Enfance : une démarche de consensus et des propositions pour faire évoluer les interventions de l'ASE au domicile
L'Igas a piloté une démarche de consensus sur les actions éducatives à domicile (AED) et les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO). Nombre de difficultés ont été mises en avant et une vingtaine de propositions ont émergé pour faire évoluer les pratiques au profit, notamment, d'interventions de protection à domicile plus graduées, modulables et mieux articulées.
A la demande d'Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et d'Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a piloté une démarche de consensus sur les interventions de la protection de l'enfance à domicile. Alors que l'aide sociale à l'enfance fait, depuis le début de l'an dernier, l'objet de reportages accusateurs sur les jeunes majeurs, puis tout récemment sur les établissements d'accueil (voir notre article ci-dessous du 22 janvier 2020), cette démarche de consensus a le mérite "de mettre en lumière ce pan de la politique de la protection de l'enfance, moins visible et moins étudié que le champ de l'accueil, même s'il concerne plus de la moitié des mesures de protection".
167.000 mesures à domicile en 2017, pour 177.000 accueils en établissements
En pratique, la démarche recouvre les actions éducatives à domicile (AED) et les actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) – soit 167.000 mesures en 2017, à comparer au 177.000 accueils en établissements – les interventions de techniciens d'intervention sociale et familiale (20 à 30.000 familles aidées), l'accompagnement en économie sociale et familiale et les mesures judiciaires d'aide à la gestion du budget familial (18.000 familles), l'accueil de jour (3.300 à 5.500 bénéficiaires) et les "placements à domicile", relevant juridiquement de l'accueil mais avec un maintien de l'enfant dans le milieu familial (entre 5 à 6.000 enfants).
La démarche de consensus a été animée et le rapport rédigé par Geneviève Gueydan, l'ancienne directrice générale de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), qui a rejoint l'Igas. Le travail s'est appuyé sur une revue de littérature sur le sujet, des contributions écrites, des auditions, des entretiens avec de nombreux acteurs de la protection de l'enfance, des visites de services et une journée de travail avec des professionnels de terrain, ainsi qu'un débat public qui a permis de présenter les analyses et les premières pistes à 300 personnes.
La place "ambivalente" des interventions au domicile
Ce travail a mis en évidence un certain nombre de difficultés, comme la place "ambivalente" de ces interventions au sein de la protection de l'enfance (qui représentent seulement 7 à 8% des dépenses d'ASE et font l'objet d'une moindre attention que les politiques de placement). Pour le rapport, "la gouvernance de ces interventions n'en facilite pas le pilotage et peut expliquer, pour partie, cet investissement relatif". En effet, plus des deux tiers (69%) des actions éducatives sont des mesures judiciaires et "le lien direct entre juges des enfants et services habilités qui prévaut pour l'AEMO a historiquement maintenu les départements dans un rôle de simple financeur".
Autre enjeu identifié par la démarche : la nécessité de diversifier les réponses en fonction de la situation et des besoins des familles et des enfants, mais aussi de l'âge de ces derniers. La notion de "carences éducatives", qui domine comme motif d'intervention aux cotés des situations de maltraitance et de la mise en danger des jeunes par eux-mêmes, apparaît ainsi trop floue. Le rapport estime que "si la palette permise par les textes est large, dans les faits le choix des réponses est souvent restreint et parfois même encore limité à l'alternative entre actions éducatives non renforcées et accueil". S'ajoute à cela les délais trop longs entre la décision et le début de mise en œuvre de la mesure : 30% des départements affichent un délai de quatre mois et plus pour l'exécution des AEMO.
Autre difficulté pointée par le rapport : la question des moyens. Ainsi, "le modèle économique contraint d'une majorité des interventions pèse fortement sur la fréquence de ces dernières, le nombre de situations accompagnées par un référent éducatif, la pluridisciplinarité des équipes et la capacité à aborder dans leur globalité les difficultés rencontrées par les enfants et leurs familles en lien avec les partenaires concernés". Enfin, le rapport montre qu'en termes de contenu et de pratiques professionnelles, les interventions au domicile se font largement sur la base de deux idéaux types : le "faire devenir conscient" (prise de conscience des dysfonctionnements de la cellule familiale) et le "faire devenir acteur" (changement des comportements en expérimentant d'autres modes de faire avec les familles).
"Identifier des marges de progression dans le cadre actuel"
Face à ces constats – et plutôt que de prôner des changements radicaux dans la gouvernance ou l'architecture des mesures –, la démarche de consensus "s'est attachée à identifier des marges de progression dans le cadre actuel". Ceci se traduit par une vingtaine de préconisations faisant l'objet du consensus. Elles sont regroupées en quatre thèmes : améliorer les connaissances sur les publics, les pratiques et les politiques territoriales ; faire évoluer les pratiques en développant la "culture des besoins" et des approches fondées sur le pouvoir d'agir des familles ; développer des interventions de protection à domicile plus graduées, modulables et mieux articulées ; améliorer la gouvernance des interventions de protection de l'enfant dans le milieu familial et faciliter les partenariats permettant d'agir de façon mieux articulée.
Certaines de ces propositions visent les pratiques professionnelles, mais d'autres concernent très directement les politiques et actions mises en œuvre par les départements dans le champ de la protection de l'enfance. Sur le premier thème, il en est ainsi du renforcement des données relatives aux interventions à domicile, de la conduite d'études pour dégager des "modèles territoriaux" de protection de l'enfance ou de l'engagement de recherches pour expliciter et capitaliser les pratiques d'intervention à domicile en protection de l'enfance.
Un "panier de services socle" et une plus grande modulation des interventions
Côté évolution des pratiques, la démarche de consensus recommande notamment de valoriser et d'outiller les approches fondées sur le pouvoir d'agir des familles et des jeunes, de doter tous les acteurs concernés par la protection de l'enfance dans un département d'un support partagé pour l'évaluation des situations et la construction des plans d'action en lien avec les besoins fondamentaux de l'enfant, ou encore de favoriser une plus grande interdisciplinarité dans les services afin d'enrichir une pratique commune de l'intervention à domicile.
C'est toutefois le thème des interventions de protection à domicile plus graduées, modulables et mieux articulées qui recueille le plus grand nombre de préconisations. Le rapport préconise ainsi que chaque département dispose d'un "panier de services socle" à partir duquel il serait possible de mieux moduler les interventions. A ce titre, il recommande d'expérimenter une mesure intégrée et modulable, permettant de faire varier l'intensité et les modalités d'accompagnement. Dans le même esprit, il conviendrait de garantir, sur chaque territoire, l'existence d'une capacité de repérage et d'intervention en protection à domicile adaptée aux enfants en bas âge, ainsi qu'un maillage partenarial permettant de mobiliser des ressources expertes avec l'appui de la PMI. De façon plus matérielle, la démarche de consensus préconise aussi l'ouverture d'un chantier sur les cadres tarifaires des interventions de protection de l'enfance à domicile ou l'aménagement des mécanismes du pacte de Cahors (sur l'évolution des dépenses des départements) avec une neutralisation des dépenses engagées dans le cadre des contrats signés avec l'État.
Enfin, sur l'amélioration de la gouvernance des interventions de protection de l'enfant dans le milieu familial et la facilitation des partenariats, la démarche de consensus propose notamment de mettre en place des plans d'action concertés entre départements, juges et services, afin de résorber les délais de mise en œuvre des mesures à domicile dans certains territoires et de "faciliter le passage des mesures judiciaires vers les interventions administratives chaque fois que possible, grâce à une organisation des services permettant une continuité du suivi éducatif". De même, des partenariats sont à développer dans différents champs, comme l'éducation, le handicap ou la santé mentale, tandis que les articulations entre les différents services à domicile doivent être améliorées en revoyant les protocoles.