Agriculture - Le difficile développement des "circuits courts"
Les circuits courts existent depuis longtemps mais ils répondent à un besoin accru de manger et de produire "local". Ces formes de vente correspondent à de la vente directe, des producteurs aux consommateurs (vente à la ferme, vente collective, vente sur les marchés, par correspondance, Amap - associations pour le maintien d'une agriculture paysanne -, accueil à la ferme) ou à de la vente indirecte, mais avec un seul intermédiaire : restauration (traditionnelle ou collective) ou commerçant-détaillant. Ces circuits s'appuient sur un principe de consommation durable et responsable, sur le maintien d'une agriculture périurbaine et sur la promotion de pratiques favorables à l'environnement. D'après les chiffres fournis dans le rapport du groupe de travail "circuits courts de commercialisation", publié en mars 2009, en 2005, le nombre d'exploitations agricoles réalisant de la vente directe s'élevait à 88.600, soit 16,3% des exploitations agricoles. Une vente directe qui concerne toutes les filières, fruits, légumes, animales, horticulture, viticulture, et qui est plus particulièrement développée dans le sud-est et dans le nord de la France et en Alsace. Les pouvoirs publics ont saisi ce tournant dans les attentes des consommateurs qui correspond également à un enjeu pour les territoires. Un plan, initié par Michel Barnier, ancien ministre de l'Agriculture et de la Pêche, a été lancé en mars 2009 pour favoriser son développement. Il doit permettre d'améliorer les connaissances sur les circuits courts, d'adapter la formation des agriculteurs, de faciliter l'installation d'agriculteurs en circuits courts et de mieux organiser ce mode de vente. Décliné sur le plan régional, il sera évalué par un comité de suivi. Par ailleurs le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de l'agroalimentaire annoncé par le président de la République en février 2009 et qui sera présenté en Conseil des ministres, le 13 janvier, place le développement des circuits courts au rang de ses priorités. "Nous n'arriverons à mettre sur pied ces circuits courts et à changer les modalités nutritionnelles dans la restauration collective qu'avec une politique publique", a récemment indiqué le ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire, lors d'une présentation du projet de loi à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Car sur le terrain, les obstacles sont nombreux, à commencer par la question du foncier. "On a de fortes demandes pour du circuit court mais en face il n'y a pas de porteurs de projets ou de maraîchers, car il n'y a pas de terre disponible !", explique-t-on à la direction agriculture du conseil régional de Picardie.
"Il y a une prise de conscience politique mais c'est dur !"
"La question des terres disponibles en particulier en zone périurbaine est importante ; pour les grandes villes, il faut des zones maraîchères réservées pour ce type de production, c'est une action à long terme", explique pour sa part Serge Villard, animateur national circuits courts à la Fédération nationale des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (FNCIVAM). Et d'estimer qu'"il y a une prise de conscience politique pour arrêter de consommer tous azimuts et de faire faire 4.000 kilomètres à un kilogramme de tomates pour qu'il arrive dans notre assiette, mais c'est dur". Pour remédier à ce problème, les régions s'appuient sur Terre de Liens, une association, créée en 2006, qui dispose d'un outil de financement pour l'acquisition de terres agricoles. Elles tentent aussi d'aider les agriculteurs à s'installer. La région Picardie a ainsi choisi d'accompagner l'installation des agriculteurs. Quand des terres se libèrent, elle fait tout pour qu'elles n'aillent pas à l'agrandissement et demande à la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) d'acquérir le terrain disponible, en vertu de son droit de préemption. De son côté, la région prend en charge les coûts externes. Une façon de partager la terre le temps de trouver un agriculteur capable de s'installer. Autre problème : une offre encore peu structurée. Que ce soit en matière d'Amap ou de bio, la demande est très forte et en augmentation, et l'offre ne suit pas toujours. "Toute la structuration de la filière est importante, témoigne un chargé de mission au conseil régional de Picardie, la demande dans la restauration collective est de plus en plus importante mais aujourd'hui on n'a pas en face de producteurs qui puissent répondre à la demande." La solution envisagée consiste à constituer des plateformes collectives, rassemblant plusieurs producteurs, pour répondre à une même demande. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) a ainsi facilité la création d'un réseau d'Amap, Alliance Provence, qu'elle soutient depuis 2004. Le réseau regroupe maintenant une centaine d'Amap.
Privilégier une vision globale
De la même façon, la région soutient les épiceries solidaires. "Elles sont créées en collaboration avec la Confédération paysanne, dans les rez-de-chaussée des cités qui sont souvent inoccupés, explique Sébastien Barles, secrétaire général du groupe Verts à la région Paca, il s'agit de vente directe avec un principe de solidarité entre les consommateurs, les prix étant fixés en fonction des revenus des consommateurs." Enfin, les collectivités tentent tant bien que mal de financer le maximum de choses pour les agriculteurs qui se spécialisent dans ces filières. "Nous payons la certification bio à la place des agriculteurs, jusqu'à 1.000 euros, pour un budget régional de 400.000 euros, détaille Jacques Olivier, conseiller régional Paca, mais avec la PAC qui encadre fortement l'agriculture, on ne peut guère faire plus en direct." Cela dit, les élus peuvent aussi soutenir ces réseaux autrement. "Il y a un gros développement des marchés de producteurs, et là, il faut une volonté politique pour mettre en place les marchés, modifier la circulation, financer la promotion de ces marchés, assure Serge Villard, pour d'autres circuits, comme les points de vente collectifs, l'appui politique est moins important." Mais de l'avis de tous, ce qu'il faut privilégier, c'est une vision globale du problème. "Dans notre région, nous avons pris le problème globalement au niveau agricole et alimentaire, explique ainsi Jacques Olivier, l'idéal c'est d'avoir cette vision globale avec le problème du coût du foncier, du renouvellement des installations agricoles…" L'Association des régions de France (ARF) estime qu'il faudrait aussi moderniser les principes de la PAC pour développer ces circuits courts. "Il faut moderniser un modèle, qui date de 1965 et qui est maintenant périmé, affirme-t-on à l'ARF, et le remplacer par un modèle régional où on calcule et on gère les aides au niveau régional." Seule façon, selon l'association, de favoriser "une gestion au plus près des besoins du terrain". Il faut dire qu'actuellement, les financements destinés à des réseaux comme les circuits courts, sont intégrés au deuxième pilier de la PAC (développement rural), le volet le moins doté financièrement : 800 millions d'euros, contre 8 milliards pour le premier pilier (soutien des marchés et des prix agricoles). Mais pour le moment, "la PAC ne veut pas traiter la réalité", estime l'ARF, laissant les régions se débrouiller comme elles peuvent sur ces problématiques d'avenir.
Emilie Zapalski