Accès aux soins - Déserts médicaux : le contrat de praticien territorial se met en place
C'est l'un des points clés du plan de Marisol Touraine contre les déserts médicaux : un décret et trois arrêtés du 14 août 2013 mettent en place le cadre juridique du contrat de praticien territorial en médecine générale, instauré par la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 (voir nos articles ci-contre du 21 décembre et du 29 octobre 2012). Par ce contrat - conclu, sur une base volontaire, avec l'agence régionale de santé (ARS) -, le praticien intéressé s'engage "à exercer, pendant une durée fixée par le contrat, la médecine générale dans une zone définie par l'ARS et caractérisée par une offre médicale insuffisante ou des difficultés dans l'accès aux soins". En contrepartie, il bénéficie d'une rémunération garantie.
Une aide à l'installation sur deux ans
Le décret du 14 août 2013 introduit dans le Code de la santé publique une nouvelle section composée de 17 articles, qui fixent les modalités de mise en œuvre du contrat de praticien territorial. Ainsi, le contrat "est conclu pour une durée qui ne peut excéder un an, à compter de la date de sa signature. Il est renouvelé par tacite reconduction pour la même durée si l'exécution d'un nouveau contrat ne peut conduire le praticien à exercer ses fonctions pendant une durée totale supérieure à deux ans". En d'autres termes, l'intéressé "ne peut exercer en qualité de praticien territorial de médecine générale que pendant une période maximale de deux ans, quel que soit le nombre de contrats conclus à ce titre". Cette durée limitée confirme le caractère d'aide à l'installation du contrat de praticien territorial, qui correspond bien à l'esprit de la loi, même si l'article 46 de la LFSS 2013 ne prévoit pas de durée. Il précise néanmoins que le contrat de praticien territorial est réservé aux médecins n’exerçant pas déjà d’activité médicale libérale ou dont l'installation en cabinet libéral date de moins d’un an, ou aux assistants spécialistes à temps partiel au sein d’un établissement public de santé.
Un revenu professionnel garanti de 6.900 euros par mois
Le contrat de praticien territorial instaure, pour ses bénéficiaires, un mécanisme de revenu différentiel. Pour bénéficier du dispositif, le généraliste concerné doit "justifier d'une activité libérale correspondant à un nombre minimum d'actes à tarif opposable réalisés chaque mois". Ce minimum d'activité ne peut être inférieur à 165 consultations mensuelles de médecine générale au tarif opposable (23 euros). Si cette condition est remplie, le contrat lui assure un revenu différentiel entre le montant correspondant à ses revenus effectifs et un montant plafond fixé par le décret. Celui-ci est de 300 consultations mensuelles de médecine générale au tarif opposable, soit un montant maximal mensuel de 6.900 euros (revenu professionnel à ne pas confondre avec le revenu disponible, puisqu'il couvre aussi les cotisations sociales - part "salariale" - et les frais professionnels). Le complément mensuel de revenu professionnel correspond à la différence entre les honoraires effectivement encaissés par le praticien (soit l'équivalent de 165 consultations par mois) et le plafond garanti correspondant à 300 consultations mensuelles. Le versement mensuel - financé par l'assurance maladie (via le fonds d'intervention régional) - peut donc aller jusqu'à 3.105 euros par mois. Le décret du 14 août 2013 précise que "les actes réalisés, les honoraires et rémunérations forfaitaires perçus au titre de la permanence des soins organisée ne sont pris en compte ni pour vérifier le respect du seuil minimum d'actes, ni pour le calcul de la rémunération complémentaire".
Le décret détaille également les modalités de fonctionnement du contrat de praticien territorial en cas de suspension de l'activité du médecin. En cas d'arrêt maladie supérieur à sept jours ou de congé maternité, ce dernier bénéficie - sous réserve d'avoir exercé dans le cadre d'un contrat de praticien territorial durant le trimestre civil précédent - d'une indemnité forfaitaire. Dans le cas d'un arrêt maladie, cette indemnité forfaitaire est égale à la moitié de la différence entre les montants correspondant respectivement au plafond et au seuil minimal d'activité, soit environ 1.552 euros par mois (dans le cas d'une activité de neuf demi-journées par semaine ou davantage). Dans le cas d'un congé maternité, elle est égale à la différence entre les montants correspondant respectivement au plafond et au seuil minimal d'activité, soit environ 3.105 euros par mois. On relèvera au passage que, si le congé maternité pour les médecins libéraux a été mis en place par un décret du 2 juin 2006, c'est la première fois qu'un congé maladie est mis en place pour les médecins libéraux, à l'exception de l'indemnité journalière de 94,90 euros par jour de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), mais qui n'est versée qu'à compter du 91e jour d'arrêt).
Deux cents contrats pour 2013
Le décret du 14 août 2013 s'accompagne de trois arrêtés datés du même jour. Le premier fixe le contrat type de praticien territorial de médecine générale. Il précise notamment que le praticien peut exercer dans plusieurs lieux situés au sein des zones ou territoires fragiles d'une même région. Il précise également les "engagements individualisés" du praticien territorial. Ceux-ci peuvent porter sur la permanence des soins ambulatoires dans le cadre de l'organisation régionale, sur des actions destinées à améliorer la prescription, sur des actions d'amélioration des pratiques, sur des actions de dépistage, de prévention et d'éducation à la santé, sur des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins, ou encore sur des actions de collaboration auprès d'autres médecins.
Conformément au chiffre qui avait été annoncé lors du débat parlementaire, le deuxième arrêté du 14 août 2013 fixe à 200 le nombre de contrats de praticiens territoriaux de médecine générale au titre de l'année civile 2013. Enfin, le troisième arrêté détermine leur répartition par région. Vingt contrats sont ainsi affectés aux DOM, tandis que 180 concernent la métropole. Les principales régions bénéficiaires sont Rhône-Alpes (24 contrats), l'Ile-de-France (15), le Centre (13), la Bourgogne (12) et Midi-Pyrénées (12).
Si l'ensemble du dispositif est ainsi en place, il reste désormais à connaître l'accueil qui sera réservé à ces contrats. Même si le contrat de praticien territorial apparaît intéressant, il s'agit d'un dispositif transitoire. Au bout de deux ans, le généraliste pourrait perdre - si son activité propre ne se développe pas - jusqu'à 50% de son revenu professionnel. En outre, l'âge moyen d'installation d'un généraliste est aujourd'hui de 38 ans, compte tenu du choix croissant de commencer par effectuer des remplacements. Dans ces conditions, la question de l'activité du conjoint risque de constituer un frein important. Le succès des contrats de praticien territorial de médecine générale n'est donc pas garanti. A moins qu'ils constituent les prémices d'une nouvelle forme d'exercice de la médecine générale...
Jean-Noël Escudié / PCA
Le contrat d'engagement de service public amendé et ouvert aux dentistes
Deux autres décrets du 14 août 2013 apportent également des modifications significatives à un autre dispositif de lutte contre les déserts médicaux : le contrat d'engagement de service public durant les études médicales. Créé par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21 juillet 2009 et mis en place par un décret du 29 juin 2010, ce dispositif consiste à verser aux étudiants en médecine - dès la fin du premier cycle d'études médicales - une allocation mensuelle, en contrepartie d'un engagement de s'installer dans une zone sous-dotée pour une durée au moins égale à celle du versement de l'aide et qui ne peut être inférieure à deux ans. Confronté à des débuts laborieux, le contrat d'engagement de service public a déjà fait l'objet de plusieurs aménagements (voir nos articles ci-contre du 21 décembre 2012 et du 17 novembre 2011). Le décret 2013-734 du 14 août 2013 apporte sa pierre à l'édifice en introduisant de nouvelles modifications.
Ainsi le décret donne la possibilité d'élargir les zones concernées par les contrats d'engagement, en faisant disparaître la référence aux critères territoriaux mentionnés à l'article L.632-6 du Code de l'éducation, qui désignait comme prioritaires les zones de revitalisation rurale et les zones urbaines sensibles. Le décret 2013-734 précise, par ailleurs, que le signataire s'engage à exercer son activité de soins - et non plus son activité professionnelle - dans une zone ou plusieurs zones sous-dotées. Ce distinguo permet aux jeunes médecins de mener également des activités de recherche ou d'enseignement là où ils le souhaitent (et notamment dans leur CHU de formation). Enfin, le décret prévoit la possibilité, pour le signataire, de résilier son contrat d'engagement de service public, sans pénalité, dès lors que l'ARS cesse de considérer la zone d'installation comme fragile.
Pour sa part, le décret 2013-735 du 14 août 2013 met en œuvre l'extension du dispositif du contrat d'engagement de service public aux étudiants en odontologie de la deuxième année d'étude jusqu'à la fin du deuxième cycle), mesure prévue par l'article 47 de la LFSS 2013. Les dispositions du décret reprennent celles relatives aux étudiants en médecine. Le décret fait ainsi entrer les dentistes dans le champ de la lutte contre les déserts médicaux.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : décret 2013-736 du 14 août 2013 relatif au contrat de praticien territorial de médecine générale ; arrêté du 14 août 2013 relatif au contrat type de praticien territorial de médecine générale pris en application de l'article R.1435-9-6 du code de la santé publique ; arrêté du 14 août 2013 fixant au titre de l'année 2013 le nombre de contrats de praticiens territoriaux de médecine générale ; arrêté du 14 août 2013 portant répartition régionale des contrats de praticiens territoriaux de médecine générale au titre de l'année 2013 ; décret 2013-734 du 14 août 2013 relatif aux modalités de passation et d'exécution du contrat d'engagement de service public durant les études médicales ; décret 2013-735 du 14 août 2013 relatif au contrat d'engagement de service public durant les études odontologiques (Journal officiel du 15 août 2013).