Petites lignes ferroviaires : le rapport Philizot publié, les premiers plans d’actions régionaux signés
Après celui conclu pour la région Grand Est à Girancourt (Vosges) le matin, le secrétaire d’État aux Transports signait jeudi après-midi à Orléans (Loiret) le deuxième plan d’action régional en faveur des "petites lignes" ferroviaires. Et s’y voyait officiellement remettre le rapport Philizot, plaidoyer à la différenciation et l’innovation dans ce secteur "hautement passionnel".
Le train est arrivé à l’heure ! Annoncés par le secrétaire d’État Jean-Baptiste Djebbari pour la mi-février, les premiers plans d’actions régionaux en faveur des "petites lignes" ferroviaires ont été signés le 20 février, à Girancourt pour la région Grand Est le matin (voir notre article), et à Orléans pour la région Centre-Val de Loire l’après-midi. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, le préfet Philizot a en outre remis officiellement dans la ville de Jeanne d’Arc son rapport sur le "Devenir des lignes de desserte fine des territoires", non publié jusqu’ici mais dont les conclusions avaient été partiellement dévoilées par le secrétaire d’État. Ce dernier a d’ailleurs ironiquement fait part de sa "joie de recevoir enfin ce rapport, le plus connu de France".
La "paix des blocs"
Ces plans d’action régionaux se fondent sur la préconisation déjà connue du rapport de diviser ce réseau en trois blocs (voir notre article) :
- le premier composé d’une "petite partie" des lignes relevant du réseau dit structurant, qui seront financées à 100% par SNCF Réseau, sous réserve de l’exécution des conventions de financement déjà signées. Le coût devant être pris en charge par le "contrat de performance" en cours de négociation ;
- le deuxième composé de la majeure partie des lignes, qui resteront cofinancées dans le cadre des contrats de plan État-régions, le taux de participation de l’État pouvant être modulé en fonction de l’importance des lignes ; les financements "seront identifiés dans le cadre des contrats de plan État-région 2015-2020, dont le volet Mobilités est prolongé jusqu’en 2022, puis au travers d’un nouveau contrat qui déclinera l’ensemble des priorités identifiées et financées dans la LOM [loi d'orientation des mobilités, ndlr]" ;
- le troisième composé des lignes prises intégralement en charge par les régions – ce qu’a permis l’article 172 de la LOM qui dispose que les "lignes d’intérêt local ou régional à faible trafic du réseau ferré national peuvent […] faire l’objet d’un transfert de gestion […] au profit d'une autorité organisatrice de transport ferroviaire" –, ces dernières pouvant en confier la gestion à des acteurs privés.
Des modalités de financement encore à préciser
Les modalités de financements ne sont en revanche pas encore tout à fait connues. Les accords de financement qui suivront la signature des plans d’actions régionaux ne seront en effet signés que "lorsque seront précisées les modalités de gestion des lignes dont les charges seront assumées à 100% par la région, les textes d’application de l’article 172 de la loi LOM devant encore être rédigés". Les coûts des travaux seront en outre précisés dans des conventions de financement qui seront signées pour chaque ligne avant chaque chantier.
En dépit des investissements conséquents conduits ces dernières années (240 millions d'euros par an entre 2015 et 2018, puis 400 millions d'euros en 2019 et en 2020), le rapport relève que le volume des travaux restant à réaliser est "considérable", estimé à 7, 6 milliards d’euros jusqu’en 2028, dont 6,4 restent à engager.
Jusqu’ici, l’effort de régénération de ces voies était porté aux deux tiers par les régions, pour un quart par l’État et 8% par SNCF Réseau. Les charges de maintenance étant couvertes à 85% par la "sphère État" (État et SNCF Réseau) et à 15% par les régions – sans compter la reprise par l’État de 35 milliards de dette de SNCF Réseau, "en partie consécutifs au déséquilibre pérenne entre recettes et dépenses affectant cette portion de réseau".
Un réseau en état de "collapsus"
Le constat est désormais connu, cet effort est la conséquence d’un "sous-investissement chronique" des années 1980-2005, qui a laissé un réseau "en grande partie en état de collapsus" selon les mots du préfet, ou "de terrible abandon", pour reprendre ceux du président de la région Centre, François Bonneau. Formé de lignes majoritairement à voie unique (78%) et non électrifiées (85%), avec une signalisation principalement composée de postes mécaniques nécessitant un fort besoin de main d’œuvre, il compte près de 4.000 km de voies considérées "hors d’âge" fin 2016 (sur 12.047 km au total, dont 9.137 km accueillant des trafics voyageurs) et 2.700 km de voies (concernant la moitié des lignes) affectées de ralentissement. 6.500 km supplémentaires sont en passe de l’être dans les dix ans et un risque de fermeture pèse sur plus de 4.000 km. La moitié du réseau est en outre emprunté par moins de 18 trains par jour… Comme l’a souligné François Bonneau, qui "a exclu tout ralentissement à 40 km/h" dans sa région, ces "lignes du quotidien sont d’abord ralenties, puis tellement ralenties qu’elles sont abandonnées, les voyageurs les ayant désertées". Une situation qui avait notamment conduit Jean-Cyril Spinetta, dans un rapport qualifié de "funeste" par François Bonneau, à en préconiser la fermeture ou leur transfert aux régions (voir notre article).
Révolution des pratiques
Nécessaires, cette clarification des responsabilités et ces nouvelles modalités de financement ne suffiront toutefois pas à elles-seules à redresser la barre. Le préfet invite ainsi à "une évolution des pratiques, dans un exercice quasi-quotidien qui n’a rien de spectaculaire mais n’en est pas moins indispensable" alors que les relations entre les différents acteurs sont aujourd’hui au mieux "correctes", quand elles ne sont pas "quasi conflictuelles" dans un domaine qualifié de "hautement passionnel". Il est vrai que côté régions, les sources d’exaspération ne manquent pas. Toutes déplorent l’absence de transparence de SNCF Réseau, à qui il est également reproché le manque de connaissance du patrimoine, le défaut de pilotage des investissements, les difficultés à maîtriser les coûts et les délais ou encore "un empilement de règles" uniformisées qui ne sont adaptées ni aux caractéristiques des voies et à l’intensité de leur usage, ni à aux réalités locales. Le préfet Philizot y ajoute une uniformisation autour de "matériels lourds", évolution "propre à notre pays".
Entre autres recommandations, le préfet invite SNCF Réseau à "poursuivre l’effort de clarification des coûts d’entretien et de gestion des lignes en cause, pour sortir des approximations actuelles", "condition sine qua non d’une évolution des redevances que l’on ne peut fonder que sur une approche des coûts beaucoup plus précise". Il insiste également sur l’évolution de l’offre de services : "Trop souvent, l’on constate une dissociation entre l’approche de l’infrastructure et celle du service". Or, comme l’a souligné Jean-Baptise Dejbarri, il s’agit bien in fine de "remettre des trains sur les voies et des voyageurs dans les trains". Le préfet appuie surtout sur la nécessité d’une approche "différenciée", ce qui n’a pas manqué de ravir la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault, dont la "différentiation" constitue l’un des trois piliers de son projet de loi 3D (voir notre article).
Faire du réseau un "champ d’expérimentation"
De manière générale, François Philizot plaide pour faire de ce réseau un "champ d’innovation et d’expérimentation".
Ce sera déjà nécessairement le cas en matière de gestion, avec la nouvelle dévolution des responsabilités permise par la LOM. Pour les régions d’abord qui, souligne le rapport, "hors de très rares cas, ne sont en charge d’infrastructures que dans les domaines portuaires ou aéroportuaires : c’est donc pour elles une innovation majeure". Pour SNCF Réseau ensuite, qui doit apprendre à "développer une pratique de l’adaptation à la réalité locale" et à "laisser à des opérateurs privés les marges nécessaires pour une exploitation réellement différenciée" – ces intervenants privés constituant "une espèce d’aiguillon dans le flanc de SNCF Réseau, le poussant à l’innovation et aux gains de productivité". Pour les opérateurs enfin, qui doivent "donner chair à leurs annonces sur les économies réalisables dans l’exploitation, l’entretien et la régénération du réseau".
Innovation dans les infrastructures et le matériel également. Comme l’y invite le rapport, le secrétaire d’État a confirmé sa volonté d’impulser le lancement d’une filière d’innovation "train léger", qui vise à faire évoluer les normes de dimensionnement et de sécurité ferroviaire. Il entend ainsi identifier avec les régions au moins dix expérimentations en ce sens d’ici la fin du quinquennat. Devraient également être expérimentés des trains fonctionnant à l’hydrogène, alors que près de 900 rames régionales sont encore alimentées par traction thermique. Un premier appel à projets en ce sens vient d’être publié par l’Ademe (voir notre article). François Bonneau a pour sa part précisé que la région Centre-Val de Loire était "l’une des cinq à avoir engagé une convention avec Alstom pour utiliser du matériel à propulsion hydrogène" sur deux des trois lignes qu’elle va reprendre à 100%. De nouvelles techniques de maintenance devraient également être testées (voie sur bitume plutôt que sur ballast par exemple, avec des interrogations en termes d’artificialisation des sols). "Toutes les possibilités devront être exploitées, sans tabou", a exhorté Jean-Baptiste Djebbari.
Rapport Philizot : les petites villes attendent "des actes"
Dans un communiqué diffusé ce 21 février, l'Association des petites villes de France (APVF) demande au gouvernement de "renforcer son action afin de relever le défi de l’accessibilité, facteur essentiel de l’aggravation des fractures territoriales ces dernières années". L'APVF dit partager "les constats alarmants" dressés par le rapport Philizot sur l'état des petites lignes. "Comme le souligne le rapport, les investissements prévus notamment par la Loi d’Orientation des Mobilités sont insuffisants, souligne l'association d'élus. Près de 75% de ces petites lignes risquent aujourd’hui une limitation de vitesse voire une suspension de circulation en raison de leur mauvais état". "Face à l’urgence territoriale et climatique, l’État doit prendre des mesures fortes en adoptant notamment un plan ambitieux et financé des transports qui permette de maintenir et développer les petites lignes ferroviaires utiles mais aussi de les 'verdir'", insiste-t-elle. L’APVF appelle également, comme le préconise le rapport, à "retisser les liens entre l’État, la région et la SNCF" et à" associer davantage les autres niveaux de collectivités pour trouver la solution la plus durable et la plus efficace pour répondre aux problèmes d’accessibilité dans chaque territoire". A.L. / Localtis