Sports - Financements des équipements sportifs en temps de crise : quelles solutions ?
La table ronde consacrée aux financements et aux montages juridiques des équipements sportifs, tenue jeudi 22 novembre dans le cadre du Salon des maires, avait une acuité particulière en ces temps de crise. Les collectivités ont en effet de plus en plus de mal à financer leurs équipements, y compris sur le modèle traditionnel de la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) et du recours à l'emprunt. A ce constat conjoncturel, Christian Rasoamanana, directeur du secteur public chez Price Waterhouse Coopers, rappelle un handicap structurel : "Les collectivités locales posent un problème particulier aux banques car elles ne peuvent pas aujourd'hui déposer leur épargne en banque, mais seulement auprès du Trésor public. Les banques n'ayant pas ces dépôts, elles doivent trouver des ressources ailleurs pour financer." Le problème se poserait de manière plus aiguë pour le financement à long terme, celui dont ont besoin les collectivités pour financer leurs équipements sportifs. "Les prêts au-delà de 15 ans sont extrêmement rares et quand ils existent, leurs conditions pénalisent les collectivités", précise Christian Rasoamanana.
Le PPP pour les délais et les coûts ?
Incapables d'emprunter, les collectivités pourraient se tourner plus volontiers vers les partenariats public-privé (PPP). Cette vision, pour Christian Rasoamanana, mérite une correction : "Le PPP est avant tout un mode de réalisation et de gestion pour un investissement public. Je déconseille vivement à une collectivité de se lancer dans un PPP au seul motif qu'elle ne trouve pas les financements." Quant aux bonnes raisons d'y recourir, il en voit principalement deux : les délais et les coûts. "En 2011, nous avons réalisé une étude sur la performance des PPP. La conclusion est que dans 71% des cas, il n'y a eu aucun retard, et que dans 80% des cas où il y a eu des retards, c'était du fait de la personne publique. Dans près de 90% des cas, les surcoûts pour la personne publique n'ont pas dépassé 3%." Quant à la part de l'investissement public dans la réalisation de trois grands stades en PPP, elle s'établit ainsi : à Marseille, le financement public de la rénovation du Stade vélodrome représente 43% du financement total sur la durée du contrat (construction plus coûts d'exploitation sur 30 ans) et la part de la ville se monte à 30% ; à Lille, le public finance 44% de la construction du grand stade (34% pour la ville) ; à Nice, la part du public pour le futur Allianz Riviera est de 52% (24% pour la ville).
L'avocat Eric de Fenoyl, directeur du département secteur public du cabinet TAJ, voit également dans le PPP un moyen de financer de grands équipements, alors qu'"on va avoir de moins en moins de projets privés sur des équipements sportifs car l'accès au financement n'existe pas en France". Il poursuit : "On s'en rend compte aujourd'hui avec quatre années de retard à Lyon, puisqu'il est question d'une garantie publique du conseil général*. Dès 2008, je le disais : sans garantie publique cela ne passera jamais." Et le juriste de soulever un problème supplémentaire sur ce dossier : "Le Code du sport interdit d'octroyer une garantie publique à un club sportif." Or c'est l'Olympique lyonnais qui est maître d'ouvrage de la construction du stade des Lumières…
Le diable se cache dans les détails
Dans ce sombre tableau, deux solutions nouvelles semblent émerger pour permettre des financements à long terme. D'un côté, la mobilisation des "fonds de tête", gérés par des assurances "qui souhaitent se diversifier notamment en finançant des projets portés par les collectivités locales pour leurs infrastructures, explique Christian Rasoamanana. Contrairement aux banques, ces compagnies n'ont pas de problème d'accès à la ressource, mais elles cherchent la sécurité des investissements". D'un autre côté, "on a des établissements bancaires étrangers, allemands ou japonais, qui peuvent venir sur les PPP, alors qu'ils n'interviendraient pas directement en financement de projets publics".
Le PPP serait-il la solution miracle pour le financement des équipements sportifs ? Julien Nizri, directeur général du Centre national pour le développement du sport (CNDS), nuance : "Dans nos comités de programmation, il n'y a évidemment aucune discrimination entre un projet et un autre selon son mode de réalisation tant que celui-ci est finançable. Les PPP et les montages innovants d'une manière générale sont une source d'innovation en termes de conception, d'architecture. Ils objectivent les coûts sur la durée du projet. Mais je tiens à alerter sur la notion essentielle de transfert de risques." Pour le haut fonctionnaire, le diable se cache en effet dans les détails : "Il y a une asymétrie complète entre le contractant et la collectivité. Il n'y a qu'à regarder ce qui s'est passé sur l'aléa sismique à Lille [la nouvelle réglementation antisismique a entraîné un surcoût d'environ 90 millions d'euros que le constructeur refuse de prendre en charge, ndlr] ou sur l'aléa sportif [pertes de recettes quand un club est rétrogradé dans une division inférieure entraînant une compensation payée par la collectivité, ndlr]. Il y a des choses quantifiables et d'autres qui auraient un surcoût tel qu'elles ne sont pas acceptables. Le problème ce sont les petites lignes, tout ce qui n'a pas été anticipé et qui va devoir in fine être réalisé." Et cela sans compter les risques juridiques liés aux subventions publiques dans des projets impliquant le privé. La Commission a ainsi ouvert deux enquêtes sur des arénas au niveau européen.
Et le service public ?
Autre risque des PPP soulevé par Eric de Fenoyl : les faiblesses de l'ingénierie de projet en amont. "On a aujourd'hui des projets lancés dans le cadre de la candidature de Paris aux JO 2012 qui ne sont pas lancés ou qui ont été abandonnés. A Nice, le contrat de construction du stade, d'abord prévu en concession, a été résilié avec une demande indemnitaire à hauteur de 40 millions pour quelques m3 de terrassement [sic] et la ville va transiger à 8 millions d'euros."
Sur les coûts, les participants à la table ronde sont finalement tombés d'accord : MOP ou PPP reviennent le plus souvent sensiblement au même. Ce qu'Eric de Fenoyl résume à sa façon : "On peut dire que la MOP dérape et pas le PPP. Dans la MOP, vous partez à 40 millions pour convaincre tout le monde et vous arrivez à 82 millions. Dans le PPP, vous signez tout de suite pour 82 millions. Vous savez le vrai coût dès le début."
En conclusion, Julien Nizri a toutefois tenu à rappeler une notion oubliée dans les débats : la prise en compte des exigences du service public. L'accès au plus grand nombre, la tarification ou la mise à disposition des clubs doivent être anticipés au regard de la rentabilité de l'équipement pour le contractant privé.
Jean Damien Lesay
* Michel Mercier, président du conseil général du Rhône, a fait savoir lundi 19 novembre qu'il entendait faire voter une garantie d'emprunt à la Foncière du Montout, filiale d'OL Groupe en charge du stade des Lumières, pour près de 40 millions d'euros.