Social / Démocratie participative - La CNSA veut promouvoir la parole des personnes fragiles
La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) a coutume de consacrer le dernier chapitre de son rapport d'activité à une réflexion prospective sur un thème lié aux politiques de soutien à l'autonomie. Présentée le mardi 15 avril à la presse par le conseil de la CNSA (lequel adoptait par ailleurs le même jour une série de délibréations budgétaires - voir notre article ci-contre), la réflexion de 2014 apparaît comme un plaidoyer "en faveur de la pleine association des personnes âgées et des personnes handicapées à la construction de nos politiques". Reconnaissant le travail déjà réalisé en la matière, ayant jusque-là porté davantage de fruits du côté des personnes handicapées (PH) que du côté des personnes âgées (PA) en perte d'autonomie, le conseil de la CNSA formule 31 préconisations pour amplifier de façon significative la dynamique et ainsi "affirmer la citoyenneté de tous".
C'est "l'obligation de se sentir citoyen et d'être reconnu comme tel" qui, pour Paulette Guinchard, présidente du conseil de la CNSA, justifie de porter haut ce sujet considéré comme "un des éléments de la démocratie". On parle d'exercice de la citoyenneté ou, plus exactement, de la "prise en considération de la parole des personnes en situation de handicap et des personnes âgées et [de] la participation à la vie politique et civique". Soit un double défi : celui de la démocratie participative, que l'on peine à faire exister en France, et celui de la place que peuvent y prendre des personnes fragiles et confrontées à de multiples obstacles en la matière (manque d'information sur les instances de représentation existantes, difficultés de compréhension, troubles de la parole, etc.).
Rendre accessible la participation
Le rapport tend à définir les conditions d'une telle participation. Il s'agit en particulier d'améliorer l'accessibilité du processus et, pour la CNSA, "c’est autant une question de locaux que de langage, de rythme des échanges, de modalités d’animation des réunions et de climat d’écoute réciproque". Pour ne pas exclure d'emblée les personnes ayant un handicap intellectuel, le conseil de la CNSA recommande ainsi d'"appliquer les règles européennes pour une information facile à lire et à comprendre" et donne l'exemple en produisant un document "facile à lire et à comprendre" pour présenter ses 31 propositions (téléchargeable sur son site, voir ci-contre). Il s'agit de "faire en sorte que la façon dont on parle, dont on écrit, dont on échange soit accessible à tous", insiste Paulette Guinchard.
La participation des personnes fragiles est aussi souvent conditionnée à la présence d'un accompagnant. Proche ou bénévole, cet accompagnant se doit d'être attentif au "risque de confiscation ou de formatage de la parole", recommande la CNSA.
Au préalable, la première étape est évidemment la décision par les autorités concernées d'organiser la participation, quel que soit le contexte de vie de la personne. Le rapport rappelle l'impulsion donnée par différentes lois, notamment la loi de 2002 qui "a introduit l'obligation pour les établissements et services médicosociaux de mettre en place des formes de participation des usagers", dont les conseils de la vie sociale (CVS) dans certains types de structures.
Plus difficile pour les personnes vivant à domicile
La CNSA fait référence à une étude encore non publiée de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicosociaux (Anesm) qui "met en évidence une grande diversité des formes de participation" dans les établissements et services et qui "confirme que l'initiative des organismes gestionnaires (et l'implication de la direction de la structure, en particulier) est essentielle pour impulser les démarches de participation". L'Anesm et l'association Nous aussi mettent l'accent sur le fait que les usagers connaissent souvent l'existence des instances mais "ne savent cependant pas vraiment à quoi elles servent". Le conseil de la CNSA préconise donc d'"accroître les efforts de communication".
Un effort d'autant plus nécessaire pour les personnes qui sont accompagnées à leur domicile et qui se trouvent, de ce fait, à l'écart de tout collectif. La structure organisant le service joue dans ce cas un rôle encore plus décisif et "doit susciter la mise en réseau de ces personnes en facilitant leur rencontre", pour la CNSA. Cette dernière cite le programme expérimental Citoyenneté dans l'aide à domicile, mené par l'UNA (Union nationale de l'aide, des soins et des services au domicile) entre 2007 et 2009 et ayant "permis d'identifier des clés de réussite" pour une "évolution de la culture des professionnels".
Dans les établissements, les freins à la participation seraient plutôt liés à l'excès de collectif, avec des contraintes qui peuvent peser sur les personnes ; ces dernières ont-elles, par exemple, la possibilité d'aller voter ? Il s'agit de "faire en sorte que la personne ne perde pas sa citoyenneté en entrant dans l'établissement", pour Jean-Louis Garcia, vice-président du conseil de la CNSA et président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH).
Plus largement, toutes les personnes handicapées ou âgées n'étant pas aidées par un service social ou médicosocial, la CNSA insiste sur la nécessité d'"encourager les collectivités à développer des démarches d'association des habitants adaptées aux publics âgés ou en situation de handicap en veillant à ne pas les enfermer" dans des catégories liées aux prises en charge. Parmi les initiatives impliquant des personnes âgées, "les meilleures expériences sont celles qui ne traitent pas que des 'vieux' mais mélangent un peu tout le monde", selon Sylvain Denis, vice-président du conseil de la CNSA et président de la Fédération nationale des associations de retraités et préretraités.
Portage politique et changement de regard
Le conseil de la CNSA invite donc les collectivités et les associations à poursuivre dans cette approche, à préciser l'état des lieux des pratiques existantes et à valoriser les plus intéressantes d'entre elles. En synthèse, pour Paulette Guinchard, la participation des personnes handicapées ou âgées nécessite, à chaque niveau d'intervention, "des choses très pratiques et une volonté politique". Et, plus globalement, un changement de culture qui peut être encouragé de différentes manières. Au sujet de la formation, la CNSA appelle à renverser la perspective pour inciter les professionnels à poser un regard empreint de "présomption de compétence" à l'égard des personnes accompagnées. Autre levier : les grilles d'évaluation telles que la grille Aggir. Sylvain Denis affirme que l'"évaluation doit être harmonisée" dans le sens de ce que la personne est capable de faire.
En citant à plusieurs reprises des démarches et réflexions menées dans le cadre de la lutte contre l'exclusion sociale, le conseil de la CNSA porte ici un discours qui dépasse le domaine des politiques sociales et médicosociales. Des recommandations s'appliquent ainsi aux processus de participation en général : la nécessité d'innover dans la forme, de clarifier les règles du jeu et la "nature du lien entre participation et décision", etc. Mais c'est sur la prise en compte de la spécificité des publics en situation de fragilité que l'analyse de la CNSA apporte une réelle contribution, notamment par le recensement de plusieurs démarches intéressantes qui démontre que la voie est déjà en partie tracée.
Caroline Megglé
Des instances formelles de participation nombreuses et "limitées à un rôle consultatif"
La CNSA esquisse un bilan des instances formelles de participation dans le champ des politiques de soutien à l'autonomie.
Concernant les personnes handicapées : un Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) consulté lors de l'élaboration des textes et des conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées (CDCPH) qui "se cherchent". Mobilisés notamment lors de l'élaboration des schémas départementaux, les CDCPH exercent "une mission de collecte et de traitement d'informations". La CNSA souligne toutefois que "les CDCPH sont peu réunis", en particulier du fait de la concurrence liée à l'existence d'autres instances : la commission exécutive de la MDPH, la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et, parfois, des instances consultatives ad hoc créées par les départements "pour pallier le manque de vitalité du CDPH".
La CNSA soulève également la question de l'articulation entre les CDCPH et la gouvernance des agences régionales de santé (ARS). Sur sa propre gouvernance et celle des MDPH, la CNSA parle de "premiers pas vers la coconstruction ", avec une participation effective "à la gestion courante d'un dispositif public" des usagers au sein des différentes commissions. Le conseil préconise de "préserver l'originalité" de cette gouvernance.
Côté personnes âgées, le Comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) est désormais consulté de façon obligatoire sur les projets de textes réglementaires. Quant aux comités départementaux consultatifs des retraités et personnes âgées (Coderpa), ils sont "des partenaires bien identifiés des conseils généraux" mais "leur fonctionnement pourrait être amélioré". Au total, la CNSA parle d'un "poids relativement limité" des instances de consultation des personnes âgées.
Quant aux instances créées avec les ARS, dont les conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) et les conférences de territoire, la CNSA note que "des progrès restent à faire sur la place du débat démocratique et de la délibération dans la construction des politiques de santé".
Vers une convergence en trompe-l'oeil ?
Le conseil de la CNSA rappelle que plusieurs évolutions sont prévues dans le cadre du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement. D'une part, un Haut Conseil de l’âge placé auprès du Premier ministre aurait, selon l'exposé des motifs du projet de loi, "l’objectif de donner davantage la parole aux âgés dans la construction et le pilotage des politiques qui les concernent, mais aussi de créer les conditions et le cadre d’un débat transversal sur les politiques de l’autonomie".
D'autre part, dans chaque département, le Coderpa et le CDCPH seraient remplacés par un conseil départemental de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA) pour assurer "la participation des personnes âgées et des personnes handicapées à l’élaboration, à la mise en oeuvre, au développement et à la mise en cohérence des politiques de l’autonomie dans l’ensemble des champs qu’elle recouvre, au-delà des seuls secteurs sanitaire et médicosocial". Toutefois, en dépit de cet objectif général de convergence, le projet de loi précise que le CDCA comporterait "au moins deux formations spécialisées respectivement compétentes pour les personnes âgées et les personnes handicapées".
Sur ce projet de loi, le conseil de la CNSA formule plusieurs préconisations, notamment de "garantir un périmètre de compétence large aux CDCA et [de] prévoir la présentation d'une vision globale de l'effort départemental en faveur des personnes [âgées et handicapées]". En outre, la CNSA se porte volontaire pour effectuer le suivi des travaux des CDCA.
C. Me.