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Exécution d'un arrêté de péril : pour le Conseil d'État, il faut aller vite... sans se précipiter

Un arrêt du Conseil d'État freine quelque peu l'empressement, grandissant depuis le drame de la rue d'Aubagne,à prendre des mesures express face aux immeubles menaçant ruine.

Dans une décision du 5 juin 2019, le Conseil d'État paraît aller à contre-courant. Depuis le drame de la rue d'Aubagne à Marseille en novembre 2018, la question d'une plus grande réactivité des pouvoirs publics, à commencer par les maires, face aux immeubles menaçant ruine, semble en effet constituer une priorité de tout premier ordre. Tout comme, depuis les lois Alur de 2014 et Elan de 2018, la lutte contre l'habitat indigne et contre les marchands de sommeil. Pourtant, le Conseil d'État se contente en l'occurrence de dire le droit et rappelle au passage qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Une interdiction d'accéder à l'immeuble et de l'habiter

L'affaire, née en 2013, concerne le préfet de police de Paris qui, jusqu'à la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, exerçait à la place du maire de Paris un certain nombre de compétences en matière de police de l'habitat. L'affaire jugée par le Conseil d'État concerne donc en réalité les pouvoirs des maires en la matière.

En l'espèce, un arrêté prescrivait aux propriétaires d'un immeuble d'habitation situé dans le 17e arrondissement de Paris de procéder à des travaux de réparation et de consolidation qui n'ont jamais été entrepris. Le préfet de police a donc pris un arrêté, en date du 19 décembre 2013, interdisant l'accès et l'habitation de l'immeuble. Cet arrêté était pris sur le fondement des articles L.2212-2 et L.2212-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoyant que "la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques" et qu'"en cas de danger grave ou imminent [...] le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances".

Un arrêté aussitôt contesté par la SCI gérant l'immeuble et par le syndicat des copropriétaires. Dans un premier temps, le tribunal administratif de Paris fait droit à ces demandes et annule l'arrêté préfectoral. Mais, sur appel du préfet de police, la cour administrative d'appel (CAA) de Paris annule ce jugement et rejette les demandes de première instance. La SCI et le syndicat des copropriétaires saisissent alors le Conseil d'État.

Péril en la demeure au point de passer outre aux procédures ?

Dans sa décision du 5 juin 2019, le Conseil d'État annule l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris et, sans régler l'affaire au fond comme le demandaient les requérants, renvoie les parties devant la CAA. Le Conseil rappelle que les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les articles L.2212-2 et L.2212-4 du CGCT, "qui s'exercent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L.511-1 à L.511-4 du code de la construction et de l'habitation [...], qui doivent être mis en œuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres". Mais la décision précise que "toutefois, en présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire ou, à Paris avant le 1er juillet 2017 le préfet de police, peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l'exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées, y compris la démolition de l'immeuble".

Le Conseil d'État constate que "l'arrêté litigieux du 19 décembre 2013, pris par le préfet de police dans le cadre de ses pouvoirs de police générale, a pour seul objet d'enjoindre aux occupants de l'immeuble d'évacuer les lieux et d'en interdire l'accès et l'occupation". Or, "les dispositions de l'article L.511-3 du Code de la construction et de l'habitation permettent à l'autorité administrative, après désignation par le tribunal administratif d'un expert appelé à se prononcer dans un délai de 24 heures, de prendre des mesures provisoires telles que l'évacuation des lieux, qui implique nécessairement une interdiction provisoire de les occuper".

Conclusion du Conseil d'État : "En retenant que le préfet avait pu légalement, eu égard à l'état de l'immeuble, s'abstenir de mettre en œuvre les procédures prévues par le code de la construction et de l'habitation, sans rechercher si l'urgence était telle qu'elle ne permettait pas de prendre les mesures nécessaires dans le respect de la procédure prévue par l'article L.511-3 de ce code, la cour a commis une erreur de droit qui justifie l'annulation de son arrêt"...

Référence : Conseil d'État, 5e et 6e chambres réunies, décision n°417305 du 5 juin 2019, M. A... et autres, préfet de police de Paris.

 

 

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