpitaux. Dans un communiqué du 17 juin, celui-ci "s'oppose vivement au rapport Claris, qui malgré le constat d'une coupure entre la gouvernance des hôpitaux et les soignants du terrain, ne propose aucune solution concrète satisfaisante". Il réclame "une codécision entre le directeur, le président de CME et le président de la CSIRMT [commission des soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques, ndlr], avec recours au conseil de surveillance en cas de désaccord".
Et si on remplaçait les directeurs généraux d'ARS par des élus ?
Déposée par Guillaume Peltier, député du Loir-et-Cher, et cinq de ses collègues du groupe LR, une proposition de loi vise "à remplacer les agences régionales de santé par des conseils régionaux du soin dotés d'une nouvelle gouvernance". Le texte s'inscrit dans le mouvement général qui fait aujourd'hui des ARS les boucs-émissaires de la crise sanitaire. Sur ce point, l'exposé des motifs ne laisse guère de doutes : "bureaucratie", "rigidité", "déconnexion du terrain", "failles béantes", "décisions hors sol", "dysfonctionnements", "absence totale d'anticipation et impréparation", "incohérences dans la communication", "incapacité à faire travailler ensemble l'hôpital public et l'hôpital privé"...
Pour les auteurs de la proposition de loi, la question peut se régler très simplement en quatre articles. L'article Ier remplace, dans toutes les occurrences du code de la santé publique, les mots "agence(s) régionale(s) de santé" par les mots "conseil régional du soin" ou "conseils régionaux du soin". De mauvais esprits pourraient toutefois faire remarquer que les ARS sont également nommément citées dans une centaine d'articles législatifs (ou réglementaires), répartis dans onze codes (hors santé publique), dont le code de l'éducation (41 articles), le code rural et de la pêche maritime (16) le code général des collectivités territoriales (12) et même... le code électoral (1). Sans compter les nombreux textes non codifiés.
Non sans quelque contradiction – puisque l'article Ier vient de supprimer les ARS –, l'article 2 prévoit que "le directeur général de l'agence régionale de santé doit être titulaire d'un mandat local. Il est élu par ses pairs dans le ressort territorial de chaque conseil régional du soin". L'article 3 précise la composition du conseil de surveillance du conseil régional du soin. Celui-ci comprend un représentant de l'État, un représentant des infirmiers hospitaliers, un représentant des infirmiers d'établissements privés (mais aucun représentant des médecins, ce qui peut sembler curieux pour un conseil régional du soin, et pas non plus de représentants des caisses d'assurance maladie, qui financent le système de santé), ainsi qu'"un représentant des patients, des personnes âgées et des personnes handicapées". Siègent aussi, avec voix consultative, des "représentants des personnels de l'agence [qui n'existe plus], ainsi que le directeur général de l'agence". Enfin, un article 4 laisse à un décret le soin de mettre cette réforme en œuvre.
J.-N. Escudié / P2C pour Localtis