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Emploi des jeunes - L'apprentissage résiste à la crise mais la réforme piétine

Le nombre de contrats d'apprentissage a augmenté de 5% à la rentrée 2009 par rapport à 2008. Un résultat encourageant, après une forte diminution les années précédentes et malgré la crise économique. Mais de nombreux points de la réforme en cours font débat, en particulier sur le financement.

L'apprentissage a finalement résisté ! Les contrats d'apprentissage ont en effet connu, malgré la crise économique, une hausse de 5% en 2009 contre une baisse de 25% en 2008. Au total, pour les trois premiers mois de l'année 2009, 212.000 contrats en alternance ont été signés. "Nous avons réussi à faire baisser le taux de chômage des jeunes alors que le taux moyen de chômage continuait à augmenter", s'est félicité Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, lors d'une journée-débat organisée par l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI), le 19 janvier 2010, sur le thème "Développer l'apprentissage, veut-on s'en donner les moyens ?". Parmi les raisons de cette progression : les efforts des régions en la matière et les mesures incitatives mises en place par le gouvernement, avec une prime de 1.000 euros pour un apprenti supplémentaire (jusqu'au 30 juin 2010) et le dispositif "zéro charges" pour les entreprises qui recrutent un apprenti. La mise en place des développeurs de l'apprentissage dans les chambres de commerce et d'industrie (CCI) a sans doute contribué à ces résultats. Financés par le gouvernement et chargés de démarcher les entreprises pour les inciter à recruter des apprentis, ces développeurs ont remporté un vif succès. 3.820 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés depuis le début de leur déploiement en septembre 2009, grâce à leur appui, pour quelque 15.000 entreprises visitées. Et s'il est encore "trop tôt pour déterminer leur réel impact sur les contrats", d'après Ivan Postel-Vinay, chef de la mission des politiques de formation et de qualification à la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle), leurs atouts sont prégnants. "Les développeurs permettent d'activer les réseaux, Pôle emploi, missions locales, régions, centre de formation d'apprentis (CFA), pour trouver des jeunes dans des zones géographiques éloignées et régler les cas difficiles", a expliqué Sophie Messelier, elle-même développeur des CCI d'Elbeuf et de Rouen. "Ils permettent de mettre de l'huile dans les rouages et de développer l'apprentissage au sein des entreprises qui n'utilisaient pas ce mode de formation", a assuré Marcel Schott, président de la commission formation de la CCI de Strasbourg Bas-Rhin. 54% des contrats ont ainsi été signés par des entreprises non-utilisatrices de contrats en alternance au cours des cinq dernières années. Au vu de ces résultats, la plupart des acteurs de ce nouveau système demande d'ailleurs sa pérennisation, puisque le potentiel d'entreprises est énorme.

 

"L'apprentissage reste encore au niveau du bricolage"

"Rien qu'en Haute-Normandie, il y a 15.000 apprentis dans 45 CFA et 6.000 entreprises, mais le potentiel d'employeurs est de 80.000 !", a détaillé Patricia Lhoir, directrice formation de la chambre régionale de commerce et d'industrie (CRCI) de Haute-Normandie. Seul problème de ce système : la nécessaire coordination avec les autres développeurs, ceux des régions, qui existent depuis plusieurs années. La région Ile-de-France a ainsi mis en place depuis 1993 des développeurs de l'apprentissage, qui sont aujourd'hui au nombre de 100. "Nous avons organisé des rencontres par territoire entre développeurs-CCI, une dizaine, et développeurs-région pour que chacun se connaisse et qu'ils puissent travailler ensemble", souligne Nathalie Chappot, chargée d'animation du réseau Développeurs au conseil régional d'Ile-de-France, un brin déçue que ce principe, mis en place dans la région il y a plusieurs années, n'ait pas eu autant de reconnaissance que les développeurs-CCI. "Mais au final, ça va aider les jeunes", estime-t-elle toutefois. Autre changement important pour l'apprentissage : un changement d'image. "Il y a quelque chose que nous avons gagné, c'est la bataille des idées, a assuré Jean-François Bernardin, président de l'ACFCI. Plus personne ne discute l'utilité de l'apprentissage." Des avancées donc pour ce mode de formation qui se montre très efficace puisqu'il permet aux jeunes d'accéder plus vite à l'emploi. "Maintenant, il faut creuser le sillon plus profond pour changer la dimension de l'alternance et de l'apprentissage", a toutefois affirmé Laurent Wauquiez, pour qui l'apprentissage "reste encore au niveau du bricolage". Objectif : un jeune sur cinq formé par l'apprentissage d'ici à 2015, soit 800.000 apprentis. Un chiffre qui permettrait, selon le ministre, de "franchir un seuil pour que cela devienne une voie majeure de formation dans notre pays". Mais pour cela, des freins persistent et les acteurs ne sont pas toujours d'accord sur leur nature. Pour le gouvernement, il faut avant tout "réduire les obstacles pratiques au niveau des apprentis : logement, statut de l'apprenti, mobilité". "C'est à ces questions que je souhaite qu'on réponde en priorité", a déclaré le ministre. Autre problème à régler : l'orientation des jeunes. "On ne peut pas continuer à avoir un système dans lequel on ne parle jamais de l'apprentissage", a alerté Laurent Wauquiez. Certains proposent de faire intervenir des acteurs de l'apprentissage en conseil de classe dès la troisième mais l'Education nationale n'a pas l'air encore prête pour ces changements.

 

La réforme de l'apprentissage critiquée

L'élargissement de l'apprentissage à tous les niveaux et tous les métiers, comme le recommande le rapport Proglio, remis le 10 décembre 2009 au gouvernement, paraît également nécessaire. "L'apprentissage est majoritairement construit sur un certain nombre de métiers : bâtiment, restauration, artisanat ; on doit conserver ce noyau, mais également investir dans d'autres secteurs, et d'autres niveaux de formation : formations commerciales, services à la personne, métiers du tertiaire", a détaillé Laurent Wauquiez, déplorant qu'à l'heure actuelle, un seul CFA existe dans le domaine touristique. Il faut dire qu'aujourd'hui, 8% seulement des apprentis travaillent dans le secteur tertiaire… Le potentiel est donc là. Mais que ce soient les régions, les CCI ou les CFA, le principe de quotas est majoritairement rejeté. Un principe, abordé dans le rapport Proglio, qui transformerait l'apprentissage non comme une opportunité mais comme une contrainte pour les entreprises… L'ouverture de l'apprentissage à tous les secteurs et à tous les niveaux comporte également un risque : mettre à l'écart les jeunes de niveau de qualification très faible (niveau V). "Il faut maintenir l'apprentissage pour les niveaux V", souligne Nathalie Chappot, en écho à la position du président du Conseil national des missions locales (CNML), Bernard Perrut, qui estime que "ce sont les jeunes les plus éloignés de l'emploi qui devraient être amenés dans cette voie".

Enfin, dernier frein : le financement. "Mon souci est que l'apprentissage se développe et que ce ne soit pas une formation au rabais ; pour cela il faut un apport financier et il nous faut un minimum de visibilité de cinq ans que nous n'avons pas", explique Jean-François Bernardin, qui craint également que l'on touche au système de collecte de la taxe d'apprentissage, pour le centraliser, comme le prévoit le rapport Proglio, un système pourtant particulièrement "efficace" selon lui. La taxe d'apprentissage, qui sert notamment à financer les CFA, est "surexploitée", estime-t-il. Et d'affimer qu'"au-delà de 400.000 apprentis, il faut des ressources car aujourd'hui les CFA sont confrontés à l'asphyxie des conseils régionaux et de cette taxe." La centralisation ne permettrait pas "une adaptation suffisamment rapide à la diversité des besoins des entreprises". Même discours côté régions. "Nous attendons toujours les avenants à nos contrats d'objectifs et de moyens existants, a expliqué Marie-Laure Meyer, conseillère régionale d'Ile-de-France. C'est très difficile de s'engager sans rien savoir sur le financement que nous aurons." Impôt régional, crédit d'impôt, meilleure affectation de la taxe d'apprentissage et des ressources de la formation professionnelle… les solutions mises en avant sont nombreuses. Reste à savoir ce que le gouvernement est prêt à mettre sur la table, pour permettre aux CFA de faire plus de place pour les apprentis…

 

Emilie Zapalski