Personnes âgées - Adaptation au vieillissement : Jean-Marc Ayrault dévoile le projet de loi
A l'occasion d'un déplacement à Angers, ce 12 février, Jean-Marc Ayrault, accompagné des ministres Marisol Touraine et Michèle Delaunay, a détaillé le contenu du futur projet de loi "d'orientation et de programmation pour l'adaptation de la société au vieillissement" - ce sera donc la dénomination définitive du texte. C'est peu dire que cette clarification sur le contenu du texte était attendue. Elle intervient en effet après plus de six ans de valse-hésitation sur une éventuelle loi Dépendance et deux ans après les premières annonces du gouvernement sur le sujet. Ce déplacement à Angers - doublé d'une intervention, en fin de journée, de Marisol Touraine devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese) - marque aussi, par la même occasion, la clôture de la concertation engagée il y a près de trois mois.
Objectif 2015
La première précision bienvenue concerne le calendrier de la réforme. On savait déjà qu'elle serait scindée en deux textes : le premier centré sur l'aide à domicile, le logement et les autres aspects de l'adaptation de la société au vieillissement, le second consacré à la prise en charge en établissement. Le premier texte - auquel était consacré l'essentiel du discours de Jean-Marc Ayrault - fera l'objet d'une communication au Conseil des ministres du 14 février (décalé à vendredi pour cause de voyage présidentiel aux Etats-Unis). Le projet de texte sera transmis dans la foulée au Cese, pour avis, avant son adoption en Conseil des ministres au début du mois d'avril. Selon le calendrier présenté par Matignon, son adoption par le Parlement pourrait intervenir à la fin de 2014, pour une entrée en vigueur en 2015. L'adoption du texte à la fin de cette année semble cependant assez optimiste, compte tenu de l'encombrement habituel de la période (projet de loi de finances et PLFSS), qui pourrait être encore aggravé par les textes de mise en oeuvre du pacte de compétitivité.
Sur le second projet de loi, les choses sont beaucoup plus floues. Seule certitude : le groupe de travail sur les établissements - regroupant notamment les départements, les fédérations professionnelles et les organismes de protection sociale - sera lancé en mars 2014. Mais, pour la suite, le Premier ministre n'a avancé aucune date, se contentant d'indiquer "avoir pour perspective la seconde moitié du quinquennat".
Financement : la Casa, rien que la Casa
Dans son intervention, Jean-Marc Ayrault a également cadré le périmètre budgétaire du premier projet de loi. Ce sont environ 645 millions d'euros supplémentaires qui seront affectés à la mise en oeuvre des différentes mesures. Bonne nouvelle pour les collectivités, et notamment les départements : "le financement reposera exclusivement sur la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie" (Casa), dont la mise en place par anticipation a donné lieu à de vives polémiques.
Revers de la médaille : il n'y aura pas de coup de pouce budgétaire au-delà des recettes de la Casa. Cela se comprend aisément lorsqu'il faut par ailleurs trouver 50 milliards d'euros d'économies. Mais plusieurs associations - comme France Alzheimer qui vient de lancer sa pétition nationale "Ensemble préservons l'autonomie des personnes malades et des familles " - ont déjà fait savoir que la Casa ne pourrait en aucun cas couvrir les besoins en matière de prévention du vieillissement et de prise en charge de la dépendance.
Le Premier ministre n'a donné aucune indication sur le financement du second projet de loi. Néanmoins, lors de la mise en place de la Casa, le chiffre de 900 millions à un milliard d'euros en année pleine avait été évoqué. S'il se confirme, ce montant pourrait donc laisser la place soit à quelques ajustements lors des débats parlementaires sur le premier projet de loi, soit à un début de financement pour le second projet de loi sur les établissements. En tout état cause, le gouvernement entend bien se garder de tout engagement budgétaire prématuré sur ce second volet de la réforme.
APA, Acte II
Le projet de loi présenté par le Premier ministre repose sur "trois volets indissociables" : "l'anticipation, pour prévenir la perte d'autonomie de façon individuelle et collective, l'adaptation de notre société tout entière à l'avancée en âge, et l'accompagnement de la perte d'autonomie, avec pour priorité de permettre à ceux qui le souhaitent de rester à domicile dans de bonnes conditions le plus longtemps possible".
En termes d'importance - et de coût - , c'est toutefois "l'acte II de l'APA" qui l'emporte. Créée en 2002, celle-ci fera l'objet de sa première réforme d'importante, à travers deux mesures. La première consiste à majorer les plafonds d'aide de l'APA. Le relèvement sera de 400 euros en GIR 1, de 250 euros en GIR 2, de 150 euros en GIR 3 et de 100 euros en GIR 4. Au passage, on relèvera l'abandon de l'idée, un temps évoquée, d'une remise en cause de l'APA pour les GIR 4 au profit d'un renforcement de la prise en charge des trois premiers GIR.
La seconde mesure concerne la réduction du reste à charge - ou ticket modérateur - pour les bénéficiaires ou les familles. D'une part, le ticket modérateur sera supprimé pour les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). D'autre part, la réduction de ce reste à charge pourra aller jusqu'à 60% pour la part du plan d'aide comprise entre 350 et 550 euros, et jusqu'à 80% pour celle au-delà de 550 euros. Les conditions pour bénéficier de cette réduction - et notamment les seuils de ressources - ne sont toutefois pas encore précisées.
Enfin, le projet de loi prévoira un renforcement de la professionnalisation des aides à domicile et une amélioration de leurs conditions de travail. Une enveloppe de 25 millions d'euros y sera consacrée. Au total, la réforme de l'APA mobilisera 375 millions d'euros annuels, soit plus de la moitié de l'enveloppe totale.
Une aide pour les aidants
Côté aidants, le projet de loi prévoit la création d'une "aide au répit", qui doit permettre aux intéressés de bénéficier de temps de répit dans la prise en charge. En pratique, cette aide pourra aller jusqu'à 500 euros par an au-delà du plafond de l'APA. Elle pourra servir, par exemple, à financer sept jours d'accueil dans un hébergement temporaire. Cette aide sera complétée par la mise en place d'un dispositif d'urgence pour aider les personnes dont l'aidant familial est hospitalisé. Une enveloppe de 80 millions d'euros est prévue pour financer ces deux mesures. Le nombre d'aidants naturels - à des degrés d'implication très divers - étant estimé à environ 4 millions de personnes, il reste à connaître les conditions pour bénéficier de ces aides.
D'autres dispositions sont également prévues pour améliorer l'accompagnement des personnes âgées et des familles, comme la création d'un portail national d'information, piloté par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ou le développement de l'utilisation du chèque emploi service universel (Cesu).
Un coup de pouce pour la prévention
Pour sa part, le volet prévention bénéficiera de 140 millions d'euros. Cette enveloppe permettra notamment d'améliorer l'accès aux aides techniques (aménagement du logement, téléalarme, domotique...). L'objectif est de solvabiliser la demande pour les personnes âgées et les familles à revenus modestes.
De même, un volet "personnes âgées" a été inscrit dans la stratégie nationale de santé présentée par Marisol Touraine en septembre 2013. Dans ce cadre, le projet Paerpa (personnes âgées en risque de perte d'autonomie) - testé depuis l'automne dernier dans huit régions pilotes - permettra de renforcer la coordination des interventions des équipes soignantes et sociales autour d'une même personne âgée. Paerpa financera également des expérimentations de nouvelles pratiques professionnelles permettant d'optimiser le parcours de santé des personnes âgées "dont l'état de santé est susceptible de s'altérer pour des raisons d'ordre médical et/ou social".
Le logement en première ligne
Le dernier volet du texte concerne l'adaptation de la société au vieillissement. Il regroupe donc, par définition, un ensemble de mesures assez disparates, avec toutefois une nette domination de la thématique du logement.
Relève notamment de ce domaine le lancement d'un "plan national d'adaptation de 80.000 logements, à l'échéance 2017. Piloté par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) - dont les deux directeurs viennent de remettre un rapport sur le sujet -, ce plan sera financé sur le budget de l'Anah, mais abondé d'une enveloppe de 40 millions d'euros apportée en 2015 et 2016 par la CNSA.
Autre novation : la transformation des logements foyers en "résidences autonomie". Cette nouvelle dénomination doit donner un "nouveau souffle" aux actuels logements foyers, grâce à un plan exceptionnel d'aide à l'investissement doté de 40 millions d'euros (en plus des dix millions déjà dégagés en 2014). Les "résidences" bénéficieront aussi d'un "forfait autonomie" (également 40 millions d'euros), qui leur permettra de développer des actions de prévention au profit des résidents.
Les autres mesures de ce troisième volet sont de moindre portée - et peu détaillées à ce stade -, comme la promotion d'une "silver mobilité" dans les politiques locales de transport, la création d'un volontariat civique senior, le développement de la cohabitation intergénérationnelle (qui ne décolle toujours pas) ou l'incontournable "affirmation des droits et libertés des personnes âgées".
Une gouvernance via des instances
Si les différentes mesures prévues par le projet de loi sont de nature très concrète, le volet gouvernance de la réforme laisse en revanche plus songeur. Difficile en effet de ne pas être frappé par la multiplication des instances, d'autant plus paradoxale qu'elle intervient à un moment où le gouvernement - choc de simplification oblige - cherche au contraire à en réduire le nombre.
Le projet de loi prévoit ainsi la création d'un "Haut conseil de l'âge", placé sous l'autorité du Premier ministre et qui réunira "l'ensemble des acteurs des politiques concernées par l'avancée en âge" (autrement dit à peu près tout le monde).
Au niveau local, seront créées cent "conférences départementales des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie". Elles associeront, sous la présidence du conseil général, les caisses de retraite, l'agence régionale de santé (ARS) et les autres acteurs volontaires comme les mutuelles (les communes et CCAS n'étant curieusement pas citées). Au sein de ces conférences, "les caisses de retraite, organisées à leur initiative en inter-régimes, joueront un rôle central pour garantir un continuum de prévention et de prise en charge". Outre les risques de friction entre la présidence de la conférence et le "rôle central" des caisses de retraite, la présentation du projet de loi ne dit rien de l'articulation avec d'autres structures comme les CLIC ou la MDPH. Rien non plus sur la création des maisons de l'autonomie, qui matérialiseraient le rapprochement entre le secteur des personnes âgées et celui des personnes handicapées. En sachant que le Premier ministre a de surcroît évoqué la création de "conseils départementaux pour la citoyenneté et l'autonomie", des conseils qui "auront pour vocation d'améliorer la coordination entre les acteurs et de renforcer la participation des personnes âgées et en situation de handicap". Mais les débats parlementaires pourraient contribuer à gommer certains chevauchements ou à combler quelques vides...