Personnes âgées - Les Ehpad, des lieux de privation de liberté ?
Dans son rapport d'activité 2012, présenté le 25 février, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) jette un pavé dans la mare. Dans un chapitre intitulé "Les établissements pour personnes âgées dépendantes : lieux de privation de liberté ?", Jean-Marie Delarue lâche d'abord une petite bombe en révélant avoir "déposé un avant-projet de loi entre les mains du Premier ministre en mai 2012 pour étendre les compétences du contrôle général aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad)". En tout état de cause, le projet de loi est demeuré sans suite, ce qui explique sans doute que son existence soit aujourd'hui publique.
Pas une prison, mais...
Certes, Jean-Marie Delarue s'empresse de préciser que "les Ehpad ne sont évidemment pas des lieux de privation de liberté assimilables à ceux qui, par, nature, ont été créés comme lieux de captivité". Il avance néanmoins, pour justifier la demande d'extension de ses compétences sur ces établissements, trois arguments qui contredisent quelque peu ces propos liminaires. Tout d'abord, "les personnes âgées dépendantes sont, en institution spécialisée, de fait privées de leur liberté". Les Ehpad sont "contraints d'assurer leur sécurité" et "pour ce faire, des établissements sont obligés d'être fermés ; la faculté d'aller et de venir n'est alors que théorique". Second argument : "la protection des personnes âgées en perte d'autonomie est une exigence humaine". Enfin, le contrôleur général pointe "le devoir de transparence pour les familles et le grand public". Jean-Marie Delarue est toutefois conscient d'une certaine fragilité juridique dans sa demande (d'où la remise du projet de loi). La loi du 30 octobre 2007 instituant le contrôleur général limite en effet son action à la privation de liberté dès lors qu'elle résulte de la "décision d'une autorité publique". Cette définition exclut le cas des personnes accueillies en Ehpad, dans la mesure où leur entrée en établissement relève de la sphère privée (décision de la personne elle-même ou, de fait, de son entourage). Mais Jean-Marie Delarue fait valoir qu'"il est bien clair qu'une fois placée en Ehpad, elle ne pourra plus en sortir, sauf autorisation. De là, la distinction entre le caractère public ou privé de l'auteur de la décision est formelle". On relèvera toutefois au passage qu'il n'est aucunement besoin d'une "autorisation" pour sortir d'un Ehpad.
A la différence des contrôles de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) - qui surviennent généralement ex post et après un incident - et des agences régionales de santé (ARS) - en principe récurrents et dans un cadre de routine -, les visites des collaborateurs du contrôleur général se feraient de façon inopinée... comme dans les prisons.
Michèle Delaunay réservée
Michèle Delaunay, qui a rencontré Jean-Marie Delarue "pour un long entretien" ces dernières semaines, se montre très prudente sur son blog, où elle a posté sa réaction le jour même. Tout en soulignant l'intérêt de la contribution de "cette personnalité éminente et unanimement respectée pour la pertinence de ses recommandations", la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie se montre plutôt réservée. Si "la possibilité d'une visite inopinée du contrôleur général constituerait [...] un message de vigilance susceptible de prévenir et d'éviter des comportements non adaptés ou de voir perdurer des locaux inadéquats", cette proposition "se heurte à la fois à des difficultés concrètes et à des questions que je qualifierais de déontologiques". Le langage pourrait être moins diplomatique du côté des représentants des établissements.
Même si la proposition de Jean-Marie Delarue n'est peut-être pas exempte d'un certain entrisme - l'intéressé verrait bien ses compétences étendues face à celles du Défenseur des droits - elle n'en soulève pas moins des questions de fond sur lesquelles le secteur devra bien finir par se pencher dans une plus grande transparence : contention des malades d'Alzheimer dans les périodes "de crise", abus de prescriptions médicamenteuses, dispositifs de géolocalisation... Autant de questions sur lesquelles il n'est pas sûr que les recommandations de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicosociaux (Anesm) - quelles que soient leurs évidentes qualités - ou les travaux du Comité national pour la bientraitance et les droits suffisent à apporter toutes les réponses.