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Pour l’ART, l’ouverture à la concurrence peut faire décoller le train… si l'on desserre les freins

L’Autorité de régulation des transports a dévoilé les résultats d’une nouvelle étude sur l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire en France. Fructueuse partout où elle s’est développée, cette dernière devrait, selon l’Autorité, être particulièrement bénéfique en France, et pour tous les acteurs, sans exception. À la condition de supprimer les freins qui entravent encore son essor. Une direction que le projet de contrat de performance État - SNCF Réseau ne semble pas emprunter.

Quatre ans après sa première édition (voir notre article du 29 août 2019), l’Autorité de régulation des transports (alors Arafer), vient de publier sa nouvelle étude sur l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire en France. "Pas une simple mise à jour, mais un diagnostic précis, fondé sur quatre années d’observation minutieuse du marché, qui a mobilisé plus de 20 experts pendant neuf mois, donné lieu à 31 entretiens et 8 auditions, le tout en toute transparence", souligne Bernard Roman, qui préside l’Autorité "pour quelques mois encore". Un travail qui permet in fine à l’ART d’émettre 39 recommandations aux différentes parties prenantes – État, régions, groupe public ferroviaire, acteurs du secteur… – "au plus près des réalités".

Quatre années particulièrement riches. "Alors que l’ouverture était encore hypothétique, voire improbable pour certains, il y a quelques années, l’ouverture à la concurrence est désormais une réalité. Elle s’est concrétisée en droit, avec la publication de la quasi-totalité des textes réglementaires du pacte ferroviaire et de la loi LOM. Elle s’est concrétisée dans les faits, avec l’arrivée de Trenitalia le 18 décembre dernier sur la ligne Paris-Lyon-Milan et le transfert à Transdev de l’exploitation de la ligne TER Marseille-Toulon-Nice" (voir notre article du 28 octobre 2021), retrace Bernard Roman. Pour autant, les conclusions de l’édition 2022 ne s’éloignent guère de celles de 2018.

La concurrence, levure d’un gâteau qui aiguise les appétits…

L’ART semble ainsi plus que jamais convaincue que l’ouverture à la concurrence constitue "un levier majeur de développement et de dynamisation du transport ferroviaire de voyageurs, au bénéfice de tous, y compris de l’opérateur historique". "Là où le marché est ouvert, l’offre est plus importante, et donc la demande est plus importante", relève le président de l’ART. Et de citer pour preuve l’évolution des revenus-voyageurs entre 2011 et 2019 : +69% en Suède, +76% au RU, +24% en Allemagne, où la libération du secteur remonte entre 20 à 30 ans, contre… -6% en France. Bref, comme souligné lors des dernières Rencontres nationales du transport public, la concurrence fait lever le "gâteau ferroviaire" (voir notre article du 30 septembre 2021).

L’ART relève encore que ledit gâteau aiguise les appétits. "Entre le 4 juin 2019 et le 23 juin 2021, six opérateurs ont notifié leur intention de lancer 38 nouveaux services librement organisés : 35 pour des lignes classiques et 3 pour des LGV. Et pour les services conventionnés, au moins cinq nouveaux opérateurs ont montré leur intérêt pour répondre à des appels d’offres des AOT", recense Bernard Roman. Un attrait qu’il explique par "le potentiel de développement important du marché français : la part modale du ferroviaire plafonne depuis 10 ans, quand elle progresse dans le même temps de 62% en Suède, 70% au Royaume-Uni et 74% en Allemagne, et l’emport moyen des trains est le plus élevé d’Europe".

... pour peu que le chef mette la main à la pâte

Reste que pour que le gâteau prenne forme, le président de l’ART souligne la nécessité de "supprimer les nombreux freins à l’entrée de nouveaux acteurs". Dans le viseur, les conditions d’accès – "aussi bien tarifaires, opérationnelles qu’en matière d’indépendance de leurs gestionnaires" – aux infrastructures et installations de service (gares, centres d’entretien, voies de garage… ), dont l’insuffisante qualité est également dénoncée (voir notre article du 21 avril 2021), la difficulté d’accéder aux données et informations pertinentes par les AOT pour les services conventionnés ou encore les barrières financières et techniques pour les services librement organisés (SLO). Et Bernard Roman de souligner ici l’importance du chef : "Le facteur clé de succès, c’est la volonté affirmée des pouvoirs publics de faire de l’ouverture un outil de développement du système ferroviaire", explique-t-il.

Las, à l’écouter, on n’en prend guère le chemin, notamment au regard d’"un certain nombre d’occasions manquées" par le contrat de performance État-SNCF Réseau récemment dévoilé, qui concentre les critiques (voir notre article du 10 janvier 2022). "Ce contrat est un vrai contrat de performance en matière d’équilibre budgétaire de SNCF Réseau, ce qui est une exigence logique au vu des efforts consentis par l’État. Mais sur le plan industriel, c’est un véritable contrat de contre-performance. On va reculer au lieu d’avancer", s’alarme Bernard Roman. Au rang des principaux griefs retenus, figure "le choix de la France de faire reposer la couverture des coûts complets sur les redevances d’accès", déjà dénoncé par la Fnaut. "La France a le péage au km le plus élevé d’Europe. Quasiment deux fois la moyenne européenne. C’est le mal français du ferroviaire. Ce malthusianisme conduit les opérateurs à diminuer le nombre de trains, alors que l’offre entraîne la demande. Le ratio trains/km augmente partout en Europe entre 2011 et 2019, sauf en France, où il recule de 4%...", regrette Bernard Roman. L’ART relève ainsi que les redevances 2019 pour les SLO étaient de 15,9€ par train/km en France, contre 6,85€ en Allemagne, 5,33€ en Italie et 1,44 € en Suède.

Le président de l’ART dénonce encore "l’absence d’incitation à la performance du gestionnaire d’infrastructures, à l’indispensable digitalisation et modernisation du réseau" dans le contrat. "Or sans modernisation, le modèle français va s’étioler, disparaître, et on tournera le dos à l’objectif de développement durable", avertit-il, estimant "qu’avec nos 2.200 postes d’aiguillage, nous sommes encore à la fin du XIXe siècle". S’il prévient que l’ART sera très attentive à la question des péages, Bernard Roman ne se fait guère d’illusion sur la modification du projet de contrat. "La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a fait siennes [le 9 février dernier] les réserves de l’ART, invitant le gouvernement et SNCF Réseau à revoir le projet dans les meilleurs délais. Mais la dernière fois, le gouvernement [Cazeneuve] n’avait tenu aucun compte de l’avis de l’Arafer." Plus encore, le contrat n’avait même pas été transmis au Parlement, ce qu’exigeait pourtant la loi… (voir notre article du 20 avril 2017).

  • Les AOT invitées à renforcer leurs compétences et moyens

Comme dans l’étude de 2018 (voir notre article du 28 mars 2018), l’ART recommande aux autorités organisatrices de transports (AOT) de renforcer leurs moyens et compétences, singulièrement en mettant en place "des structures distinctes des services régionaux (par exemple des sociétés publiques locales) afin de favoriser le développement d’équipes renforcées de spécialistes du système ferroviaire et des appels d’offres". Des structures qui pourraient "être mutualisées entre les régions", suggère Bernard Roman, qui rappelle par ailleurs que cette montée en compétence est d’autant plus urgente "que le calendrier se resserre. À compter du 25 décembre 2023, toute nouvelle attribution d’un service conventionné devra impérativement faire l’objet d’une mise en concurrence".

L’ART leur recommande encore de mettre en place "des entités de location et de gestion de flottes de matériels roulants (Rosco) publiques ou semi-publiques pour les services conventionnés" ainsi que "des contrats de service public plus incitatifs et dotés d’un système complet de reporting de la part des exploitants ferroviaires". Alors que "les régions rencontrent encore des difficultés à obtenir de SNCF Réseau la communication de données relatives à l’exploitation des services" – le président Roman rappelant les débats interminables autour de la transmission des carnets de maintenance actualisés du matériel transféré –, l’ART plaide également pour que le décret n° 2019-851 (voir notre article du 29 août 2019) soit "complété et clarifié"… et pour un renforcement de ses pouvoirs, afin de "permettre de sanctionner directement la non-exécution partielle ou totale, dans les délais requis, de ses décisions de règlements de différends".