Archives

Transport ferroviaire : la Cour des comptes alerte sur la situation des gares

Insuffisances en matière d'offre et qualité de service, modèle économique fragile, avec des ressources insuffisantes pour faire face à des besoins d'investissements croissants : la Cour des comptes estime dans un rapport publié ce 20 avril que Gares et Connexions, la branche de la SNCF chargée des gares, se trouve dans une impasse financière qui nécessite une réaction de l'État.

"Une offre de service mal définie et une qualité de service à améliorer", "un modèle économique complexe et peu lisible pour les transporteurs", "des ressources insuffisantes au regard des besoins d'investissements" : dans un rapport publié ce 20 avril, la Cour des comptes dresse un tableau très sombre de la situation de Gares et Connexions, la branche de la SNCF en charge de la gestion des gares.

Une création récente

Ce n'est que récemment – le 1er janvier 2010, après l’adoption de la loi du 8 décembre 2009, imposant que la gestion des gares soit assurée "de façon transparente et non discriminatoire" et fasse l’objet "d’une comptabilité séparée de celle de l’exploitation des services de transport" – que cette activité a été confiée à une entité propre, rappelle la Cour. Devenue direction autonome de la SNCF en 2012, Gares et Connexions est restée rattachée à l’établissement public SNCF Mobilités à la suite de la réforme ferroviaire de 2014. Mais dans le contexte de l’ouverture progressive à la concurrence du marché des services de transport de voyageurs, cette organisation n'était pas jugée adaptée pour garantir un accès équitable aux gares pour l’ensemble des entreprises ferroviaires. Il a donc fallu attendre la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire pour que Gares et Connexions devienne, au 1er janvier 2020, une société anonyme filiale de la société SNCF Réseau.

Elle exploite et entretient aujourd'hui sur le territoire métropolitain plus de 3.000 gares d’importance variable, depuis les grandes gares parisiennes qui ont accueilli près de 5,5 millions de passagers en 2018 jusqu’aux 551 gares qui en avaient accueilli moins de 3.650. Parmi ces dernières, 295 très petites gares avaient reçu moins de 1.000 passagers.

Offre et qualité de service perfectibles 

Les Sages de la rue Cambon considèrent que l'organisation existante souffre de "trois faiblesses" préjudiciables à l'offre et à la qualité de service. La première tient selon eux à la classification actuelle des gares en trois catégories - gares d’intérêt national, d’intérêt régional et d’intérêt local -, en fonction du nombre de voyageurs accueillis chaque année et de l’importance de leur trafic. Une catégorisation qui "ne traduit que très imparfaitement la spécificité des gares de chaque catégorie au regard leur activité", estime la Cour qui plaide pour "une nouvelle typologie mieux adaptée" qui permettrait "une gestion plus pertinente, notamment en termes de cohérence de tarification". La nouvelle classification pourrait ainsi distinguer les très grandes gares, les gares spécifiquement dédiées au TGV, les gares de ville avec un trafic régional important, les gares de proximité et les haltes ferroviaires.

Le deuxième point faible tient à la manière dont sont encadrés et définis les services que Gares et Connexions a pour mission d’offrir dans les gares. Il s’agit des services permettant aux transporteurs ferroviaires d’exercer leur activité : mise à disposition d’espaces d’attente pour les voyageurs, existence d’une signalétique leur permettant de s’orienter et de trouver leur train, présence d’écrans et de panneaux d’information régulièrement actualisés, etc. "Si ces services ont été sommairement listés dans un décret du 20 janvier 2012, aucun cahier des charges n’a été mis au point pour en définir la teneur précise et fixer le niveau de service correspondant à chaque catégorie de gares, relève la Cour. De ce fait, l’offre effectivement proposée dans les gares s’avère très variable entre des gares de même catégorie." "L’absence de cahier des charges en la matière conduit à s’interroger sur le rôle de l’État, propriétaire des gares, qui pourrait fixer des objectifs pour les gares nationales, estime-t-elle. Les régions pourraient quant à elles fixer le niveau de service qu’elles attendent dans les gares régionales et locales, en cohérence avec le plan de transport qu’elles déterminent."

Transférer la propriété de certaines gares aux régions

Quant à la qualité de service, elle est "insuffisamment prise en compte par Gares et Connexions" pointe la Cour. "Elle ne l’est formellement que depuis 2017, par l’intermédiaire d’indicateurs limités en nombre et parfois peu pertinents dans leur définition, d’objectifs encore peu contraignants et d’un système d’incitations financières dont les effets restent faibles, illustre-t-elle. Ainsi, en 2019, les malus subis par Gares et Connexions à ce titre n’ont représenté que 325.500 euros, soit seulement 0,045% des redevances perçues par l’entreprise en contrepartie de la réalisation des prestations de base qu’elle doit fournir aux transporteurs." Pour les magistrats de la Cour des comptes, 'les faiblesses de ce cadre posent la question d’un renforcement du rôle des régions dans la gestion des gares, lequel serait cohérent avec leur part importante dans le financement de la redevance perçue au titre des gares régionales et leur forte participation aux investissements dans ces gares". La loi d’orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 a rendu possible un transfert de gestion s’agissant des gares d’intérêt local ou régional. "Pour aller plus loin, ouvrir aux régions la possibilité de demander le transfert de la propriété de ces gares pourrait leur permettre d’y effectuer des choix d’investissements en cohérence avec leurs décisions en matière de mobilités", estime la Cour. Seraient concernées par ce possible transfert de propriété les gares affectées au seul trafic régional conventionné.

Modèle économique à revoir

Le modèle économique de Gares et Connexions est aussi remis en question dans le rapport. Pour financer l’exploitation des gares, la société perçoit une redevance auprès des entreprises ferroviaires pour chaque train partant d’une gare. Ces ressources sont complétées par celles que dégagent ses activités dites "non régulées", en particulier les commerces en gare qui versent à Gares et Connexions une redevance calculée en fonction de leur chiffre d’affaires. En 2019, le chiffre d’affaires dit "régulé" (redevance versée par les transporteurs) a représenté 737 millions d'euros, tandis que le chiffre d’affaires généré par les activités non régulées s’élevait à 394 millions d'euros.

"En principe, ce modèle économique doit permettre à l’entreprise de couvrir ses coûts d’exploitation et de dégager une marge opérationnelle pour financer les investissements en gare, note la Cour. Cependant, il souffre de plusieurs faiblesses qui nuisent à son efficacité." D'abord, la redevance facturée aux transporteurs en contrepartie de l’utilisation des gares et de leurs services, dont les modalités de calcul sont jugées "insuffisamment robustes et transparentes", varie fortement selon les régions et les catégories de gares et "cette hétérogénéité des tarifs, qui n’est pas justifiée par des différences dans la nature des services offerts aux transporteurs dans les gares concernées, se traduit par des effets contreproductifs pour l’ensemble du système, en particulier dans les très grandes gares". Plus généralement, poursuit la Cour, "la garantie d’une couverture de l’ensemble des charges de l’activité régulée par le produit de cette redevance n’est pas de nature à inciter Gares et Connexions à entreprendre des efforts de productivité. De plus, la répartition des charges entre activité régulée et activités non régulées est insuffisamment fiable."

Enfin, souligne-t-elle, "les transporteurs ne peuvent disposer d’une visibilité pluriannuelle sur l’évolution de la redevance et le tarif de cette dernière a souvent fortement varié d’une année à l’autre au cours de la période récente". "La complexité et l’opacité de ce modèle expliquent qu’il fasse l’objet de nombreux débats avec les parties prenantes, dont la défiance à son égard est d’autant plus forte que la performance économique de Gares et Connexions est loin d’être excellente", estime-t-elle. Ainsi, "les plans de performance successifs n’ont pas donné lieu à un suivi approfondi" et "la culture de la performance n’est pas encore assez ancrée au sein de l’entreprise, conduisant à une trop faible connaissance des coûts des prestations et à des écarts importants entre gares de même catégorie pour un service semblable". Et de citer le coût d’une prestation d’assistance pour une personne à mobilité réduite qui variait en 2019 de 15,87 euros à 62,41 euros entre les très grandes gares. Ou encore celui de la prestation de propreté en gare allant de 16,71 euros à 89,24 euros le mètre carré. La Cour recommande donc de "fixer des redevances pluriannuelles, sur la base d’un cahier des charges et de coûts normés" et d'"établir un plan de performance pluriannuel fondé sur une convergence aux meilleurs coûts unitaires des prestations de service".

Ressources insuffisantes par rapport aux besoins d'investissements

Autre sujet d'inquiétude soulevé dans le rapport : l'insuffisance des ressources au regard de besoins d'investissement appelés à croître fortement. Fortement dépendante des subventions versées par les collectivités, tout particulièrement par les régions, Gares et Connexions parvient aujourd’hui essentiellement à assurer l’entretien minimal des bâtiments (maintien en condition opérationnelle et sécurisation du bâti) et à respecter ses obligations légales en matière de mise en accessibilité, relève la Cour.

En complément des subventions versées par les collectivités territoriales, la forte croissance des ressources dégagées grâce aux activités non régulées (et en particulier grâce aux commerces) lui a permis de financer un volume d’investissements en nette hausse (+40% depuis 2014), atteignant 411 millions en 2019. Mais les marges de progression de ces ressources non régulées semblent désormais se réduire, constate la Cour, Gares et Connexions ne disposant aujourd’hui que de "marges financières très limitées au-delà des investissements dits 'contraints', lesquels représentent environ 90% des fonds propres investis chaque année." Difficile d'échapper aux effets de ciseau dans les années à venir, d'autant que Gares et Connexions s’est vu transférer, au 1er janvier 2020, la gestion des quais et de leurs passerelles d’accès ainsi que celle des grandes halles voyageurs qui étaient auparavant gérés par SNCF Réseau. Or ces actifs exigeront des investissements considérables pour être maintenus en bonne condition opérationnelle, pointe la Cour : leur transfert a ainsi plus que doublé les besoins d’investissements annuels de Gares et Connexions, qui prévoit d’investir plus de 1 milliard d'euros chaque année entre 2020 et 2024.

"Face à cette impasse financière, les fondements du modèle économique de l’activité du gestionnaire des gares doivent être réexaminés", insiste la Cour car ce modèle construit pour bénéficier aux transporteurs ne permet pas à Gares et Connexions de disposer des moyens financiers nécessaires. "D’un côté, les transporteurs récupèrent 50% des bénéfices des activités non régulées dans les périmètres de gestion bénéficiaires, ce qui a représenté un coût de 24 millions d'euros pour Gares et Connexions en 2020, détaille le rapport. De l’autre, Gares et Connexions doit absorber les déficits des activités non régulées sur les périmètres concernés", le cumul de ces déficits représentant 66 millions d'euros à la charge de l'entité en 2020. "Cette asymétrie limite structurellement la possibilité de dégager des ressources supplémentaires grâce aux activités non régulées et, en particulier, grâce aux commerces en gare", poursuit la Cour. De même, les marges de manœuvre de l’entreprise en matière d’endettement sont limitées, tandis que le recours à des partenariats avec des financeurs privés pour financer de grands projets de développement a montré ses limites, une grande part de la valeur générée par les projets bénéficiant ensuite aux partenaires privés qui ont contribué à leur financement. Pour la Cour, il serait possible d'adapter ce modèle économique en mettant en œuvre des réformes qui remédieraient à certaines de ses faiblesses : l’une d’entre elles consisterait notamment à supprimer le mécanisme de rétrocession aux transporteurs de la moitié des bénéfices réalisés grâce aux activités non régulées. Mais de telles réformes ne suffiraient pas à combler les besoins de financement des investissements en gares, prévient-elle.

Responsabilités de l'État

Elle juge ainsi "crucial" que "l’État assume enfin ses responsabilités à l’égard du réseau des gares". "Aujourd’hui, l’État ne prend pas en charge le financement d’obligations dont il est pourtant responsable, pour un patrimoine qui lui appartient et dont Gares et Connexions n’est qu’affectataire, dénonce-t-elle. Cette carence de l’État concerne tant les obligations imposées par le législateur, telles que la mise en accessibilité des gares, que celles découlant de la politique patrimoniale et culturelle de l’État, qui exige de maintenir et entretenir des bâtiments historiques, devenus surdimensionnés par rapport aux besoins de l’activité ferroviaire." En 2019, les subventions versées par l’État pour contribuer au financement des investissements en gares représentaient 32,7 millions, bien loin des 362 millions d'euros accordés par l’État fédéral allemand, indique-t-elle. "L’État doit désormais mobiliser des moyens budgétaires suffisants pour assurer le financement des investissements nécessaires à la modernisation des gares ainsi qu’au maintien en condition d’un patrimoine historique qu’il a décidé de préserver", soutient-elle. 

"La négociation du contrat de performance entre l’État et la société anonyme Gares et Connexions est une occasion de fixer ces orientations et d’exprimer la stratégie choisie pour financer le réseau des gares (refonte du modèle économique, recherche d’autres formes de financement dont subventions de l’État), relève-t-elle. Pour autant, la réponse à la question du financement des investissements en gares doit aussi s’inscrire dans une réflexion de l’ensemble des parties prenantes sur l’avenir des gares et de leur développement. Ces espaces d’accueil de voyageurs, plateformes de services et de commerces sont aussi des bâtiments insérés dans un quartier de ville et connectés aux autres modes de déplacement au sein d’un territoire. Des orientations claires doivent donc être définies par l’État, par SNCF Réseau et, le cas échéant, par les autorités organisatrices régionales."