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La Cour des comptes juge "défaillante" la gouvernance nationale de la protection de l'enfance

Dans un référé rendu public le 20 juillet, la Cour des comptes se penche sur la gouvernance nationale de la protection de l'enfance. Elle regrette le manque d'articulation entre les instances de pilotage national (CNPE, DGCS, Giped, AFA...), les insuffisances dans la mise en œuvre de leurs missions, le manque d'outils statistiques et d'outils partagés... La Cour préconise de constituer "un opérateur national unique" et de faire du préfet l'interlocuteur unique du département en matière de protection de l'enfance.

Dans un référé rendu public le 20 juillet, mais remontant au 22 avril, la Cour des comptes se penche sur la gouvernance nationale de la protection de l'enfance. Ce référé peut sembler tardif après les 18 mois de polémiques et de débats qui ont agité l'aide sociale à l'enfance (voir nos articles ci-dessous). Sans attendre le référé, Adrien Taquet, le secrétaire d'État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé en charge de la protection de l'enfance, a d'ailleurs annoncé, il y a plusieurs mois, engager une réforme de la gouvernance de ce secteur (voir notre article du 28 novembre 2019). Celle-ci tarde toutefois encore à se concrétiser.

Un manque d'articulation entre les instances

Dans son référé, la Cour des comptes rappelle que "si la protection de l'enfance constitue incontestablement une politique décentralisée pour laquelle les départements sont chefs de file, elle n'en nécessite pas moins une étroite coordination avec d'autres politiques publiques non décentralisées, comme la santé, l'éducation ou la justice. Par ailleurs, l'État conserve des responsabilités essentielles, notamment en matière de conception de cette politique et d'édiction de normes. Il lui appartient également de s'assurer de l'équité de traitement des enfants protégés sur l'ensemble du territoire". Sans surprise dans ce contexte, la Cour juge la gouvernance nationale de la protection de l'enfance "défaillante", malgré la présentation, en octobre dernier, d'une stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance pour la période 2020-2022 (voir notre article du 15 octobre 2019).

Le référé formule deux reproches principaux. Le premier vise le manque d'articulation entre les instances de pilotage national et les insuffisances dans la mise en œuvre de leurs missions. La Cour considère notamment que la création du conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) par la loi du 14 mars 2016, pourtant très attendue à l'époque pour améliorer la gouvernance de cette politique, n'a pas amélioré la situation, sinon même a contribué à la dégrader.

Le trop faible poids de la DGCS

La Cour n'est pas plus amène avec la DGCS (direction générale de la cohésion sociale), qui "dispose de leviers limités et faiblement opérationnels pour animer la politique de protection de l'enfance". En outre son rôle d'édiction de normes "ne donne pas l'assurance de leur mise en œuvre immédiate par les conseils départementaux [...], ni de leur bonne appropriation par les travailleurs sociaux sur le terrain". La DGCS manque également d'un poids suffisant pour mobiliser les autres directions ministérielles concernées, "ni pour faciliter l'adoption d'une position unique de l'État dans le cadre des discussions interministérielles".

Le Giped (GIP enfance en danger) – dans lequel des départements sont représentés à parité avec l'État – ne s'en sort guère mieux. Ainsi, l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), l'une de ses deux composantes, "peine à assumer l'ensemble de ses missions, à savoir l'animation de la recherche, celle des réseaux départementaux et la production de données statistiques". La fusion inaboutie avec l'AFA (Agence française de l'adoption) a également lourdement pesé sur le fonctionnement de l'ONPE.

Le maintien de l'Agence française de l'adoption "n'a plus beaucoup de sens"

L'échec de cette fusion a également figé le champ d'intervention de l'AFA, alors que l'adoption internationale ne cesse de chuter (-61% sur la période 2012-2018). La Cour estime que "le maintien de l'AFA, sous la forme d'un GIP autonome centré sur la seule adoption internationale, n'a plus beaucoup de sens dans le contexte du déclin, fort et irréversible, du nombre d'enfants proposés à l'adoption par les pays d'origine désormais très majoritairement signataires de la convention de La Haye". S'y ajoutent les "nombreuses lacunes" dont souffre la gestion de l'AFA.

Le second reproche formulé par le référé concerne "un dispositif statistique inadapté aux enjeux de la protection de l'enfance et un manque d'outils partagés". En effet, "la production de données statistiques en matière de protection de l'enfance se caractérise par la dispersion des sources et des moyens qui y sont consacrés", notamment en raison de la mauvaise répartition des rôles et des compétences entre la Drees (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) et l'ONPE. La situation en ce domaine est encore compliquée par "l'insuffisance des remontées des départements, en quantité comme en qualité". De la même façon, le manque d'outils partagés est jugé "patent", la remarque visant notamment l'absence d'un référentiel national sur l'évaluation des situations comme sur les modalités de prise en charge des enfants.

Pour une suppression du CNPE

Face à cette situation, la Cour des comptes formule cinq recommandations "en vue d'une simplification de l'architecture du pilotage national de la protection de l'enfance. Elle suggère ainsi de regrouper au sein de la seule Drees la mission de production statistique et de recentrer l'ONPE sur des missions d'animation de la recherche et de convergence des pratiques locales. Par ailleurs, elle préconise de confier au Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) la fonction consultative du CNPE et notamment la production d'avis sur les textes.

Le référé préconise également de constituer "un opérateur national unique", en "s'appuyant sur l'assise du Giped". Cet organisme reprendrait également les missions de l'AFA. Par ailleurs, "l'implication des départements dans la gouvernance actuelle de l'AFA étant faible, le nouvel opérateur public pourrait également s'appuyer sur le Giped, acteur très légitime pour les départements, afin de construire une nouvelle stratégie transversale de l'adoption au niveau national". Cet opérateur apporterait notamment son concours aux départements dans l'exercice de leurs compétences en la matière.

Enfin, au niveau déconcentré, la Cour des comptes préconise de faire du préfet l'interlocuteur unique du département en matière de protection de l'enfance, en s'appuyant à la fois sur un "réfèrent protection de l'enfance" désigné au sein du corps préfectoral, lui-même appuyé par des référents protection de l'enfance également nommes dans les différents services déconcentrés de l'État concernés.

 

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