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Emploi - Formation : "Il ne peut y avoir trois pilotes dans la même voiture"

Le projet de loi sur la formation professionnelle qui sera présenté en Conseil des ministres le 29 avril s'attire déjà de nombreuses critiques : le CNFPTLV y est défavorable, les partenaires sociaux ne s'y retrouvent pas et les régions accusent l'Etat de vouloir reprendre la main.

Le 29 avril 2009, le projet de loi sur la formation professionnelle sera présenté en Conseil des ministres. L'objectif est de le faire adopter par le Parlement d'ici l'été. Le texte a déjà été présenté aux partenaires sociaux le 10 avril. Il a également subi le vote du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV). Mais les retours ne sont pas très positifs. Même si les derniers arbitrages ont réintroduit le caractère paritaire du fonds de sécurisation des parcours professionnels, les partenaires sociaux sont encore très critiques et le CNFPTLV a émis un avis défavorable, avec 21 votes contre, 7 votes pour, et 16 abstentions... Seuls les représentants de l'Etat ont soutenu le projet. Les représentants des conseils régionaux, de la CGT, de l'Union professionnelle des artisans (UPA) et de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ont quant à eux voté contre, chacun ayant ses raisons. La CGT s'oppose ainsi particulièrement aux articles sur le transfert de personnels d'orientation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) à Pôle emploi et sur le bilan d'étape professionnel, estimant que le projet ne va pas assez loin. L'UPA s'oppose quant à elle à l'article prévoyant que les financements versés aux OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) par les entreprises de moins de cinquante salariés seront exclusivement consacrés à la formation des salariés de ces entreprises. Elle craint que les fonds versés par les entreprises de moins de dix salariés soient absorbés par les entreprises de dix à cinquante salariés. En revanche, d'autres, comme la CFDT et la CFTC, ont préféré s'abstenir, ne souhaitant pas s'opposer au projet mais estimant qu'il y avait encore des marges de progrès à réaliser sur le texte et des éclaircissements à donner, notamment sur le positionnement des différents fonds : le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, créé pour prendre en charge la formation des salariés les moins qualifiés et des demandeurs d'emploi en difficulté, et le nouveau fonds d'investissement social, destiné à traiter l'urgence de la situation actuelle.

 

"Nous ne pouvons accepter d'être mis sous tutelle de l'Etat"

Quant aux régions qui ont reçu une compétence en matière de formation avec les lois de décentralisation, elles sont remontées contre le projet de loi. "Il y a un entêtement de la part de l'Etat et du secrétaire d'Etat chargé de l'emploi sur certains sujets, et notamment sur le rôle des régions, assure ainsi Jean-Paul Denanot, président de la commission formation de l'Association des régions de France (ARF) et président du conseil régional du Limousin. Nous ne pouvons accepter d'être mis sous tutelle de l'Etat." Au-delà de leur opposition générale au projet de loi qui prévaut depuis le début des discussions, les régions critiquent les dispositions concernant le plan régional de développement de la formation (PRDF). Dans le projet de loi, le PRDF "se formalisera par la signature conjointe du président du conseil régional, du préfet de région et du ou des recteurs d'académie concernés", alors que jusqu'à maintenant il n'est l'objet que d'une simple concertation. "L'idée que l'Etat s'engage est plutôt une bonne chose, explique Jean-Paul Denanot, mais le PRDF aura plusieurs signataires, dont le préfet, qui deviendra de fait le pilote du dispositif ; nous avions demandé à ce que la région adopte seule le PRDF après consultation des autres partenaires du domaine." C'était l'idée d'un PRDF "prescriptif", signé uniquement par le président du conseil régional, défendue également par le rapport du sénateur Jean-Claude Carle. "Le fait que les régions doivent piloter la formation est reconnu par tous, y compris dans les travaux du groupe de Pierre Ferracci, ou par les partenaires sociaux, et pourtant on s'oriente vers des situations opposées", souligne encore Jean-Pierre Denanot.

 

"Il y a des enjeux territoriaux très forts"

Autre source d'insatisfaction pour les régions : le calendrier envisagé. D'un côté, le PRDF est signé pour six ans, de l'autre, l'Etat, les régions et les partenaires sociaux vont se retrouver chaque année pour la conférence chargée de donner les orientations des politiques de formations. "Il y a une unité de temps qui nous échappe un peu", souligne le président du conseil régional du Limousin. Quant à la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, "c'est une bonne chose", indique Jean-Paul Denanot, même s'il n'est pas sûr que les régions y soient totalement associées. "Les régions ont toute leur place autour de la table", assure-t-il, citant les actions que certaines régions vont devoir mettre en place dans le secteur automobile, très touché par la crise économique. "Il y a des enjeux territoriaux très forts, on ne peut pas piloter un fonds au niveau national sans tenir compte des spécificités régionales." Pourtant, les régions ont elles-mêmes fermé une porte lorsqu'il était encore question, lors des négociations, d'un fonds régional piloté par les préfets. Aujourd'hui, elles considèrent que l'Etat cherche à reprendre la main : "Ce sont les partenaires sociaux qui vont abonder le fonds, mais l'Etat qui va décider." Ce fonds, qui remplacera à terme l'actuel fonds unique de péréquation (FUP), vise à sécuriser les parcours des demandeurs d'emploi et des salariés potentiellement en difficulté sur le marché du travail. Il sera en effet abondé par une partie des contributions obligatoires des employeurs à la formation et son utilisation sera déterminée par un accord entre les partenaires sociaux et l'Etat. Les régions espèrent maintenant que les parlementaires sauront défendre leur cause pour aboutir à une loi plus proche de leurs attentes. Mais le gouvernement est déterminé. "Il ne peut y avoir trois pilotes dans la même voiture, nous a indiqué Laurent Wauquiez, et l'Etat a choisi le préfet comme pilote", déplore Jean-Paul Denanot.

 

Emilie Zapalski