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Economie mixte / Commande publique - Gestion déléguée, gouvernance partagée : les Semop se mettent en place

Au vu des craintes et insatisfactions que génère parfois l'exécution des délégations de service public et des partenariats public-privé, la possibilité pour les collectivités d'être associées à la gestion des services publics qu'elles délèguent au sein d'une société d'économie mixte à opération unique (Semop) - et d'en retirer un bénéfice financier - peut paraître alléchante. Cette forme de "partenariat public-privé institutionnalisé" tient-elle ses promesses ? Deux ans après la promulgation de la loi, premier retour d'expérience et enseignements, tirés du projet de Chartres Métropole.

Instituée par la loi du 1er juillet 2014, la société d'économie mixte à opération unique (Semop) peut s'appliquer à la réalisation d'une opération de construction, de développement du logement ou d'aménagement, à la gestion d'un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou des biens nécessaires au service, ou à toute autre opération d'intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales. Ces opérations comportent une composante d'investissement significative et impliquent une gestion sur le long terme.

Dépasser les difficultés de gestion

Plébiscité lors de son adoption par le Parlement et portée par la Fédération des EPL (entreprises publiques locales), ce nouveau dispositif répond au vœu des élus locaux de dépasser les difficultés de gestion rencontrées aussi bien dans le cadre de la régie que du partenariat public-privé (voir ci-contre notre article du 12 mai 2014), désormais encadré par les marchés de partenariats (voir ci-contre notre article du 19 avril 2016). Il constitue une évolution par rapport aux formes de délégations déjà existantes.
A la différence des délégations de service public (DSP) et des partenariats public-privé, ce dispositif implique la création d'une structure ad hoc au sein de laquelle la collectivité participe activement sur le long terme à la manière dont est exécutée la convention. C'est là un des intérêts pour les collectivités et un avantage par rapport aux contrats de partenariat, où l'opérateur a la qualité de maître d'ouvrage. Il s'établit une convergence d'intérêts financiers entre la collectivité et l'opérateur retenu, liée à la manière dont la Semop accomplit sa mission, dans la mesure où celle-ci, société anonyme, peut distribuer des dividendes.
D'après la Fédération des EPL, au moins une quinzaine de projets de Semop sont à l'étude en France actuellement. Trois ont déjà vu le jour.

Unifier la gestion des services sur l'ensemble du territoire

Signe d'une certaine insatisfaction, un quart des villes et agglomérations de plus de 40.000 habitants réfléchiraient actuellement à un changement de leur mode de gestion de la distribution de l'eau, d'après l'Institut de la gestion déléguée (voir ci-contre notre article du 1er décembre 2015). A l'instar de la ville de Dole (voir ci-contre notre article du 7 octobre 2015), Chartres Métropole a fait le choix de confier ce service à une Semop, depuis le 1er janvier 2016.
La question de la délégation du service public de l'eau potable s'est posée dans un contexte particulier pour la communauté d'agglomération, après qu'elle soit passée de 7 à 47 communes en janvier 2013, explique Louis Semblat, directeur général adjoint de Chartres Métropole. Différents modes de gestion du service public coexistaient sur l'ensemble du territoire (DSP, régie, régie de services et marché d'exploitation) qu'il s'agissait pour l'EPCI d'unifier.
La communauté d'agglomération avait l'expérience des DSP, notamment dans le domaine des déchets et du transport. Mais ce mode de fonctionnement ne lui convenait plus, le dialogue délégant/délégataire ne donnant pas satisfaction. Chartres Métropole souhaitait être acteur de la gestion, pas spectateur ou client, tout en faisant appel à un opérateur privé, afin de bénéficier de son expertise et de son savoir-faire industriel, sachant que la communauté compte 47.000 abonnés à l'eau.
Le choix du modèle Semop s'est imposé pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il permet de définir le niveau de services souhaité, en conformité avec le projet des élus. De plus, la Semop étant dissoute en fin de contrat - en l'occurrence, dix ans-, le mode de gestion peut être réétudié à cette échéance. Enfin, à l'issue du contrat, la collectivité récupère, en plus des infrastructures, le système d'exploitation, notamment ici des logiciels techniques, fruit de "l'intelligence" de l'exploitant. Ce n'est pas le cas avec d'autres modes de gestion qui induisent une difficulté à changer d'exploitant. Les personnels de la société peuvent également être repris par le nouvel exploitant, assurant ainsi une meilleure continuité du service.

Une gouvernance mixte

L'appel d'offres de Chartres Métropole s'est inscrit dans le cadre défini par la loi du 29 janvier 1993 dite "Sapin", qui n'a pas été remis en cause par la transposition de la directive Concessions. La collectivité a pris la décision de recourir à une DSP et de créer une Semop. Au cahier des charges, identique à celui d'une DSP classique, s'est ajouté un "document de préfiguration", qui définit les règles de gouvernance, de contrôle, le coût prévisionnel de l'opération et les critères de sélection.
Une fois les propositions des candidats reçues, une négociation en deux temps s'est engagée : tout d'abord sur la qualité du service, les propositions économiques et techniques. Puis un deuxième volet, en tant que futur coactionnaire, sur les questions de gouvernance, gestion sociale, résultats et financements des investissements.
L'organe délibérant, après présentation des choix et objectifs du projet, s'est prononcé tout d'abord sur le principe du recours à une Semop, puis sur le choix de l'opérateur et enfin sur la composition du conseil d'administration (CA). Conformément à la législation, le président du conseil d'administration de la nouvelle structure est un élu - le président de Chartres Métropole -, tandis que le directeur général est un représentant de l'actionnaire privé.
Cette nouvelle structure, Cm Eau, est chargée d'exécuter le contrat. Son capital, fixé à 1 million d'euros, est réparti en 40% pour Chartres Métropole - le minimum fixé par la loi étant 34% - , et 60% à l'opérateur, Aqualter. 13 millions d'euros d'investissement sont prévus. Le chiffre d'affaires prévisionnel est de 90 millions d'euros sur dix ans. Les dividendes escomptés par l'agglomération seraient de plus de 2 millions d'euros sur la durée du contrat.

Chartres Métropole "au cœur du dispositif"

Après plus de six mois d'existence, Chartres Métropole estime être "beaucoup plus au cœur du dispositif". Elle a d'ailleurs mis à disposition de Cm Eau certains de ses personnels techniques. L'EPCI "participe pleinement" au déploiement des outils d'exploitation, et à la construction du dispositif de télérelève. Cet investissement majeur - il représente 6 millions d'euros sur les 13 prévus - a fait l'objet d'un vote en CA, mais a été préparé dans un comité auquel les élus participent. Ils sont donc davantage associés aux décisions, au prix d'une plus grande implication.
Ce dispositif de télérelève, qui s'inscrit dans le développement des "réseaux intelligents", est élaboré en association avec une autre Sem de la métropole, Chartres Métropole innovation numérique, sur les aspects de communication électronique et de remontée des données d'exploitation. Du fait de leur présence dans la Semop, les élus peuvent ainsi organiser la coopération entre les entreprises publiques locales (EPL).
Au final, un contrat de service public à objet unique peut être contraignant, avertit Louis Semblat. Il implique de réfléchir en amont à tout ce que la collectivité ou l'EPCI veut faire avec la Semop, dans la mesure où il est plus difficile à modifier ensuite que ceux régissant les autres types d'EPL. Sur le volet investissement, il y a par contre un intérêt à être présent : être associé à la mise en œuvre donne des moyens de compréhension accrus, une "vision d'actionnaire."

La Caisse des Dépôts accompagne la création des Semop

La création de Semop est une opération complexe, de par certains de ses aspects juridiques qui touchent au droit des sociétés et sa nouveauté même. La Fédération des EPL offre aux collectivités intéressées par de tels projets de la rejoindre pour bénéficier d'un accompagnement à deux niveaux. Tout d'abord, en termes de définition et d'élaboration du projet, phasage et procédure contractuelle. Puis, à l'issue de l'appel d'offres, sur les questions de gouvernance et d'investissement. Ses missions lui permettent de recueillir les expériences et de diffuser les bonnes pratiques.
La Caisse des Dépôts est également un appui possible à la création de Semop. Par l'entremise de sa direction des investissements et du développement local (Didl), la Caisse des Dépôts a la faculté de pouvoir intervenir comme tiers investisseur au côté de l'opérateur et de la collectivité. La présence de cet investisseur de long terme au capital de la société est de nature à renforcer l'investissement public au sein de cette dernière. Par ailleurs, son apport réduit d'autant l'apport en fonds propres des autres actionnaires.
La Caisse des Dépôts prévoit d'intervenir en priorité dans les projets qui requièrent un investissement important et "fera bénéficier les collectivités de son expérience en termes de montage Semop accumulée au fil des projets menés", indique Anatole Nef, responsable territorial à la Didl. Elle est actuellement partie prenante de plusieurs projets de Semop pour lesquels le processus de contractualisation ou de consultation est en cours dans divers domaines : réseau de chaleur, aménagements ou gestion de port de plaisance, pour les projets les plus avancés.

 

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