Ferroviaire : des sénateurs appellent à revoir de fond en comble le modèle de financement
Dans un rapport présenté ce 9 mars devant la commission des finances du Sénat, Hervé Maurey et Stéphane Sautarel jugent que les modèles économiques de la SNCF et du secteur ferroviaire sont dans l'impasse et risquent de peser de plus en lourdement sur les finances publiques. Déjà fortement mises à contribution, les régions risquent de voir le coût des péages s'envoler au point de devenir insoutenable tandis que les investissements dans la régénération du réseau restent insuffisants, alertent les sénateurs. Pour assurer la viabilité et le développement du système, ils appellent à une complète remise à plat des relations financières entre l'État, la SNCF et les régions.
"Déficits récurrents, lacunes de la stratégie ferroviaire de l’État, incohérence de cette stratégie avec les objectifs environnementaux affichés, injonctions contradictoires données au groupe SNCF, modèle économique à bout de souffle, contrat de performance de SNCF Réseau notoirement insuffisant" : la mission de contrôle sur la situation et les perspectives financières de la SNCF, menée par Hervé Maurey (UC, Eure) et Stéphane Sautarel (LR, Cantal), rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat, n'y va pas par quatre chemins pour critiquer un modèle de financement du ferroviaire qu'elle estime "dans l'impasse".
Dans leur rapport présenté ce 9 mars, les sénateurs jugent que les dernières réformes "ne suffiront pas à assurer la viabilité économique de la SNCF et du système ferroviaire". Celle pour un nouveau pacte ferroviaire, qui date de 2018, a supprimé le statut de cheminot pour les nouveaux recrutements et réorganisé le groupe SNCF en sociétés anonymes pour préparer l'ouverture à la concurrence, l'État s'engageant en parallèle à reprendre en deux temps les 35 milliards d'euros de dette de SNCF Réseau. Mais la logique d'autofinancement du secteur que la réforme entendait approfondir en consolidant le circuit de financement de SNCF Réseau au moyen des bénéfices générés par SNCF Voyageurs ne fonctionne pas, soulignent les sénateurs. "Cette logique induit des relations insatisfaisantes entre les deux filiales tandis que l'indépendance réelle de SNCF Réseau n'est pas garantie, relèvent-ils. Par ailleurs, plusieurs hypothèses structurantes de la réforme de 2018 sont aujourd'hui remises en cause, la principale étant le dynamisme et la profitabilité du TGV."
Des régions de plus en plus mises à contribution
Les sénateurs constatent aussi que les régions sont toujours plus mobilisées pour financer le ferroviaire. En 2020, le total des concours publics perçus par la SNCF a dépassé 17 milliards d'euros. Mais si les transferts en provenance de l'État n'ont augmenté que de 5% depuis 2015, ceux des collectivités locales ont connu une hausse de 45% (+30% pour les contributions d'exploitation versées à SNCF Voyageurs). "Dans les années à venir, les perspectives financières de la SNCF, et plus particulièrement de SNCF Réseau, reposent sur des projections d'augmentation des péages insoutenables pour les régions et des anticipations de bénéfices de SNCF Voyageurs très hypothétiques", alertent les rapporteurs.
Ces derniers font aussi le constat de la persistance d'une situation financière dégradée du cœur ferroviaire de la SNCF. L'atteinte des engagements de retour à l'équilibre financier pris par le groupe SNCF dépendent en effet largement de deux filiales extérieures à ses activités principales, Geodis et Keolis, qui représentaient à elles seules 50% du chiffre d'affaires du groupe en 2021 et 37% de sa marge opérationnelle.
Pour les sénateurs, l'amélioration des perspectives financières de la SNCF doit passer par une "augmentation très significative de sa compétitivité" qui est "nettement inférieure à celle de ses homologues européens". "Le coût des services conventionnés (TER, Transilien, Intercités) est le plus élevé en Europe, relèvent-ils. Ce constat est particulièrement prononcé sur l'activité TER avec des coûts de roulage supérieurs de 60% à l'Allemagne." Cette situation tend même à s'aggraver, soulignent-ils, puisqu'entre 2006 et 2018, les contributions des régions aux TER ont augmenté de 92% en France tandis qu'elles ont baissé de 34% en Allemagne.
Insuffisance persistante des investissements dans le renouvellement du réseau
Le rapport pointe aussi l'insuffisance des investissements dans le renouvellement du réseau. Depuis 2016, les sénateurs notent que ces investissements, qui restent selon eux inférieurs aux besoins, stagnent en euros courants et donc décroissent en euros constants. "Une telle trajectoire, que le projet de contrat de performance de SNCF Réseau promet de poursuivre, conduira à une dégradation de l'état des infrastructures", redoutent-ils. C'est la raison pour laquelle ils préconisent de porter l'effort annuel à "au moins 3,8 milliards d'euros pendant dix ans, soit une augmentation de 1 milliard d'euros par an". Les perspectives de SNCF Voyageurs, qui est, dans le modèle actuel, le principal investisseur des infrastructures ferroviaires, sont aussi jugées "préoccupantes" par les sénateurs, du fait de la concurrence et des conséquences de la crise. "Elles s'avèrent fragiles et incertaines, notamment en raison des risques pesant sur le rebond de l'activité grande vitesse et de la perte structurelle de la clientèle d'affaires qui pourrait atteindre voire dépasser les 20%, constatent-ils. Pourtant, les régions et Île-de-France Mobilités (IDFM) ont été une vraie bouée de sauvetage financière pour SNCF Voyageurs pendant la crise. Elles ont assumé l'essentiel du déficit l'exploitation des services conventionnés (TER et Transilien)."
Réviser les équilibres financiers
Ils appellent donc à réformer un modèle économique jugé "à bout de souffle". "Le coût disproportionné des péages par rapport à nos voisins constitue un frein majeur au développement du ferroviaire", estiment-ils. Selon eux, "il n'est ni raisonnable, ni réaliste de faire dépendre le rééquilibrage financier de SNCF Réseau sur une inflation considérable des péages acquittés par les régions sur les services TER dans les années à venir", le risque étant de "devoir rationner l'offre et la demande ferroviaire, en contradiction évidente avec les engagements environnementaux de la France". Les sénateurs recommandent donc de "remettre à plat le mode de financement du réseau en s'inspirant des modèles en vigueur chez la plupart de nos partenaires européens, en révisant les équilibres financiers entre l'État, les régions et la SNCF dans la perspective de diminuer les péages".
Dans le cadre de ses relations conventionnelles avec les régions, ils demandent à la SNCF de réaliser des gains de productivité d'"au moins 35% afin que les coûts de roulage des services conventionnés se rapprochent des standards européens" et de "renoncer aux sur-spécifications aussi superfétatoires que coûteuses en matière d'acquisition du matériel roulant". L'engagement stratégique de l'État ne peut pas quant à lui "se réduire à un document comptable", soulignent les sénateurs, mais se traduire "dans un document de performance ambitieux, précis et crédible, fondé sur de véritables engagements réciproques lisibles à dix ans et intégrant l'ensemble des enjeux du futur de la mobilité ferroviaire, y compris la modernisation du réseau et le Green Deal européen."
"Plus de 700 millions d'euros par an à consacrer aux petites lignes"
L'État est aussi pointé du doigt pour "l'insuffisance de sa politique d'aménagement du territoire". "Son désengagement manifeste du financement des petites lignes ne permettra pas d'atteindre les objectifs de renouvellement que le rapport Philizot avait fixés à horizon 2008", relèvent les sénateurs. Si les montants investis ont augmenté pour atteindre 400 millions d'euros en 2020, "ils restent loin du compte", constatent-ils, en estimant qu'il faudrait consacrer "plus de 700 millions d'euros par an aux petites lignes pour espérer tenir l'objectif du rapport Philizot." En outre, "si d'un côté, l'État annonce des objectifs ambitieux en matière de développement des trains d'équilibre du territoire (TET) de jour comme de nuit, les financements ne suivent toujours pas", estiment les rapporteurs qui appellent l'État à "clarifier sa stratégie" "pour y consacrer les moyens nécessaires".
Enfin, les sénateurs jugent nécessaires de lever les "nombreux obstacles" à l'ouverture à la concurrence qu'ils voient comme "une chance pour le secteur ferroviaire". Pour permettre sa concrétisation, ils proposent que SNCF Réseau soit rendu réellement indépendant de l'opérateur de transport historique (SNCF Voyageurs) en le sortant du groupe SNCF, "comme cela s'est fait dans le secteur de l'électricité".