Education - Mixité à l'école : le Cnesco invite à aller plus loin que la carte scolaire
Quelques jours après la conférence de comparaisons internationales sur les mixités à l'école, qui s'est déroulée les 4 et 5 juin à Paris (voir nos articles ci-contre des 1er et 9 juin 2015), le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) a formulé 12 propositions inspirées des expériences étrangères mais adaptées au contexte français. "De ces débats, il en est résulté que ces mixités doivent être considérées comme plurielles", d'où le titre du rapport : "Mixités sociales et scolaire à l'école : agir, impliquer, informer".
Le Cnesco rendra publiques fin 2016 les suites qui auront été données à l'ensemble de ses préconisations. La plupart d'entre elles concernent de près les collectivités locales.
Un bonus "mixité" ?
La première recommandation du Cnesco est d'engager une action "d'urgence" dans les 100 collèges les plus ségrégués : les "établissements ghettos" (un terme utilisé et assumé par le Cnesco). Il s'agit naturellement de procéder à des "ajustements de carte scolaire" pour "contribuer à diversifier socialement et scolairement les publics". Mais cela ne suffira pas, selon les auteurs du rapport. Ces ajustements "doivent être associés, simultanément, à une politique d'attractivité des établissements par une offre de formation, scolaire, parascolaire et périscolaire de qualité (devoirs surveillés, séjours linguistiques, équipements numériques, sportifs, par exemple) mais aussi par un encadrement pédagogique riche".
Mesure emblématique du rapport, ils proposent de développer un bonus "établissement de la nouvelle mixité" consistant à faciliter l'orientation des élèves de ces 100 collèges vers les lycées "recherchés" (*). Histoire d'encourager aussi les politiques de "mixité par le haut", l'idée de ce bonus "établissements de la nouvelle mixité" vaudrait également pour les élèves dont les collèges et les lycées "se mobilisent contre la ségrégation". Ces collégiens seraient dès lors "soutenus" dans leur souhait d'orientation vers les lycées demandés (et les lycéens vers les filières de l'enseignement supérieur qu'ils souhaitent).
Pour le Cnesco "ouvrir les établissements les plus favorisés aux élèves qui le sont moins est un processus plus aisé que l'affectation d'élèves favorisés dans des établissements plus ségrégués". Il encourage la démarche et invite à la formaliser dans des contrats tripartites. D'une durée de 4 ans, ces contrats associeraient autorité académique, collectivités territoriales et chacun des établissements, avec l'objectif de "permettre un pilotage fin de solutions locales diversifiées de mixité".
Un volet "mixité" dans chaque projet de construction et de restructuration ?
Autre sujet qui intéresse de près les communes et les départements : le Cnesco recommande que "tout projet de construction ou de restructuration d'école primaire et de collège, porté par les collectivités territoriales, intègre un 'volet mixités sociales et scolaire' explicite". Ce volet devrait démontrer "clairement" la politique et les moyens mis en oeuvre pour atteindre cet objectif, "notamment par l'étude de l'implantation de l'établissement en fonction de la mixité résidentielle".
Concernant les lycées, le Cnesco préconise que toute nouvelle construction ou restructuration de lycée donne lieu à un projet de lycée polyvalent mêlant les trois voies d'enseignement générale, technologique et professionnelle. "Pour accélérer le développement des lycées polyvalents, des fusions d'établissements situés à proximité physique peuvent également être réalisées", ajoute-t-il.
Encourager les expérimentations locales
Le Cnesco invite à multiplier les expérimentations "afin de compléter les connaissances sur les outils et les mécanismes des politiques locales de mixité sociale à l'école ainsi que sur les résistances qu'elles rencontrent". "Parce que à chaque territoire correspond sa boîte à outils de la mixité sociale, ces expérimentations doivent être co-construites par l'ensemble des parties prenantes locales : autorités académiques, collectivités territoriales, représentants des parents d'élèves, de la politique de la Ville, associations…", ajoute-t-il.
Ces expérimentation seraient développées sur des "terrains aux caractéristiques contrastées : urbain/péri-urbain/rural/rural isolé, démographie en déclin ou en croissance, urbain standard/urbain sensible, enseignement primaire et secondaire…". Il souffle trois exemples : des cartes scolaires comportant plusieurs collèges dans des contextes urbains résidentiellement mixtes ; des réseaux d'établissements intégrés, complémentaires par leur offre de formation sur des terrains ruraux ; la construction de cartes scolaires autour de lignes de transports dans de grandes métropoles…
Au-delà des actions menées dans le cadre d'expérimentations, le Cnesco propose la création d'une plateforme numérique d'information permettant d'échanger autour des "actions éducatives fructueuses favorisant la mixité, y compris les actions conduites dans les temps péri et extrascolaires". Cette plateforme s'adresserait aux professionnels en charge des politiques de mixité dans l'Éducation nationale, dans les collectivités territoriales, dans les administrations de la politique de la ville et dans les associations et aux parents d'élèves.
Des "formations-actions" pour tous
Côté formation, le Cnesco suggère la mise en place de "formations-actions" pour les représentants académiques, mais aussi les collectivités territoriales et les responsables de la politique de la ville. Elles réuniraient plusieurs administrations et seraient organisées "sur leurs propres terrains" en prenant pour objet leur projet de mixité commun "de façon à les soutenir dans la conception et la mise en oeuvre de leur réforme locale". Les premiers cadres formés pourront à leur tour constituer un réseau de formateurs.
Le Cnesco invite également à "engager l'enseignement privé dans des politiques de mixités à l'école". Il ne propose pas de l'intégrer à la carte scolaire mais d'élaborer une politique budgétaire incitative qui lierait ses ressources (dont les moyens d'enseignement) avec les politiques locales de mixité qu'il développe et "la composition sociale, scolaire et l'origine nationale des élèves qu'il accueille dans ses établissements". Il encourage les chartes d'engagements réciproques en faveur de politiques locales de mixité sociale à l'école, entre les établissements privés et publics, les autorités académiques, les collectivités territoriales, les représentants de parents.
S'appuyant sur la conduite de politiques de mixité à l'étranger, le Cnesco considère qu'aucune réforme ambitieuse de mixités sociales à l'école ne pourra se développer sans connaissance précise de l'ampleur de la ségrégation. Et cela "à tous les échelons territoriaux (depuis la classe et l'établissement jusqu'au niveau national) et dans tous les types de territoires (urbains, ruraux, montagnards, iliens…)". D'où la suggestion d'un appareil statistique développé au niveau national, "co-construit et partagé" par les secteurs d'enseignement public et privé, s'appuyant sur les données statistiques des institutions nationales (DEPP, Insee…) mais aussi des collectivités territoriales. Dans son esprit, "il doit embrasser les différents échelons territoriaux pertinents pour le suivi de l'efficacité des politiques publiques de mixité dans le primaire et le secondaire".
Susciter l'adhésion
S'appuyant une fois encore sur les expériences de réformes conduites à l'étranger, le Cnesco observe qu' "aucune politique de mixité sociale à l'école n'a pu s'inscrire dans la durée, sans adhésion des acteurs de terrain, les parents au tout premier rang". Il suggère de lancer, en direction des parents et des établissements, un "vaste programme de sensibilisation aux effets nocifs sociétaux de la ségrégation" et aux " bienfaits des politiques menées à l'étranger qui ont su tirer parti de la richesse de la mixité à l'école".
Et pour les parents déjà convaincus, il faudrait mieux les accompagner, par exemple en mettant à disposition des "salles des parents" au sein des établissements, ou encore en soutenant leur communication.
Dans les 100 collèges "ghettos", le Cnesco estime que, plus qu'ailleurs encore, "un dialogue très actif avec les parents doit être développé pour soutenir la confiance entre les familles et l'établissement". Il suggère dans ce cas l'organisation de portes ouvertes ou encore d' "ateliers pour les parents".
Valérie Liquet
(*) Ce que Le Parisien résume, dans son édition du 15 juin, par : "les élèves jouant le jeu de leur collège de secteur bénéficieraient de places réservées dans les bons lycées". "Si vous passez par la mixité, empochez un bonus et allez directement à la case 'bon lycée' !", ajoute notre confrère.