Education / Ville - Nouvelles mesures pour l'école : le gouvernement mise plus que jamais sur la mixité
"Nous devons réarmer l'Etat. Accomplir une mobilisation sans précédent", a déclaré Manuel Valls avant la présentation par sa ministre de l'Education nationale d'un "plan Ecole" en faveur de la laïcité et des valeurs républicaines, de l'apprentissage de la citoyenneté et de la réduction des inégalités.
Un plan élaboré après dix jours d'échanges avec les organisations représentatives des personnels enseignants et non enseignants, les parents, les lycéens, les étudiants, les collectivités locales (voir notre article du 15 janvier), les anciens ministres de l'Education nationale, les associations d'éducation populaire, les acteurs de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, dans le cadre de la "Grande Mobilisation de l'école pour les valeurs de la République".
Un plan en 11 mesures qui représente un effort budgétaire estimé, sur les 3 prochaines années, à plus de 250 millions d'euros, dont 71 millions d'euros sur 2015 financés par le ministère de l'Education nationale.
La "politique de peuplement" après l' "apartheid"
"Comment (dans les quartiers populaires) rendre nos politiques publiques plus visibles, plus concrètes, au bénéfice du plus grand nombre ?", a lancé le Premier ministre avant que Najat Vallaud-Belkacem n'expose son plan. Réponse : "début mars", avec la réunion d'un comité interministériel "consacré à la lutte contre les inégalités, au combat pour l'égalité dans ces quartiers". "Sur la base de ces réflexions et de ces propositions, nous prendrons les décisions qui s'imposent", a-t-il avancé.
Des décisions budgétaires. Mais aussi des décisions concernant la "politique du peuplement". "Pas seulement politique du logement et de l'habitat", a précisé Manuel Valls, mais aussi : "politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation. Egalité hommes-femmes, un sujet majeur. Lutte contre la radicalisation, que nous faisons dans d'autres domaines", a-t-il énuméré. Sans oublier : l' "emploi, bien sûr. Mobilisation aussi des parents, des familles, là où il n'y a souvent qu'un seul parent".
Nul doute que l'expression "politique de peuplement", que les élus et professionnels du logement utilisent pour désigner une politique de l'habitat en faveur de la mixité sociale (parfois ethnique, voire générationnelle), donnera lieu à commentaires. Evidemment que l'utiliser dans un discours grand public invite à polémique, surtout deux jours après le coup de l' "apartheid territorial, social, ethnique" (voir notre article ci-contre du 20 janvier 2015). Coup médiatique ou coup de poing sur la table pour susciter le débat ? Chacun jugera. Ce qui est sûr, c'est que nombre de communes et d'intercommunalités s'efforcent déjà de le faire via les commissions d'attribution du logement social et les projets Anru. Et que l'article 8 de la loi Lamy du 21 février 2014 l'impose dans chaque contrat de ville via une "convention intercommunale" (voir notre article du 18 mars 2014 "Tout savoir sur la loi Lamy" et plus récemment notre article du 8 décembre 2014 "Le CGET propose une trame à la rédaction des futurs contrats de ville").
Une politique de "peuplement des collèges" ?
Parmi les 11 mesures que la ministre de l'Education nationale a présentées ce 22 janvier, l'une d'entre elles évoque la mise en place d'une "politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges" (1er volet de la mesure 8). De là à parler de "peuplement des collèges"…
A y regarder de près, il ne s'agit en rien d'une annonce mais de la mise en œuvre d'un décret paru cet été en application de la loi pour la Refondation de l'école et "relatif à la coopération entre les services de l'État et le conseil général en vue de favoriser la mixité sociale dans les collèges publics" (voir notre article du 22 juillet 2014 Carte scolaire calée sur un périmètre de transports urbains : un décret invite à passer des conventions). Décret qui a tout récemment donné lieu à une circulaire adressée le 7 janvier aux préfets (voir notre article Mixité sociale dans les collèges : une circulaire suggère un mode de concertation entre conseils généraux et rectorats du 9 janvier 2014). En résumé : depuis la loi Peillon du 8 juillet 2013, les collèges publics situés à l'intérieur d'un même périmètre de transports urbains peuvent, "lorsque cela favorise la mixité sociale", partager un même secteur de recrutement (article 20). Le décret et la circulaire posent les cadres de la coopération entre les services départementaux de l'Education nationale et les conseils généraux. Ils doivent, ensemble, réaliser un état des lieux 2015-2016 sur la "mixité sociale" des collèges publics et privés sous contrat, puis définir des objectifs en matière de mixité sociale au sein des collèges publics, à l'échelle du département, et à l'échelle de territoires infra-départementaux "identifiés comme pertinents". Dès lors, les directions des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN) mettront en place une "procédure d'affectation des élèves permettant de renforcer la mixité sociale des établissements des nouveaux secteurs de recrutement".
Un partenariat "renouvelé" avec les collectivités locales
Mais parmi les 11mesures annoncées par Najat Vallaud-Belkacem ce 22 janvier, c'est certainement la 5e qui attirera les collectivités. Intitulée "Mobiliser toutes les ressources des territoires", elle porte la promesse d'un "partenariat renouvelé avec les collectivités locales pour la réussite éducative des jeunes" et sera mis en œuvre en partenariat avec le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports.
Les projets éducatifs territoriaux (PEDT) auront désormais un volet "laïcité et citoyenneté". Et ce volet sera financé par un fonds d'État de 10 millions d'euros dédié, à destination des associations de jeunesse et d'éducation populaire.
Il y aura aussi un volet "laïcité et citoyenneté" dans les contrats de ville. Ces contrats devront également aborder la "prévention des ruptures sociales et scolaires", mais aussi l'accompagnement des parents, l'accompagnement des jeunes vers l'insertion et l'emploi. Les maisons des adolescents et les maisons de la justice et du droit devront être partenaires.
Le "plan Ecole" prévoit également, sans plus de précision, de "développer les programmes de réussite éducative qui ont montré leur efficacité dans le suivi et l'accompagnement individuel des jeunes, sur tout le territoire". Il s'agirait notamment de "favoriser la participation des acteurs de l'Education nationale" qui fait aujourd'hui défaut.
Un "cadre commun" pour la mise en oeuvre de la laïcité dans les services publics locaux
La ministre entend aussi "engager avec les élus la construction d'un cadre commun facilitant la mise en oeuvre du principe de laïcité dans les services publics locaux". Elle précise qu'il faudra le faire "avec vigilance pour que les intervenants auprès des enfants et des jeunes connaissent les principes de la laïcité et s'engagent à les transmettre et à les appliquer fermement".
Elle compte également encourager "les initiatives des collectivités territoriales" pour conduire à la création de nouvelles places d'internat, notamment au niveau du collège, dans le cadre de la politique des internats de la réussite et du programme d'investissement d'avenir (PIA). Un point qui serait également prioritaire pour l'enseignement agricole, dont la majorité des élèves sont internes.
Une "réserve citoyenne" d'appui aux écoles dans chaque académie
Toujours au registre de la mobilisation de "toutes les ressources" des territoires, Najat Vallaud-Belkacem annonce que les liens de l'Education nationale avec l'éducation populaire seront "renforcés". Un engagement d'autant plus utile que, comme on l'a vu, la ministre compte sur l'implication des associations d'éducation populaire dans les PEDT, et particulièrement pour le nouveau volet "laïcité".
Le contenu des conventions pluriannuelles d'objectifs des réseaux d'éducation populaire sera donc redéfini "au regard des enjeux actuels", avec le souci de parvenir à des engagements communs de tous les ministères concernés "dans un cadre stabilisé et durable". Une "simplification" et une "reconnaissance inédite de la part de l'État", insiste-t-elle. Elle compte sur "l'intervention de l'éducation populaire dans les territoires les plus fragiles" pour "porter et transmettre les valeurs de la République". Les liens avec les associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme seront également redéfinis "afin de renforcer la mise en œuvre de leurs actions éducatives et pédagogiques spécifiquement sur les problématiques du vivre-ensemble, de la lutte contre les préjugés, le racisme, l'antisémitisme, la xénophobie".
Nouveauté : "une réserve citoyenne d'appui aux écoles et aux établissements, sur le modèle de la réserve citoyenne de la Défense" sera constituée "dès ce printemps" dans chaque académie, sous l'autorité des recteurs. Seront notamment sollicités pour y participer : "les personnes désireuses d'apporter leur concours aux missions de l'école, les bénévoles d'associations partenaires au plan local et les délégués départementaux de l'Education nationale (DDEN)".
Plus de moyens budgétaires pour la lutte contre le décrochage scolaire
La mesure 7 est entièrement dédiée à l'accélération de la mise en œuvre du plan de lutte contre le décrochage scolaire. Il est rappelé que les recteurs sont mobilisés pour décliner opérationnellement la "stratégie de lutte contre le décrochage". Il leur est demandé d' "être en première ligne" avec les autres services de l'État "et ceux de la région", pour mettre en oeuvre le "droit au retour en formation". Pour rappel, il s'agit de faire accéder à la qualification les 620.000 jeunes sortis du système scolaire, aujourd'hui ni en emploi ni en formation, et les 140.000 jeunes qui chaque année quittent l'école sans qualification. "Les moyens budgétaires seront renforcés sans délai", a promis la ministre.
Par ailleurs, une campagne de communication sera mise en place en direction des jeunes bénéficiaires de ces nouvelles dispositions du droit au retour en formation.
Accompagner individuellement les enfants les plus fragiles
Parmi les 11 mesures, de-ci de-là, quelques-unes concernent de près les collectivités sans en avoir l'air.
Il est par exemple redit que, comme l'exige désormais la loi Peillon, "les espaces de parents seront développés dans chaque école et établissement (un point de la mesure 4).
Si on prend par exemple le renforcement de la prise en compte des enfants "en situation de pauvreté" (un point de la mesure 9), les collectivités liront avec plaisir que "l'Éducation nationale doit concilier une logique d'intervention collective à l'échelle des établissements scolaires et une capacité à accompagner individuellement les enfants les plus fragiles en lien avec les services de l'Aide sociale à l'enfance (du conseil général)". A cet effet, le financement des fonds sociaux sera porté à 45 millions d'euros (soit une augmentation de plus de 20%), a annoncé la ministre, rappelant au passage la "mobilisation accrue" en faveur de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, qui permet une socialisation précoce "d'autant plus profitable à l'enfant qu'il est fragile au plan social".
Les maires ayant un rôle de contrôle de l'obligation scolaire, ils seront intéressés de lire cet autre point noyé dans la mesure n°9 : "l'instruction à domicile fera l'objet d'un contrôle renforcé, impliquant des équipes pédagogiques en appui aux corps d'inspection effectuant actuellement les contrôles. À cette fin, des professeurs seront missionnés pour venir en appui aux corps d'inspection effectuant actuellement ces contrôles" (voir aussi notre article du 7 avril 2010, Lutte contre les sectes : comment faire respecter l'obligation scolaire ?)
Valérie Liquet avec l'AFP
François Hollande annonce un acte II de la refondation de l'école
François Hollande avait déjà dévoilé l'essentiel du plan Ecole, la veille, à la Sorbonne, lors de ses vœux au monde éducatif. Un plan qui, selon lui, marquerait un "acte II" de la refondation. Son grand discours de 50 minutes n'avait donné lieu qu'à peu d'annonces concrètes, mais le chef de l'Etat avait martelé une conception de l'école, qui doit à la fois "transmettre des savoirs" et "la force de nos valeurs" et qui doit "faire aimer la République".
François Hollande a évoqué la mise en place "d'un enseignement laïc du fait religieux", mais aussi une éducation "aux médias", "à l'information" pour apprendre "à décrypter", à "faire la part des choses". Il a assorti son propos d'un volet sur l'autorité du maître, sans lequel il n'y a pas de transmission, et qui n'est pas "un fonctionnaire comme les autres". Les élèves lui doivent le respect et "tout comportement mettant en cause les valeurs de la République" devra être signalé, "aucun incident ne sera laissé sans suite". Le président en appellait d'ailleurs aux chefs d'établissement pour que soient détectés et signalés, s'il le faut à la police, ou transmis à la Justice, tous les "signes précurseurs" de la radicalisation.
Il demande aussi que les familles signent le règlement intérieur et la charte de la laïcité. Le 9 décembre, journée de la laïcité, sera célébrée dans tous les établissements, les travaux qui y prépareront les élèves seront inscrits dans le projet d'école.
Pour lui, l'école ne doit pas se considérer comme une "citadelle assiégée", "isolée". Il a demandé qu'à l'image de la réserve qui existe pour l'armée soit créée dans chaque académie une "réserve citoyenne" permettant de mobiliser des journalistes, des avocats, des artistes... pour que écoles, collectivités, associations, élus, entreprises "travaillent ensemble".
Le Président avait aussi à coeur de rappeler ce qui avait été fait depuis 2012. Il a confirmé les 60.000 recrutements, justifié la réforme de l'éducation prioritaire, s'est félicité de l'ouverture de classes pour les moins de 3 ans, de l'accueil des élèves en situation de handicap, de la réforme des rythmes…
Il a également confirmé que la réforme du collège serait très prochainement annoncée, tout comme le sera le "grand plan numérique".
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