Réseau ferroviaire : des "faiblesses structurelles" à surmonter, pointe la Cour des comptes
Le réseau ferroviaire français, malgré les réformes de ces dernières années, souffre toujours de difficultés "structurelles" que la crise sanitaire a "fortement aggravées", souligne la Cour des comptes dans une note thématique publiée ce 18 novembre. En cause : le mauvais état des infrastructures, qui nuit à la qualité de service du transport ferroviaire, et un financement des besoins d'investissements toujours pas assuré. La Cour appelle donc l'État à faire "les choix nécessaires" pour définir un modèle d'exploitation équilibré, en réévaluant son soutien et celui des régions.
"Si les réformes ferroviaires ont apporté par touches successives des améliorations substantielles au réseau ferroviaire français, elles ne sont néanmoins pas parvenues à surmonter plusieurs faiblesses structurelles, que la crise sanitaire a fortement aggravées", constate la Cour des comptes dans une note thématique publiée ce 18 novembre dans le cadre de ses travaux sur "les enjeux structurels pour la France".
Réseau vieillissant
Selon les magistrats, "la question de la rénovation du réseau reste posée". "Encore insuffisamment entretenu et modernisé", le réseau ferré national, dont l'âge moyen est de 29,2 ans (36,7 ans sur le réseau local) "peine à sortir de son état de dégradation" et "cette faiblesse fragilise la qualité de service du transport ferroviaire français, voire l'expose au risque d'accidents graves". 4.500 km de voies subissent des ralentissement ou l'arrêt des circulations pour cause de mauvais état du patrimoine, indique la note, et 22% du réseau des "petites lignes" est concerné par ces restrictions.
"Pour l'année 2019, SNCF Réseau indiquait n'avoir réalisé que 2,7 milliards d'euros d'investissements de renouvellement et de performance correspondant à 942 km de voies, soit un rythme moindre que celui des années 2013-2015", observe la Cour, tandis que le plan de relance de 2020, en consacrant 2,3 milliards d'euros à la compensation des pertes de SNCF Réseau "ne cible qu'à 2,9 milliards d'euros le niveau annuel des investissements de renouvellement." La qualité de service "pâtit toujours de l'insuffisante performance du réseau", pointe la Cour qui constate "l'impact de l'état du réseau sur la ponctualité des trains express régionaux (TER), imputable dans 23% des cas à SNCF Réseau, ainsi que sur celle des trains Intercités".
La taille du réseau, un sujet "différé"
"La fragilité des infrastructures ferroviaires et le retard mis à y remédier s'expliquent par la conjonction de plusieurs facteurs qui n'ont pas permis, jusqu'à présent, d'assurer un financement pérenne des importants besoins d'investissements", estiment les magistrats qui posent comme "impératif premier" l'amélioration de la performance de SNCF Réseau. Autre difficulté, selon eux : la taille du réseau, "un sujet jusqu'à présent différé". "Avec 28.100 km de lignes ferroviaires exploitées, la France dispose du deuxième réseau ferré européen derrière l'Allemagne mais 29% des lignes sont constituées de voies très peu fréquentées", les fameuses "petites lignes" ou "lignes de dessertes fines", relèvent les magistrats. "Face à la critique de son désengagement et à la sensibilité politique pour les lignes fines du territoire, dans le contexte d’une demande sociale de maintien de services publics de proximité, l’État tente dorénavant une répartition de 9.000 km de ces lignes en trois catégories : celles qui seront reclassées dans le réseau structurant à la charge de SNCF Réseau, celles qui seront cofinancées par l’État et les régions, et celles qui resteront totalement à la charge des régions, rappelle la Cour. Pour les premières (environ 1.500 km de voies), le plan France Relance prévoit une prise en charge financière par SNCF Réseau. Pour les deuxièmes (environ 6.500 km), les contrats de plan État-régions en seraient l’outil de financement. Enfin, pour les 1.000 km restants, un transfert aux régions de la gestion de lignes ferroviaires d’intérêt local ou régional à faible trafic est devenu possible depuis la loi d’orientation des mobilités de 2019." Mais pour la Cour, "cette répartition des rôles entre l’État et les régions ne va pas jusqu’au bout du raisonnement et s’arrête aux seules considérations financières" (…).
Rôle accru des régions ?
"Les compétences en matière de transports doivent aussi être prises en compte. Ainsi, les régions, devenues 'autorités organisatrices de mobilités', disposent de plusieurs leviers pour mettre en place leur politique (offre de transport, politique tarifaire)." Un constat qui a déjà conduit la Cour à inviter l’État à envisager le transfert non seulement de la gestion mais aussi de la propriété du réseau régional au profit des régions, rappellent les auteurs de la note. "Ce transfert offrirait aux régions la maîtrise de leurs priorités d’investissement, du maintien ou non des lignes existantes et du choix du gestionnaire d’infrastructure, y compris dans le cadre d’un appel d’offres pour un exploitant, soulignent-ils. Le même raisonnement vaut pour les gares régionales et locales, ce qui permettrait aux régions de développer une politique de valorisation patrimoniale de ces installations. Pour sa part, l’État pourrait conserver la propriété du réseau structurant et des gares 'multitransporteurs' en s’appuyant sur les gestionnaires d’infrastructure que sont SNCF Réseau et Gares & Connexions."
Deux voies possibles pour "un modèle d'exploitation équilibré"
Jugeant "peu réaliste" "l'espoir d'un autofinancement du système" qui fait largement appel à des concours publics, en provenance de l’État ou des collectivités territoriales, les magistrats pressent l'État de "définir un modèle d'exploitation équilibré" pouvant passer par deux voies "qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre". "La première est de faire peser sur l’utilisateur du réseau une part plus importante du coût des infrastructures, avancent-ils. C’est le modèle de couverture du coût complet appliqué par les aéroports, qui a l’avantage de limiter le recours aux financements publics. Mais cette option a ses limites, le coût des infrastructures ferroviaires, plus important que pour un aéroport, pouvant conduire à des redevances très élevées, susceptibles de peser trop fortement dans les comptes des entreprises ferroviaires et de les dissuader de l’utiliser (…). Pour les transports du quotidien, l’augmentation du prix des abonnements serait difficilement acceptable du fait d’une trop faible qualité de service et pourrait favoriser le recours à l’automobile."
"La seconde voie est pour l’État d’assumer, avec les régions en cas de transfert des lignes régionales, le coût de renouvellement et de modernisation des infrastructures en tant que propriétaire et actionnaire unique (via la holding SNCF) du gestionnaire d’infrastructures, poursuit la Cour. C’est le modèle le plus répandu en Europe : les entreprises ferroviaires financent l’exploitation du réseau et l’État les investissements. Ce modèle privilégie un niveau limité des péages au coût marginal, principe défendu par l’Union européenne, afin d’inciter les entreprises ferroviaires à utiliser le réseau et à atteindre la rentabilité, y compris pour le secteur du fret. Une plus grande fréquentation du réseau accroît les recettes tirées des péages et donc les revenus du gestionnaire d’infrastructure." Mais, préviennent les magistrats, "ce cercle vertueux pour l’attractivité du transport ferroviaire a (…) l’inconvénient d’une mobilisation durable de moyens financiers de l’État et des régions, et donc in fine du contribuable." Il suppose donc, pour limiter cette charge pour les finances publiques, de "calibrer au plus juste cette intervention de la collectivité". "Ceci signifie que doivent être abordées et débattues les questions de la performance du gestionnaire d’infrastructure, du maintien d’un réseau ferré national surdimensionné, et des modalités de financement des nouvelles lignes ferroviaires actuellement envisagées", concluent-ils.