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Education - Création du collectif Mixités à l'école : "par quoi on commence ?"

Est-il possible, quand on parle de mixité scolaire, d'aller au-delà des constats accablants et des discours moralisateurs ? Peut-on par exemple évoquer, sans tabou, la communautarisation des quartiers, sa prise en compte dans la gouvernance locale et dans la formation des enseignants et des animateurs ? La Conférence de comparaisons internationales des politiques de "mixités sociale, scolaire et ethnoculturelle à l'école", organisée les 4 et 5 juin à Paris, montre que oui. Le collectif créé dans la foulée porte à ce titre plein de promesses.

La mixité scolaire ne peut être pensée sans aborder les mixités résidentielles. La question est d'autant vive dans un contexte où les migrations internationales s'accompagnent d'une communautarisation des quartiers, et qu'on ne peut penser les mobilités géographiques sans penser leur gouvernance au niveau local, sachant qu'elles ne seront pas efficaces en l'absence d'objectifs clairement affichés, et d'un cadrage national fort... Elle suppose de penser la formation des personnels pour une culture commune des enseignants, des agents communaux - des Atsem notamment - des animateurs des activités péri et extrascolaires... Ces activités elles-mêmes sont les lieux de ségrégations territoriales, mais aussi de genre...
Georges Felouzis, professeur en sociologie des politiques éducatives à l'université de Genève, souligne que la ségrégation scolaire, c'est "une mise à l'écart", une "assignation à résidence" qui alimente un cercle vicieux : la ségrégation urbaine produit de la ségrégation scolaire qui, à son tour, reproduit de la ségrégation urbaine. Dès lors, la carte scolaire à la Française, appliquée strictement, reproduirait les inégalités ; assouplie, elle aurait également des effets pervers. La preuve était donnée par les mères du collège du Petit Bard, à Montpellier, venues en ouverture de la Conférence témoigner et dénoncer la ségrégation. D'où l'interrogation de Nathalie Mons : "par quoi on commence ?"

Dans la foulée de la Conférence internationale

C'est ainsi que la présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire a conclu la Conférence de comparaisons internationales des 4 et 5 juin, organisée à Paris par le Cneso et par le CSE (le Conseil supérieur de l'éducation du Québec) sur les "mixités sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école" (voir notre article ci-contre du 1er juin).
La question fera sans nul doute l'objet des premières rencontres du collectif qui s'est créé dans la foulée de la Conférence. Réunissant des individus et des institutions (dont les collectivités territoriales), en France, au Québec et en Belgique, il formulera, d'ici un an, des propositions concrètes pour agir, pour développer la recherche, concevoir des outils de mesure des ségrégations et une base de données des pratiques de terrain.

Un tabou ?

Aucun des participants de la Conférence ne croit en effet à "un grand soir" qui résoudrait d'un coup toutes les questions qui ont jailli autour de la mixité scolaire et la salle semblait adhérer à l'idée des "petits pas". Certes. Mais pour Nathalie Mons, "la France doit accepter de reconnaître son retard" en matière de mixités, et doit s'interroger sur les raisons de sa "cécité". La question reste en effet tabou, occultée par la formule, "une République une et indivisible" qui suppose que les nouveaux venus abandonnent toute référence à leur culture d'origine, tandis que le "collège unique" n'évite pas de nouvelles formes de ségrégation, plus occultes. Ce sont donc, au premier chef, "les représentations sociales, les croyances, les valeurs" qu'il faut "faire bouger". Or les réactions aux politiques de déségrégation vont de l'"hostilité nette" à "l'indifférence".

Des dilemmes éthiques

Il faudrait aussi tenir compte des dilemmes éthiques. Le principal d'un collège doit-il privilégier la mixité scolaire au sein de son établissement, mais accepter de voir certaines familles contourner la carte scolaire pour l'éviter, ou faire des classes de niveau à options pour les attirer et les maintenir ? Comment dès lors "vendre cette mixité" aux personnels de l'Education nationale, aux parents et aux élus ? Et comment faire pour les toucher en même temps ? Cela suppose à tout le moins de disposer de connaissances scientifiques sur les effets des mixités, donc d'un appareil statistique qui ose mettre des mots sur les réalités.
Il faudrait aussi "oser expérimenter", sachant qu'à chaque terrain correspond "une boîte à outils", selon qu'on est en milieu rural ou urbain, dans un territoire en croissance ou en décroissance démographique... et cela suppose un "diagnostic partagé" qui permette de dépasser le sentiment d'impuissance.

Des discours moralisateurs qui ne mènent pas loin

En effet, souligne Claude Lessard, la transformation des représentations suppose "de prendre au sérieux la parole de tous les acteurs, y compris ceux qui refusent la mixité". On se condamne sinon "à tenir des discours moralisateurs qui ne mènent pas loin". Et, ajoute-t-il, c'est d'autant plus important mais d'autant plus difficile que cette question des mixités est de celles par lesquelles "on attrape tout", et qui "révèle beaucoup de choses" sur les politiques migratoire, urbaine, de logement, de formation, sur la place des parents, sur l'information des publics scolaires. C'est un enjeu qui touche tous les acteurs sociaux.
Le président du CSE québécois a bien l'intention de participer au réseau qui se met en place. Il est venu à Paris convaincu de participer à une conférence de plus, qui soulignerait la complexité de la question, et donc la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité d'agir. A l'issue des deux jours de débats, il s'est réjoui de voir le Cnesco sortir de son rôle de simple évaluateur, "être beaucoup plus que ça" et s'engager dans cette entreprise de transformation des représentations.

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Mesurer la mixité : une problématique éthique et ethnique ?
Comment mesure-t-on la mixité en Belgique, en Suède, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne ? La question était posée en ouverture de la Conférence internationale. Rapidement, se sont dessinées des méthodes très diverses, de la France qui ne prend en compte que des critères socio-économiques, à la Belgique où les statistiques sont rares, en passant par la Suède qui tente d'évacuer les questions religieuses et ethniques de ces données.
Dans les pays anglo-saxons - Grande-Bretagne, Canada et Etats-Unis - la question des statistiques ethniques est moins taboue, même si elle reste éminemment politique. En Grande-Bretagne, la pratique de statistiques ethniques s'est développée dès les années 80. Le Canada utilise la notion de "minorités visibles". Aux Etats-Unis, la "race" a longtemps été prise en compte dans les mesures de mixité. Non sans problème, puisque jusqu'en 1997, il était impossible de cocher plusieurs races lors des recensements... On lui préfère aujourd'hui des critères socio-économiques.