Cour des comptes - Hôpitaux locaux : gare à la réforme de la tarification
Dans le cadre de son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, publié le 17 septembre, la Cour des comptes consacre un chapitre à l'avenir des hôpitaux locaux (voir aussi notre article de ce jour sur le chapitre consacré à la permanence des soins). Sur ce sujet très sensible, le rapport adopte une position nuancée, qui tranche avec les appels coutumiers à leur fermeture ou à leur transformation en établissements sociaux ou médicosociaux. C'est qu'entre-temps, la crainte de la "désertification médicale" dans les territoires ruraux a pris de l'ampleur. Or les hôpitaux locaux - qui n'existent d'ailleurs plus en termes juridiques, la loi Hôpital, patients santé et territoire (HPST) du 21 juillet 2009 les ayant soumis au droit commun des établissements de santé - pourraient jouer un rôle de soutien à l'activité libérale.
Un risque de fragilisation très forte
Malgré cette "disparition" en tant que structures spécifiques, le rapport en cerne néanmoins le périmètre. L'apport des 320 ex-hôpitaux locaux est très modeste dans l'activité de court, moyen et long séjour, puisqu'ils ne comptent que 13.000 lits de MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), de SSR (soins de suite et de réadaptation) et d'USLD (unités de soins de longue durée, correspondant essentiellement à la gériatrie). En revanche, ils disposent de 46.000 places médicosociales, orientées sur l'accueil des personnes âgées (essentiellement en Ehpad). Les hôpitaux locaux assurent ainsi 3% de l'activité publique en médecine et 15% en SSR, pour un financement de l'assurance maladie de l'ordre de 690 millions d'euros en 2011.
La Cour commence par constater "l'ampleur des mutations qu'a connues ce type d'établissement sous l'effet conjugué des recompositions régionales de l'offre de soins, des difficultés de recrutement de praticiens libéraux ou du projet de réforme du financement de leurs activités". Cette offre de proximité demeure fragile, pour diverses raisons évoquées par le rapport. Celles-ci tiennent notamment à leur répartition très hétérogène sur le territoire (par exemple, sur les 18 hôpitaux locaux de Bourgogne, 16 se trouvent en Saône-et-Loire et en Côte-d'Or et 2 seulement dans l'Yonne et la Nièvre), à la dépendance croissante des patients pris en charge (notamment en SSR), ou encore à la "place prépondérante" donnée à la médecine libérale (avec des modes de rémunération pas toujours adaptés aux pathologies prises en charge).
Par ailleurs, les hôpitaux locaux ont fait l'objet, durant ces vingt dernières années, de restructurations en profondeur, même si - contrairement à une idée reçue - leur capacité s'est globalement accrue de 19% sur la période, mais avec un fort contraste selon les activités (+51% sur le médicosocial, -32% sur l'hospitalisation). Les hôpitaux locaux - qui affichent une situation financière globalement positive - risquent également d'être fortement impactés par la réforme en cours du financement, avec le basculement sur la T2A (tarification à l'activité). La Cour des comptes voit d'ailleurs dans cette réforme le risque d'"une fragilisation très forte". Sur neuf hôpitaux bourguignons ayant fait l'objet d'une simulation financière, un seul conserverait les mêmes recettes avec la T2A qu'avec la dotation annuelle de financement. Les huit autres seraient perdants, dans des proportions allant de -8% à -61%. En Lorraine, sur onze hôpitaux, un seul serait gagnant et les dix autres perdants (avec, pour l'un d'entre eux, un budget réduit à 28% de sa dotation actuelle...).
Pour un financement mixte
Pour autant, les ex-hôpitaux locaux ont "des atouts à faire valoir", que la Cour des comptes entend conforter à travers un certain nombre de propositions. Le rapport se garde toutefois d'embellir le tableau, en reconnaissant que "certains établissements, confrontés notamment à de graves difficultés de recrutement médical, ne pourront pas continuer à assurer une prise en charge en court séjour ni même en soins de suite et de réadaptation et leur transformation en structure médico-sociale, sinon leur fermeture complète, peut s'avérer nécessaire".
La principale condition à leur pérennisation consiste à "conforter la présence des médecins libéraux", qui tendent aujourd'hui à se désengager. Ce "désengagement" n'est d'ailleurs pas forcément volontaire, mais tient le plus souvent au vieillissement des intéressés et à la diminution continue du nombre de médecins généralistes dans de nombreuses zones rurales. La Cour propose donc de faire de ces hôpitaux "un point d'ancrage" pour la lutte contre les déserts médicaux, en visant non seulement les généralistes, mais aussi les paramédicaux. Ceci pourrait passer, entre autres, par un "adossement réciproque" entre ces hôpitaux locaux et les maisons de santé pluridisciplinaires.
Au niveau national, le rapport plaide pour "un pilotage ministériel plus cohérent" et pour une clarification du financement. Il relève en effet, sur les vingt dernières années, des incertitudes et des incohérences sur les missions et le positionnement assignés aux hôpitaux locaux. A ce titre, la Cour des comptes juge positivement le récent recrutement de 200 "praticiens territoriaux de médecine générale" (voir notre article ci-contre du 27 août 2013) et le "pacte territoire-santé", lancé par Marisol Touraine le 12 septembre 2012, notamment son engagement n°11, qui reconnaît la place des hôpitaux de proximité (voir notre article ci-contre du 13 décembre 2012).
Reste la question en suspens de la tarification. Le ministère de la Santé a certes lancé des travaux d'adaptation du modèle de T2A aux spécificités des ex-hôpitaux locaux. Mais ces travaux n'ont toujours pas abouti et la décision a été prise, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, de repousser à nouveau la date du basculement sur la T2A. Le rapport propose donc de profiter de ce délai pour relancer les travaux sur les adaptations nécessaires. Sur ce point, la Cour des comptes estime que "s'il est normal qu'une partie de leur financement soit liée à leur activité et à leurs coûts, il serait également logique de leur reconnaître une part de financement forfaitaire au titre de leur rôle spécifique. Seul un financement mixte paraîtrait à cet égard de nature à les conforter là où leur présence demeure nécessaires".