Lutte contre l'exclusion - La durée de la crise a profondément transformé les phénomènes de pauvreté
Juste après l'Insee qui se penchait, il y a quelques jours, sur les inégalités sociales et territoriales (voir notre article ci-contre du 2 juillet 2014), l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes) publie son rapport 2013-2014, le huitième du nom. Intitulé "Les effets d'une crise économique de longue durée", ce document aborde les effets de la crise apparue en 2008 sur les risques de rupture sociale, en France mais aussi en Europe. Comme souvent, la disponibilité tardive de certaines données statistiques fait que les analyses de l'Onpes s'arrêtent pour l'essentiel à l'année 2011. L'Onpes estime toutefois que ce recul sur la période 2008-2011 permet "de s'interroger sur les processus d'élargissement, d'approfondissement, et même d'éventuelle irréversibilité de ces phénomènes".
700.000 personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté
Le constat n'est pas des plus optimistes. Sans surprise, le rapport constate une extension et une intensification de la pauvreté sous l'effet de la persistance de la crise, qui accroît en outre les risques d'irréversibilité. Il confirme la montée de la pauvreté, avec 700.000 personnes supplémentaires passées, entre 2008 et 2011, sous le seuil de pauvreté monétaire à 60% du niveau de vie médian. Ce phénomène s'explique par la "dégradation profonde" du marché du travail, mais aussi par "l'accroissement des inégalités de revenu primaire (avant impôts), incomplètement corrigées par le jeu de la redistribution sociale et fiscale".
A l'intérieur de ce phénomène général, l'Onpes observe un "approfondissement" de la pauvreté, autrement dit une intensification de la grande pauvreté. Ainsi, "la visibilité accrue de la pauvreté n'est pas un phénomène subjectif. Elle reflète une évolution profonde depuis 2008". Cette pauvreté touche en priorité les familles monoparentales et les enfants et, de façon plus large, les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Dix départements "confrontés à un défi majeur"
Sur le plan géographique, la pauvreté progresse de façon inégale et l'Onpes pointe une dizaine de départements "confrontés à un défi majeur" : le Nord, la Meurthe-et-Moselle, la Haute-Vienne, la Corse et tous les départements de Languedoc-Roussillon. Mais la crise a aussi mis en évidence "une vulnérabilité nouvelle, face aux risques d'augmentation de la pauvreté, de l'Ile-de-France et du quart nord-est du pays, en contraste avec le Grand Ouest et les départements de la frontière sud-est, qui paraissent avoir mieux résisté".
Sur le lien entre pauvreté et travail, le fait que les chômeurs - principalement les jeunes et les moins diplômés - sont davantage touchés ne surprendra personne. La crise a pour effet d'allonger la durée moyenne du chômage et d'augmenter le nombre de chômeurs (les deux phénomènes se combinant pour accélérer le mouvement de dégradation).
Les "travailleurs pauvres" sont une réalité
En revanche, l'Onpes confirme la montée du phénomène des "travailleurs pauvres", qui touche en priorité les moins de 30 ans et les plus de 50 ans. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, dont notamment la croissance des recrutements en CDD (environ 70% des recrutements en 2008 contre près de 83% au début de 2013) et l'augmentation du taux de rotation de la main d'œuvre (11% en 2008 contre 14% au début de 2013). La conséquence de ces évolutions se fait clairement sentir : de 5,4% en 2003, le taux de pauvreté de la population en emploi est passé à 7% en 2008 (avec toutefois une rupture de série statistique par rapport à 2003) et à 7,5% en 2011.
Enfin, le rapport dresse un état des lieux des politiques d'accès aux droits fondamentaux. Il pointe notamment le maintien d'une part élevée de jeunes sortant du système scolaire avec un faible niveau de qualification (autour de 12% des jeunes), des difficultés croissantes d'accès au logement (avec une part des ménages affichant un taux d'effort supérieur à 40% passée de 7,6% en 2008 à 8,6% en 2011) et une dégradation de l'accès aux soins (bien que les chiffres sur les renoncements aux soins - stables sur la période - ne semblent pas vraiment corroborer ce fait).
A noter : la seconde partie du rapport resitue la situation française dans un contexte européen marqué par les résultats mitigés de la stratégie de lutte contre la pauvreté et par un épuisement progressif du rôle des stabilisateurs automatiques et des dépenses de protection sociale.