Mixité sociale / Education - La sectorisation multicollèges à la rentrée scolaire 2016 dans une vingtaine de territoires pilotes
Najat Vallaud-Belkacem ne promet pas le "grand soir de la mixité sociale" mais "une nouvelle voie, à ce jour inexplorée", celle de "la construction des solutions à partir des acteurs de terrain". Son ministère a repéré 17 départements décidés à imaginer, sur des territoires pilotes encore à définir, des "solutions concrètes". La solution privilégiée semble celle de la création de secteurs multicollèges ainsi que la permet la loi pour la refondation de l'école, son décret d'application du 15 juillet 2014 et la circulaire du 9 janvier 2015 (voir nos articles ci-contre).
Cela fait un moment, en effet, que les outils existent. Force est de constater que les départements et les Dasen ne s'en sont pas saisis spontanément. Avant d'envisager une éventuelle généralisation à l'échelle nationale, plusieurs départements se sont donc portés candidats pour être pilotes en la matière. Ils sont dix-sept aujourd'hui (*), le ministère indique qu'ils seront vraisemblablement une vingtaine d'ici à la fin de l'année 2015.
Chaque département aura son territoire pilote. Trente à cinquante collèges seraient concernés.
Des territoires pertinents ignorants les frontières administratives
Le ministère de l'Education nationale n'est pas très clair sur le périmètre de ces territoires pilotes. Il semblerait que ce seront soit des villes, soit des agglomérations, voire des métropoles, et certains pourraient même se situer en "zones rurales". Le ministère entend quoi qu'il en soit s'abstraire des frontières administratives. La règle, c'est que les territoires pilotes, pour être "pertinents" répondront à trois caractéristiques : ils seront constitués d'un ensemble de collèges, "pas trop nombreux", entre lesquels vont s'exercer le choix des familles ; l'échelle distance/temps entre le lieu d'habitation des élèves et le collège sera "réaliste" ; les collèges seront "significativement ségrégés entre eux". Cette ségrégation, impliquant une "concurrence entre les collèges", sera mise en évidence par deux outils cartographiques créés par la Depp (direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, ministère de l'Education nationale) et mis à la disposition des Dasen, des départements et des maires pour affûter leur diagnostic et chercher des solutions ad hoc favorisant la mixité sociale.
Création de secteurs multicollèges : une décision des départements
Le premier levier pour renforcer la mixité sociale dans les collèges de ces territoires consisterait à créer des secteurs multicollèges. Une décision qui revient au département, en concertation "avec l'ensemble de la communauté éducative (élus locaux, chefs d'établissements, enseignants, parents d'élèves, associations partenaires de l'école)". Dès lors, les élèves résidant dans le secteur élargi ont le droit d'être affectés dans un des établissements de celui-ci, et les familles sont invitées à classer par ordre de préférence tous les établissements du secteur dont ils font partie.
Si les capacités d'accueil d'un établissement ne permettent pas de donner satisfaction à tous les premiers choix formulés par les familles (en clair : si les demandes se concentrent sur le "bon collège de centre-ville"), l'affectation des élèves répondra à des critères déterminés en lien avec le département.
Rebattre les cartes de la concurrence entre collèges
Les deux premiers critères sont imposés par l'Education nationale (priorité aux élèves handicapés et aux élèves bénéficiant d'une prise en charge médicale à proximité de l'établissement), mais les critères suivant d'affectation sont déterminés localement "en pleine liberté". Le ministère souffle quelques idées, comme la priorité aux élèves boursiers, la distance domicile/établissement, les choix pédagogiques exprimés par les familles (carte des langues, classes à horaires aménagés...), continuité de cycle 3 entre écoles et collèges, maintien des liens amicaux entre élèves...
Le ministère compte beaucoup sur l'offre pédagogique des établissements pour leur redonner de l'attractivité et, d'une certaine manière, rebattre les cartes de la concurrence. On se souvient du fameux : "Vous voulez faire du russe ? C'est à Vaulx-en-Velin !", qu'avait lancé Vincent Peillon en janvier 2014 alors qu'il disait, déjà, vouloir s'attaquer aux effets pervers de l'assouplissement de la carte scolaire en rendant "attractifs" les collèges des quartiers sensibles, en faisant de ces établissements "des lieux d'excellence" (voir notre article du 16 janvier 2014).
Redéfinir la carte scolaire
Les secteurs multicollèges ne sont pas l'unique solution. Le ministère en envisage d'autres, comme "la redéfinition de la carte scolaire à partir des réseaux de transports en commun des grandes métropoles". Il souffle aussi l'idée de constituer des "cartes scolaires 'mouchetées' dans les zones à forte ségrégation". Et même "la constitution de réseaux de collèges intégrés en zones rurales".
Question financement, il n'y a pas d'enveloppe dédiée à ces territoires pilotes. Toutefois, le ministère laisse entendre que les académies seront évidemment plus enclines à donner les moyens aux collèges dynamiques en matière de mixité sociale...
Le même état d'esprit résidera lorsque se posera la question de l'ouverture d'une classe supplémentaire dans une école privée sous contrat située dans ces territoires pilotes. La décision de l'Education nationale pourrait alors être conditionnée à l'engagement d'une meilleure composition sociale des élèves...
"Je ne m'apprête pas à changer la réglementation", assure Najat Vallaud-Belkacem, estimant que la mixité sociale "n'est pas qu'un enjeu de sectorisation" et désireuse de ne pas relancer un énième débat sur l'assouplissement de la carte scolaire.
Elle ne souhaite pas "imposer la mixité sociale par le haut". Son ambition : "donner envie aux familles de mixité sociale et montrer aux collectivités locales qu'elles y ont intérêt sans pour cela se mettre la population à dos".
Valérie Liquet
(*) Doubs, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Seine-Saint-Denis, Haute-Savoie, Loire, Hérault, Meurthe-et-Moselle, Maine-et-Loire, Eure-et-Loir, Indre-et-Loire, Paris, Charente-Maritime, Ille-et-Vilaine, Bas-Rhin, Tarn et Haute-Garonne.