Congrès des maires - Identité, projet, proximité : l'avenir des communes en débat
Au matin du deuxième jour du Congrès des maires, ce 1er juin, l'avenir des communes était au cœur des débats dans le grand auditorium du parc des expositions de la porte de Versailles. Elus de terrain et experts universitaires étaient réunis autour d'André Laignel, maire d'Issoudun et premier vice-président délégué de l'Association des maires de France (AMF), et de Françoise Gatel, sénatrice-maire de Châteaugiron, pour prendre le pouls de cette collectivité au lendemain du "big bang territorial" constitué par la mise en place de sept nouvelles régions, deux nouvelles métropoles (Grand Paris et Aix-Marseille-Provence) ainsi que la refonte de la carte des intercommunalités dont le nombre devrait diminuer de près de 40% (perspective d'une carte de 1.245 EPCI à fiscalité propre à l'échelle nationale en 2017) et le mouvement de création de communes nouvelles - 317 instituées au 1er janvier 2016 (voir ci-contre notre article du 2 février).
"Faire confiance aux maires"
Après une rapide présentation par le politologue Pascal Perrineau des principaux enseignements du sondage réalisé à la demande de l'AMF sur "l'attachement des Français aux collectivités territoriales et à l'avenir de la commune" - qui "plébiscite" cette dernière (voir ci-contre notre article du 31 mai) -, Gérard Larcher, président du Sénat, a appelé en des termes vifs au "cessez-le-feu" en matière de réforme territoriale, à l'issue d'un processus législatif "complexe et chaotique". La Haute Assemblée, a-t-il précisé, est prête à "aménager" les textes déjà votés. Il a demandé aux services de l'Etat d'accompagner les territoires et de prendre en compte leurs spécificités, et au gouvernement de laisser plus de temps aux fusions complexes d'intercommunalités (voir ci-contre notre article du 11 avril). Il faut aussi poursuivre la simplification et l'allégement des normes - un chantier dont le Sénat s'est lui-même saisi, notamment en matière d'urbanisme (voir ci-contre notre article du 23 février).
Au chapitre des moyens, s'il s'est réjoui du report de la réforme du mode de calcul de la DGF (voir ci-contre notre article du 12 avril), Gérard Larcher a déploré la "triple injonction" à laquelle font face les maires : "maintenir les investissements locaux, les services au citoyen et ne pas s'endetter". Saluant la "révolution silencieuse" des communes nouvelles, dont Françoise Gatel et Christian Manable ont récemment fait l'analyse (voir ci-contre notre article du 19 mai), il a invité le président de la République à "faire confiance aux maires", car c'est de leur liberté que "naîtra le changement."
Réalité géographique et historique
Benoît Arrivé a été le premier à proposer un retour d'expérience. Il est désormais maire de Cherbourg-en-Cotentin, une commune nouvelle de 84.000 habitants née du regroupement des communes qui formaient auparavant la communauté urbaine de Cherbourg. Ce regroupement, explique-t-il, s'est imposé aux participants alors que la communauté urbaine avait atteint son "plafond de verre", en matière de mutualisation, dans la perspective d'une recomposition qui impliquait de donner une place au territoire dans la grande région, et au sein d'un département dans lequel ne subsisterait à terme que dix intercommunalités, d'après le projet de SDCI.
Dégageant des facteurs de succès, Benoît Arrivé a insisté, comme plusieurs intervenants après lui, en tribune comme dans la salle, sur l'importance d'une coopération ancienne entre les communes, l'élaboration d'un projet, articulé autour d'une charte de gouvernance, le "respect" des communes déléguées, et la nécessité d'inscrire le périmètre de la commune nouvelle dans une réalité géographique et historique qui corresponde au bassin de vie des habitants (voir la vidéo réalisée par Mairie-Conseils sur la démarche de Cherbourg-en-Cotentin).
Pas de mort de la "commune historique"
C'est un mécanisme de recomposition à une autre échelle qu'a décrit Didier Huchon, maire de Sèvremoine, président de la communauté d'agglomération du Pays des Mauges. A l'issue d'une réflexion coordonnée sur la nouvelle architecture du bloc communal, axée essentiellement sur des questions d'aménagement et de planification, les 64 communes qui constituaient cette communauté ont décidé de se regrouper en six communes nouvelles. Il a souligné l'importance du travail mené sur la question des proximités et du bon niveau d'intervention (commune déléguée, commune nouvelle, communauté d'agglomération) en fonction des services concernés. La recomposition du bloc communal n'est pas "la mort de la commune historique", a-t-il insisté, exhortant ses collègues à se mettre en "mode projet" (voir la vidéo de Mairie-Conseils sur l'expérience du Pays des Mauges).
Alain Richard, sénateur-maire de Saint-Ouen-l'Aumône, a pour sa part exprimé la crainte, largement partagée par les élus présents, d'une distance toujours plus grande entre les élus de terrain et les décisions politiques, du fait de la création des nouvelles intercommunalités et de leur mode de gouvernance. Ce sont entre 450.000 et 500.000 élus communaux qui risquent d'être "débranchés des intercommunalités", a-t-il insisté. Cette déconnexion risque aussi d'apparaître entre les parlementaires et la vie municipale à l'issue des élections législatives de 2017, du fait de la loi sur le non-cumul des mandats, d'où la nécessité d'un travail de pédagogie à destination de ces derniers.
"Qu'est-ce qu'il nous reste ?"
Si les intervenants en tribune ont dressé un bilan plutôt positif de la recomposition du bloc communal, les maires présents dans la salle se sont souvent fait l'écho de leur inquiétude, colère, ou frustration face à un processus "à marche forcée", qui s'apparente pour certains à une "fuite en avant" qui les dépossède. L'attribution par la loi de compétences à d'autres niveaux de collectivité méconnaît également, pour nombre d'entre eux, le principe de subsidiarité, quand bien même les communes conservent leur clause de compétence générale. Autre point d'achoppement, le mode de représentation des élus communaux au sein des intercommunalités ou de la métropole de Lyon, qui donnerait naissance à une "démocratie de démographie". Sur ces questions de gouvernance, Alain Richard a estimé qu'il y avait là un chantier dont l'AMF pouvait se saisir. Il a par ailleurs rappelé l'hostilité de l'association au scrutin "supra-communal" pour l'élection de conseillers communautaires.
Gare au "gigantisme" des intercommunalités
En deuxième partie de la matinée, les chercheurs rassemblés au sein du comité de réflexion de l'AMF ont présenté leur vision de la commune du XXIe siècle. Pour Pascal Perrineau, si la commune "fait sens", elle est confrontée à deux principales difficultés : le manque de lisibilité de l'organisation territoriale, d'où la nécessité d'éviter les "réformes venues d'en haut", le risque de "gigantisme" porté par les intercommunalités "XXL" qui accentuerait le déficit démocratique du fait d'un "pouvoir anonyme".
Géraldine Chavrier, professeur de droit public à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, a pour sa part estimé que le principe d'égalité dans l'organisation du fonctionnement des collectivités ne signifiait pas qu'il devait y avoir une "uniformité", notamment en matière de représentation des communes dans les intercommunalités. Vincent Aubelle, professeur associé à l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, a enfin développé la vision d'une intercommunalité "stratège", qui "n'intervient pas sur tout."
A l'issue du débat, André Laignel a repris la parole pour affirmer la solidarité de l'AMF envers les maires et la population des communes victimes des inondations (voir notre article dans l'édition du jour), réaffirmant à point nommé le rôle du maire - et de la commune - comme premier recours.