Rénovation urbaine - Le comité de suivi de l'Anru renonce à la mixité sociale
De l'eau a coulé sous les ponts entre les dernières propositions du comité d'évaluation et de suivi (CES) de l'Anru, en 2011, et celles remises à François Lamy en janvier de cette année. Il n'est plus question de s'escrimer à chercher les 9 milliards d'euros estimés nécessaires au PNRU 2 (voir notre article ci-contre du 8 juillet 2011), l'heure est désormais au changement de paradigme.
Le rapport 2013 du CES de l'Anru, intitulé "Changeons de regard sur les quartiers. Vers de nouvelles exigences pour la rénovation urbaine", se félicite toujours de l'amélioration des conditions d'habitat dans les quartiers concernés par le PNRU 1 (constat qui "justifie à lui seul la poursuite de la rénovation urbaine, dans des quartiers qui n'ont pu encore en bénéficier ou que partiellement", estime-t-il). Il reconnaît surtout explicitement que les autres objectifs du PNRU - la mixité sociale, la réduction des inégalités sociales, la banalisation des quartiers - "ne seront que partiellement atteints". "Les quartiers ne deviendront pas des quartiers 'comme les autres', sauf dans certains contextes à long terme, est-il aujourd'hui conscient. Il faut donc accepter leurs différences et leur fonction urbaine spécifique."
Interrogé par Localtis, François Lamy nous a confié être "en désaccord" avec cette position. "L'objectif de mixité sociale sera très difficile à atteindre, mais l'abandonner reviendrait à adopter une logique de spécialisation des territoires", a-t-il ajouté. Le ministre délégué à la Ville ne renonce pas plus à l'idée d' "essayer que ces quartiers redeviennent des quartiers normaux".
Des principes fondateurs remis en cause
Il fallait être bien "naïf pour croire qu'une action centrée sur l'urbanisme et l'aménagement puisse produire à elle seule des changements socioéconomiques radicaux dans les quartiers", assume aujourd'hui Yasid Sabeg, président du CES de l'Anru. L'objectif de mixité sociale "était basé sur une hypothèse de lien entre diversification de l'habitat et diversification du peuplement", contestent aujourd'hui les auteurs du rapport. Dit autrement : on a cru que proposer des petits pavillons à l'accession sociale aux pieds des barres HLM réhabilitées ferait venir la classe moyenne. Or, si la diversité de l'habitat a bien eu lieu, "les classes moyennes ne se sont pas installées massivement", constate aujourd'hui le CES, "et on n'observe pas un brassage social important dans les espaces publics, les commerces ou les écoles".
"Un des effets positifs des projets a toutefois été d'ouvrir l'espace des possibles en matière de mobilité résidentielle à certains habitants des quartiers (ceux concernés par le relogement, et ceux accédant à la propriété), là où avant le PNRU prévalait un sentiment d'assignation à résidence", se félicite le CES.
Autre principe remis en cause : celui dit de "la réduction des écarts à la moyenne". Le CES suggère clairement de "sortir de la logique du rapport à la moyenne". "Il a toujours existé et il existera probablement toujours des quartiers accueillant en majorité des ménages défavorisés. Ces quartiers ont un rôle social, et il faut leur donner les moyens de remplir ce rôle", est désormais le credo à suivre. Il ne faudrait pas y voir la justification des ghettos, mais l'idée qu'il faut "accepter la place de tous y compris des plus modestes dans la ville et la réalité des dynamiques territoriales à l'oeuvre". Et de citer en exemple le département de la Seine-Saint-Denis qui constituerait "un sas d'accueil des populations précaires et issues de l'immigration. La fonction de certains quartiers du département est donc l'intégration de ces populations dans le système métropolitain francilien".
Plus généralement, les membres du CES rejettent l'affirmation d'une "norme sociale et urbaine", citant le géographe et politologue Philippe Estèbe : "On ne peut pas tous s'intégrer dans une vaste classe moyenne : il faut savoir durablement composer avec les différences sociales et les inégalités territoriales."
Et puis, "la pauvreté n'est pas seulement problématique lorsqu'elle est regroupée", rappelle le CES. Il est nécessaire de prendre en compte les dynamiques territoriales de la pauvreté pour mener à bien une action publique de traitement de la question socio-spatiale."
Les potentialités des quartiers
Comme le rapport précédent, le CES épingle "la gouvernance mise en place pour rendre efficace le PNRU" car elle n'aurait pas été capable de produire des "projets intégrés de territoire, seuls à même d'entraîner des effets globaux et durables". En cause : "la négation du fait intercommunal, l'erreur manifeste de séparation des volets social et urbain de la politique de la ville, le centralisme rigide ainsi que l'absence de prise en compte des habitants".
L'idée de "parier sur les potentialités des quartiers et les atouts de leurs habitants" n'est pas nouvelle : les prochains PRU devront être "co-construits" avec les habitants, ils devront "davantage articuler développement exogène et endogène" et s'appuyer sur les atouts des quartiers que seraient "la qualité paysagère (sic), la richesse associative, commerciale, la diversité de la population et sa jeunesse" et les potentialités foncières.
Il s'agit de "changer la vision à l'origine du PNRU" : d'une perception des quartiers comme "facteurs de problèmes et de nuisances qu'il faudrait guérir", il faudrait passer à "une conviction que les quartiers représentent un potentiel à exploiter (sans nier qu'il existe des problèmes à résoudre)". Le premier intérêt serait de "faciliter la mobilisation générale des acteurs et des habitants", reconnait le CES, citant l'urbaniste Jacqueline Lorthiois : "Une vision basée sur la pénurie et le déficit risque de déboucher soit sur l'apitoiement et l'assistanat, soit sur la culpabilisation et le rejet. [...] On ne construit pas une logique de projet sur du négatif et du manque."
Pas d'empowerment à la française
Par développement endogène, "il ne s'agit pas de défendre une conception libérale telle que celle de l'empowerment", prévient le comité, citant cette fois-ci l'urbaniste Marie-Hélène Bacqué qui définit l'empowerment comme "un processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d'action, de s'émanciper". Développé aux Etats-Unis "du fait d'une culture de l'organisation communautaire ainsi que d'un désengagement massif de l'Etat des politiques urbaines et sociales", l'empowerment ne serait pas adapté au contexte français car "les quartiers français sont loin d'être dans la situation d'abandon de certains secteurs des villes américaines", estiment les membres du comité.
Concrètement, le rapport égraine péniblement "trois thématiques [qui] peuvent particulièrement bénéficier d'une réflexion fine en matière d'identification des atouts et des potentiels des quartiers" : la qualité urbaine (implanter une station de tramway "dans un lieu de vie déjà en germe") ; le développement économique et commercial ("faire passer le commerce ethnique, perçu comme excluant pour une partie de la population, en un commerce exotique, qui s'inscrit dans la spécificité du quartier tout en étant ouvert à tous") ; le foncier ("toutes les parcelles susceptibles d'accueillir des activités ou du logement devront être exploitées").
Et surtout "l'ensemble des potentiels identifiés devront s'inscrire dans un projet urbain porté par les intercommunalités". "Nécessairement, il faudra élargir l'échelle spatiale mais aussi temporelle des projets à 15 ou 20 ans", ajoute le rapport. Plus généralement, partir des potentialités des quartiers nécessiterait "une réorganisation institutionnelle des relations entre l'Etat et les collectivités locales qui prennent mieux en compte les différences et spécificités territoriales".
Une nouvelle agence nationale
Dans la ligne de ce qui est ressorti de la concertation Lamy, les relations avec les collectivités locales seraient régies par des "contrats d'objectifs entre l'Etat et les intercommunalités". Ce seraient des "contrats uniques" qui "rassembleraient le volet urbain et le volet social de la politique de la ville, ainsi que la mobilisation des crédits de droit commun, et notamment l'éducation".
Ils "fixeraient les grandes lignes d'un projet urbain et social et définiraient des objectifs à atteindre à une échéance pluriannuelle sous forme de programme d'actions". L'idée étant de "transformer le modèle actuel de gouvernance du PNRU, plutôt centralisé, pour se diriger vers un modèle où les intercommunalités auraient davantage de marges de manoeuvre".
Tenant à un "Etat "stratège", le CES envisage la fusion de l'Anru, de l'Anah, de l'Epareca, au sein d'une nouvelle "Agence nationale de l'égalité des territoires", nouvel organisme "disposant d'une vision globale et territoriale et des moyens inhérents à son action". La question d'une agence plus large, regroupant également la Datar ainsi que des services des ministères de l'Egalité des territoires et de l'Environnement, séduit aussi certains, ainsi que la possible intégration de l'Acsé.
Des délégations locales sur le modèle de l'Anah
Cette nouvelle agence serait "libre de contractualiser avec les collectivités, en premier lieu les intercommunalités", sur les projets de renouvellement urbain, mais aussi de développement économique, ou encore sur des grands projets comme les OIN (opérations d'intérêt national)... Elle disposerait de délégations locales, "sur le modèle de l'Anah", qui seraient en charge de la mise en oeuvre et du suivi des projets aux côtés des collectivités. Elle signerait les futurs contrats d'objectifs sociaux et urbains, qui regrouperaient les crédits spécifiques de la politique de la ville et les crédits de droit commun.
Pour le CES de l'Anru, cette agence nationale s'appuierait sur "de grands principes mobilisateurs : la mixité sociale, le développement et la compétitivité économique, l'équité et la cohésion territoriale..."
La mixité sociale aurait donc toujours de beaux jours devant elle. Pas comme objectif à atteindre, mais comme objectif strictement "mobilisateur". Si la politique de la ville compte encore quelques naïfs parmi ses acteurs, les voilà prévenus.