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Social - Gouvernance des politiques d'insertion : et si on faisait autrement ?

Elaboré sous l'égide du secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, le rapport sur "L'Evaluation de la gouvernance territoriale des politiques d'insertion et de lutte contre l'exclusion" propose une approche innovante pour faire évoluer la gouvernance de l'insertion. Avec son diagnostic, cinq axes de transformation, deux scénarios et cinq chantiers nationaux, il offre une vraie boîte à outils. Les départements sont invités à s'engager.

Le gouvernement rend public le rapport final - piloté par le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique - sur "L'Evaluation de la gouvernance territoriale des politiques d'insertion et de lutte contre l'exclusion". Cette réflexion s'inscrit dans le prolongement des travaux préparatoires à la conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale des 10 et 11 décembre 2012. Celle-ci avait en effet mis en évidence la nécessité d'une réflexion approfondie sur la gouvernance des politiques de solidarité, avec une attention particulière à porter sur la gouvernance territoriale. Aussi, "face au triple impératif de décloisonnement, de territorialisation et d'implication des personnes, l'évaluation vise à éclairer l'état de l'existant, les enjeux repérés et les pistes d'action pour une amélioration significative de la gouvernance territoriale au bénéfice des personnes".

Une méthodologie solide

Pour cela, les auteurs ont mené une centaine d'entretiens avec des responsables nationaux des politiques d'insertion et utilisé de nombreuses sources documentaires. Quatre "diagnostics territoriaux" ont par ailleurs été menés dans la Drôme, la Meurthe-et-Moselle, le Nord et le Val-d'Oise, avec près de 250 entretiens réalisés, dont des entretiens avec des usagers. Le résultat est très stimulant et tous ceux qui s'intéressent à la question du pilotage des politiques d'insertion trouveront un bénéfice - au moins intellectuel - à la lecture du document.
Le rapport commence par rappeler brièvement les enjeux de la gouvernance territoriale en la matière : la nécessité d'apporter des réponses globales au phénomène multifactoriel qu'est l'exclusion, l'importance de l'articulation entre préventif et curatif, la nécessité d'une mise en cohérence des acteurs et des moyens, mais aussi le besoin d'implication des personnes en insertion.

Cinq "axes de transformation"

Le rapport se consacre ensuite à une restitution détaillée du diagnostic de la gouvernance territoriale. Ce diagnostic se situe dans une perspective positive : il ne s'entend pas comme un audit centré sur la description et les dysfonctionnements du dispositif, mais plutôt comme une recherche de pistes d'amélioration. Il ressort ainsi de ce travail cinq "axes transversaux de transformation". Le premier d'entre eux concerne l'implication des parties prenantes. Un consensus se dégage en effet chez les acteurs sur la nécessité - selon l'expression consacrée - de remettre les personnes concernées au centre du dispositif. Le rapport constate en effet que "les démarches de participation des personnes qui ont pu être observées à l'occasion du diagnostic restent encore expérimentales et ne sont pas systématiques". Lorsqu'elles existent, elles sont souvent limitées à la représentation des usagers et ne vont pas jusqu'à la co-construction avec les intéressés. L'idée est donc de développer un accompagnement centré sur l'usager, avec une plus grande implication de ce dernier dans l'élaboration et l'animation des politiques publiques concernées. Le rapport prône aussi une meilleure coordination des institutions avec le tissu associatif et les acteurs de terrain.
Le second axe transversal de transformation porte sur l'articulation et la mise en réseau des acteurs. Celle-ci passe notamment par la mise en place d'une couverture minimum des territoires par des points d'accueil généralistes et par une meilleure articulation entre les points d'accueil existants. L'objectif est à la fois de lutter contre la complexité des démarches (demandes répétées de pièces, par exemple), de faciliter l'orientation et de favoriser l'accompagnement, sans cesse menacé par le morcellement du parcours. Cette amélioration de l'articulation et cette mise en réseaux des acteurs passent aussi par une plus grande connaissance mutuelle des acteurs et - objectif ambitieux - par "un décloisonnement de l'action sociale portée par chaque institution".

Complémentarités, marges de manœuvre et simplification

Le troisième axe relève de la même logique, puisqu'il porte sur l'organisation des complémentarités. Celle-ci doit s'affirmer dans différents domaines comme l'observation, l'accompagnement et le partage des objectifs. En termes géographiques, le rapport estime que cette harmonisation doit intervenir aussi à un niveau infra-départemental. Cette recherche de complémentarité constitue "un axe de progrès important tant pour l'efficacité de la réponse apportée que pour l'optimisation des moyens engagés par les différents partenaires, dans un contexte de raréfaction des ressources".
Quatrième axe de transformation : l'accroissement des marges de manœuvre, "afin de libérer les initiatives citoyennes et l'intelligence locale, et de permettre aux volontés au plus proche du terrain de se manifester". Plus concrètement, cet accroissement des marges de manœuvre vise "la rigidité institutionnelle [qui] freine parfois les prises d'initiatives et les propositions innovantes". La question du financement est aussi au cœur de ce quatrième axe, dans la mesure où "la dispersion des financements et le 'saupoudrage' des aides constituent également un frein à une articulation des actions des différents acteurs sur un territoire". Les auteurs visent notamment le cas de la politique de la ville et sa multitude de financements croisés, ainsi que le financement d'actions collectives ou émanant d'associations. La redondance de certains dispositifs - par exemple entre l'accompagnement vers et dans le logement de l'Etat et l'accompagnement social lié au logement des départements - est également une composante de cette reconquête de marges de manœuvre.
Enfin, le dernier axe d'amélioration s'inscrit très directement dans une thématique nationale, puisqu'il s'agit de la simplification. La complexité des processus, des instructions, et des dispositifs constitue en effet un frein, "perçu à la fois par les usagers et les acteurs". Comme d'autres avant lui, le rapport plaide donc pour un effort de simplification. Couplé à l'accroissement des marges de manœuvre, cet effort "doit donner plus de fluidité et d'impact à l'action dans le champ des politiques concernées". Dans une approche inspirée de celle de la Commission européenne, le rapport se penche notamment sur la "comitologie", avec le constat d'une nécessaire clarification, face à la "multiplication des instances" et à "la confusion [qui] peut régner entre instances de pilotage technique et de pilotage stratégique, ces dernières étant parfois inopérantes".

Deux scénarios alternatifs

Une fois le diagnostic posé et les axes d'amélioration identifiés, la principale originalité du rapport réside dans la proposition détaillée de deux "scénarios de transformation" : la mise en place d'une démarche dite "intégrée" ou celle d'une démarche dite "progressive".
Point important : ces deux scénarios "ne modifient pas la répartition actuelle des compétences entre acteurs". Les pistes d'évolution se fondent en effet sur la notion de coordination entre acteurs. Elles resteraient donc valables "en cas d'évolution dans la répartition des compétences dans le cadre des futures lois de décentralisation". Ces deux scénarios n'engendrent pas non plus d'impact sur les schémas de financement des dispositifs. Ceux-ci resteraient donc inchangés, sauf consensus entre acteurs. Outre les deux scénarios - à dominante territoriale -, le rapport identifie aussi des chantiers à dimension nationale à mener en parallèle et dans lesquels les territoires doivent également être impliqués.

Une démarche intégrée...

Le scénario de la démarche intégrée - qui se veut "une démarche globale de transformation de la gouvernance" - est le plus ambitieux et s'adresse donc à des territoires "ayant un fort degré de coopération et de consensus sur la nécessité d'aller plus loin en matière de gouvernance des politiques d'insertion". Il se décline en une succession d'actions. La démarche commence ainsi par la mise en œuvre, par les territoires concernés, d'un bouquet cohérent d'expérimentations, portant sur la mise en réseau des acteurs (par exemple, avec l'élaboration d'un Guide des solidarités, la constitution d'un réseau collaboratif entre les différents partenaires et la mise en place d'une instance physique ou virtuelle de gestion des cas complexes). Est également inscrit dans cette étape une expérimentation relative à la coordination, via la mise en place d'une instance de coordination stratégique des acteurs du développement social, sous l'égide du conseil général.
La démarche se poursuit avec la participation à différents chantiers nationaux menés en parallèle (voir ci-après), puis par la définition des contreparties offertes aux territoires engagés dans la démarche intégrée. Celles-ci pourraient porter sur des assouplissements de la norme permettant de regagner des marges de manœuvre, sur un appui méthodologique, ou encore sur la mise en place d'un "Club des expérimentateurs". Enfin, la dernière composante de ce premier scénario réside dans la possibilité donnée aux territoires participant à la démarche intégrée de mettre également en œuvre des initiatives locales à la carte, afin de s'adapter aux réalités et aux contextes locaux.

… ou une démarche progressive

Cette possibilité fait d'ailleurs le lien avec le second scénario : celui de la démarche dite "progressive". Comme son intitulé le laisse entendre, il se veut moins en rupture que le précédent et donc - a priori - plus facile à mettre en œuvre. Ce scénario regroupe trois composantes. La première consiste, pour les territoires concernés, à prendre part aux expérimentations du plan Pauvreté comportant une dimension de gouvernance : garantie jeunes, prévention des ruptures par l'anticipation des sorties de dispositif (jeunes sortant de l'ASE, jeunes sous main de justice...) et mise en place des "rendez-vous des droits".
La seconde composante consiste à participer à des expérimentations "à la carte" en fonction des enjeux locaux. Les territoires intéressés peuvent notamment s'inspirer d'un "recueil de pratiques inspirantes", mis sur pied pour l'occasion et regroupant des actions innovantes identifiées lors du diagnostic. Le champ de ces expérimentations à la carte est très ouvert : articulation et mise en réseau des acteurs, territorialisation des politiques, co-construction avec les bénéficiaires, renforcement de la prévention et de la démarche proactive, décloisonnement des parcours...
La troisième composante réside dans les contreparties offertes aux territoires engagés dans la démarche. Elles sont évidemment moins importantes que pour le premier scénario, puisqu'elles consistent uniquement en l'accès aux animations réalisées dans le cadre du Club des expérimentateurs.

Cinq chantiers nationaux

Enfin, les chantiers nationaux à mener en parallèle, avec la participation des territoires, sont au nombre de cinq. Ils consistent notamment à encourager la participation des personnes en situation de précarité à la conception des politiques publiques, par le biais de la mise en place d'un pôle national d'expertise et par la mobilisation d'usagers en vue de prendre part aux instances nationales. Le second chantier national consiste à favoriser le partage des données entre acteurs, en particulier autour du diagnostic social. De même, un autre chantier doit contribuer à faciliter les démarches des personnes en situation de précarité par un accompagnement à l'usage du numérique.
Dans le même esprit, le quatrième chantier national doit améliorer l'accessibilité des services publics aux personnes en situation de précarité, ce qui suppose - entre autres - de développer les points d'accès aux services publics (notamment dans les zones sous-dotées) et d'adapter les modalités d'accueil et de prise en charge au sein des lieux d'accueil mutualisés. Enfin, le dernier chantier national consiste à favoriser l'accompagnement social et professionnel coordonné, dans le cadre du protocole signé ce jour entre l'Assemblée des départements de France (ADF), Pôle emploi et la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Nous reviendrons dans notre prochaine édition sur les orientations prévues par ce protocole pour favoriser un accompagnement global des demandeurs d'emploi rencontrant des difficultés sociales.

Il ne reste plus qu'à signer...

L'ensemble de la démarche n'a rien d'une utopie, même si les résultats ne sont pas garantis. Les territoires ayant participé au diagnostic se sont en effet déjà "positionnés" sur la démarche intégrée. Ils ont commencé à élaborer leur feuille de route et les premiers travaux devraient débuter dès cette année. A l'invitation du Premier ministre et du président de l'ADF, des rencontres ciblées seront organisées avec les départements souhaitant s'engager dans l'un ou l'autre des scénarios.
Si l'on y ajoute les différents outils développés pour l'occasion, comme les documents de cadrage des expérimentations et chantiers nationaux, tout est prêt pour les territoires qui veulent expérimenter une autre gouvernance des politiques d'insertion. Si des participations à la démarche progressive ne font guère de doute - les contraintes étant assez légères - tout l'enjeu est désormais de savoir combien de territoires rejoindront les quatre départements expérimentateurs dans une démarche intégrée.