Personnes âgées - Le Cese pas convaincu par le projet de loi sur le vieillissement
Le 12 février dernier, à peine Jean-Marc Ayrault avait-il présenté, à Angers, le contenu du projet de loi d'orientation et de programmation pour l'adaptation de la société au vieillissement (voir notre article ci-contre du 12 février 2014), que Marisol Touraine se rendait, le même jour, au Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour détailler les dispositions du texte. Il est vrai que la procédure retenue par le gouvernement prévoyait une saisine pour avis du Cese sur le projet de loi, avant sa présentation en Conseil des ministres, en principe au début du mois d'avril.
Une "révolution copernicienne"
Mais toutes ces attentions - y compris la présence de Michèle Delaunay, la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie, lors de l'adoption de l'avis - n'auront visiblement pas suffi. Lors de sa séance plénière du 26 mars 2014, le Cese a en effet adopté - par 152 voix pour, 3 contre et 1 abstention - un avis mitigé sur le projet de loi. Cet avis est présenté par deux conseillers de la section des affaires sociales et de la santé, appartenant respectivement aux groupes CFDT et CGT.
Certes, il ne s'agit pas d'un rejet du texte et encore moins des principes qui le guident. L'avis se réjouit ainsi d'une "révolution copernicienne" dans le regard de la société sur le vieillissement, proposé par le projet de loi, même s'il regrette que ce changement d'approche et ce nouvel élan "figurent essentiellement dans le rapport annexé, mais ne soient pas marqués comme un véritable engagement dans le texte même de la loi". Le Cese reconnaît volontiers "qu'une partie de la loi va dans le bon sens : la prévention, les droits fondamentaux des retraités et des personnes âgées - dont celui de pouvoir vivre à domicile -, la diminution des restes à charge, le soutien à domicile, la professionnalisation des salariés, la reconnaissance des aidants...", ce qui couvre tout de même une bonne partie du texte.
Mais, pour le Cese, la principale faiblesse du projet de loi tient au décalage entre les orientations du texte et les moyens qui lui sont affectés. L'avis estime en effet "que la réponse aux besoins des personnes âgées appellera des financements supplémentaires au-delà des 645 millions d'euros de la seule contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie prévue aujourd'hui". Un financement qui "n'est pas à la hauteur des enjeux". Le Cese déplore par ailleurs le découpage de la réforme en deux projets de loi, le volet sur les établissements étant en outre susceptible de représenter des enjeux financiers plus importants.
Prévention du vieillissement et stratégie nationale de santé
Ce constat mitigé conduit le Cese à formuler un ensemble de propositions pour compléter ou améliorer le projet de loi. Ainsi, sur la "culture du jeunisme" et le nécessaire changement de regard sur le vieillissement, il préconise des campagnes nationales de communication, mais aussi - conseil utile en ces temps de remaniement - de rattacher le secteur ministériel des personnes âgées "à un ministère plus large de l'égalité et de la solidarité", afin de mieux prendre en compte la question transversale du vieillissement dans toutes les politiques publiques. Parmi les autres propositions du Cese sur cet aspect du projet de loi, on retiendra notamment la généralisation des gérontopôles, la recréation de lieux de rencontres et d'activités intergénérationnelles et l'adaptation des métiers correspondants, en essayant de rééquilibrer la répartition hommes-femmes.
Sur la prévention des effets du vieillissement, le Cese partage les objectifs du projet de loi, mais s'inquiète de l'absence de liens - dans le rapport annexé au texte - entre la santé (et notamment la stratégie nationale de santé lancée par Marisol Touraine), l'autonomie de la personne, les conditions environnementales et le travail. Par ailleurs, le Cese se prononce favorablement sur l'article 6 du projet de loi qui met en place une coordination de l'action sociale des régimes de retraite dits "alignés" (Cnav, MSA et RSI), en vue de proposer une offre commune de préservation de l'autonomie (voir encadré). Enfin, l'avis rappelle qu'"une autonomie sans incapacité se prépare dès le plus jeune âge" et qu'une réflexion sur le vieillissement doit donc embrasser un champ beaucoup plus vaste.
Satisfecit mesuré sur l'APA
Sur les aspects matériels, le Cese se félicite de la revalorisation de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), qui constitue "une réelle avancée". Mais il estime que "cet effort reste insuffisant au regard des besoins des personnes âgées et cette situation risque de perdurer en l'absence de réexamen du système de péréquation permettant un rééquilibrage des participations financières de l'Etat et des départements". L'avis préconise aussi une révision de la grille Aggir, en l'orientant plutôt vers la logique du Geva (guide d'évaluation des besoins en compensation de la personne handicapée), qui propose une approche plus globale et moins "mécanique" de la perte d'autonomie.
Sur les aidants, la réaction du Cese est assez étonnante, mais s'explique sans doute par le profil des rapporteurs : alors que le projet de création "aide au répit" suscite un large consensus chez les intéressés, l'avis est pour le moins réservé notamment sur le principe du remplacement temporaire de l'aidant (le système québécois du "balluchonnage"). En effet, "s'il soutient la reconnaissance d'un droit au répit, [le Cese] considère que ce dispositif déroge au droit du travail et doit faire l'objet de négociations préalables avec les partenaires sociaux".
Ces mêmes préoccupations syndicales expliquent les réserves sur la création d'un "volontariat civique senior", car ce bénévolat "ne doit pas se substituer à l'action de professionnels".
Logement : des moyens insuffisants au regard des besoins
Le logement est une autre composante importante du projet de loi. Sur ce point aussi, le Cese partage l'objectif, mais s'inquiète de la disproportion avec les moyens envisagés. L'adaptation au vieillissement de 80.000 logements privés entre 2014 et 2017 lui semble en effet "de faible portée au regard du nombre de logements à adapter". L'avis formule donc un ensemble de propositions pour aller au-delà. Parmi celles-ci on retiendra notamment la généralisation des diagnostics habitat/mobilité proposés par les régimes de retraite, la mise en place de prêts adaptés par les banques, l'intégration de la dimension du vieillissement dans la construction neuve, ou encore des dispositifs incitatifs - à intégrer dans le Code de l'urbanisme - pour pousser à l'intégration de logements adaptés dans les ensembles immobiliers.
Sur l'habitat collectif, le Cese adhère aux mesures du projet de loi, et plus particulièrement au changement de dénomination des foyers logements (qui deviendraient des résidences autonomie) et à la création du forfait autonomie pour y développer des animations. Il préconise également l'élaboration d'un référentiel de l'habitat intergénérationnel.
Jamais trop d'instances...
Enfin, sur la gouvernance, le Cese se satisfait du dispositif proposé et ne semble pas s'émouvoir de la prolifération des instances (voir notre article ci-contre du 12 février 2014). Il se félicite ainsi de l'entrée programmée de la Cnam, de la Cnav, de la MSA et du RSI au conseil d'administration de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) - qui dépassera ainsi allègrement les 80 membres... - mais insiste pour que cette représentation revienne aux instances délibérantes et non aux directions de ces organismes. Sur la création d'une "conférence des financeurs", l'avis regrette "que les usagers, les organisations syndicales de retraités et les associations ne soient pas représentés par la structure de concertation départementale des retraités, personnes âgées et handicapées", ce qui semble pourtant un peu contradictoire avec la notion d'organisme financeur.
Sur un champ voisin, le Cese déplore aussi que le projet de loi n'affiche pas une plus grande ambition sur la mise en place des maisons de l'autonomie (MDA), qui regrouperaient les instances dédiées aux personnes âgées et aux personnes handicapées (MDPH). Dans sa rédaction actuelle, le texte se limite en effet à une simple incitation. L'avis invite donc "le gouvernement à consulter les représentants des retraités, personnes âgées et personnes handicapées pour établir le cahier des charges en vue de la délivrance du label 'maison de l'autonomie'".
Satisfaction - presque - sans réserve chez les caisses de retraite
Si le Cese émet des réserves sur certains aspects du projet de loi, il n'en va pas de même pour les trois régimes de retraite dits "alignés" : la Cnav, la MSA et le RSI. Dans un communiqué commun, les présidents de ces trois organismes émettent un avis très favorable sur le projet de loi. Ils s'y félicitent notamment "de la reconnaissance du rôle des caisses de retraite" et "saluent l'approche globale qui a prévalu à l'élaboration de ce projet de loi qui intègre les principales dimensions de l'avancée en âge (humaine, sociale, santé, environnementale, etc.)". Cette satisfaction va tout particulièrement à la reconnaissance du rôle de l'action sociale des caisses de retraite au travers de l'offre commune interrégime, qui se met progressivement en place.
Deux bémols toutefois. Les présidents des trois organismes jugent ainsi nécessaire que le fonctionnement de la future conférence départementale des financeurs "soit précisé dans le cadre d'un règlement intérieur type qui pourra être intégré dans le décret prévu par l'article 3 du projet de loi". Il semble que les conflits potentiels avec les présidents de conseils généraux - qui présideront ces instances - ne leur ont pas échappé (voir notre article ci-contre du 12 février 2014). D'autre part, ils demandent que le projet de loi "prévoie clairement que la distribution des aides techniques et actions de prévention pour les retraités non dépendants (GIR 5 et 6), puisse être confiée, par une convention de délégation, aux caisses de retraite". Ces dernières s'estiment en effet "les mieux à même de gérer ces dispositifs, en concertation étroite avec les départements, à travers leurs services évaluateurs et en s'appuyant sur la connaissance approfondie qu'elles ont des retraités concernés".