Logement - Encadrement des loyers : les conditions de l'expérimentation par les collectivités seraient "à l'étude"
Plusieurs collectivités - de gauche - comme Lille, Grenoble et Saint-Denis, déjà engagées dans un observatoire local des loyers, entendent bien appliquer l'encadrement des loyers tel qu'il est prévu dans la loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové). Et cela même si le plan de relance du logement présenté le 29 août par Manuel Valls limite le dispositif à la ville de Paris et le rend expérimental, prévoyant qu'il ne serait appliqué aux autres agglomérations qu'après un premier bilan et, en tout état de cause, pas avant 2017. Mais depuis, Matignon a assoupli son discours.
Martine Aubry a été la première à réagir, au lendemain des annonces du Premier ministre, en déclarant que sa ville de Lille "a besoin d'une régulation de ses loyers". Ville qui faisait partie des sites désignés en décembre 2012 par l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot pour mettre en place un observatoire local des loyers à titre expérimental (voir notre article ci-contre du 17 décembre 2012).
Qu'elles le fassent !
"Plus que jamais, nous sommes déterminés à faire aboutir ce travail, car notre ville a cruellement besoin d'un dispositif national lui permettant de réguler localement ses loyers et de les rapprocher des capacités financières réelles de ses habitants, tout en préservant la rentabilité des investisseurs", expliquent dans un communiqué commun Martine Aubry et sa conseillère municipale déléguée au plan lillois de l'habitat, Audrey Linkenheld, également députée socialiste du Nord et à ce titre co-rapporteure de… la loi Alur. "Nous demandons donc que, comme Paris, Lille et d'autres villes volontaires, bénéficient de l'encadrement des loyers prévus par la loi Alur dans le respect de l'engagement 22 de François Hollande", font fait valoir les deux élues.
"Si en plus de Paris, d'autres villes comme Lille sont volontaires pour expérimenter l'encadrement des loyers, qu'elles le fassent", leur a répondu le Premier ministre interrogé par le Journal du dimanche. Renseignements pris, "les conditions juridiques de la mise en œuvre de l'expérimentation [de l'encadrement des loyers] selon la volonté des collectivités sont actuellement à l'étude", a indiqué à AEF les services du Premier ministre. Et Matignon d'ajouter que "sans attendre, la mise en place d'observatoires des loyers peut et doit se poursuivre pour apporter de la transparence sur le marché de la location et de la visibilité aux investisseurs".
Egalement contactée, Audrey Linkenheld s'estime "satisfaite" de la réponse de Manuel Valls, qui permet de "continuer les travaux engagés". "Nous devrions finaliser nos données dans une période de six à huit mois", précise-t-elle.
A Grenoble, Paris et Saint-Denis, mais pas à Lyon, Marseille, ni Toulouse
A Grenoble, le nouveau maire écologiste, Eric Piolle, et le président de la communauté d'agglomération PS, Christophe Ferrari, ont aussi fait part de leur volonté d'appliquer le dispositif d'encadrement. Contrairement aux maires de grandes agglomérations comme ceux de Lyon (PS), Marseille ou encore Toulouse (UMP).
Le bureau municipal de la commune de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) a déjà adopté lundi soir une résolution demandant l'application du dispositif sur son territoire. Et Stéphane Peu, maire-adjoint communiste en charge de l'habitat de cette commune et président de Plaine Commune Habitat, évoquera ce sujet lors du bureau de Paris Métropole de vendredi 5 septembre espérant qu'une majorité du bureau se prononce pour son application sur l'ensemble du territoire de Paris Métropole, et non pas seulement sur celui de la capitale. "L'encadrement des loyers est une mesure nécessaire pour réguler la pénurie de logements qui ne cesse de s'accroître en Ile-de-France. Or même si les niveaux de prix ne sont pas similaires à Paris et dans d'autres secteurs de l'agglomération parisienne, leur évolution a été exponentielle ces dernières années dans toute la région", explique-t-il.
Galla Bridier, élue EELV au conseil de Paris et présidente de la commission Logement - Urbanisme, relève également que "la régulation des prix des loyers s'impose sur l'ensemble du territoire métropolitain" pour assurer "une cohérence des politiques publiques du logement".
Du pragmatisme au renoncement ?
Un constat que partage Daniel Goldberg, député PS de Seine-Saint-Denis et co-rapporteur de la loi Alur. "L'encadrement des loyers doit être appliqué sur l'ensemble de l'Ile-de-France, nous ne pouvons pas arrêter son application à la frontière du périphérique : peut-on réellement distinguer les loyers appliqués dans le XXe et à Bagnolet ?", interroge-t-il. Selon lui, "le risque est fort de voir augmenter les loyers en banlieue".
Le député exprime également des doutes quant à l'efficacité de cette annonce pour "rassurer les investisseurs immobiliers" dans la mesure où "au final, les investisseurs ne sauront pas si le dispositif s'appliquera ou non à telle ville, puisque cette application dépendra de la volonté politique locale".
Et Daniel Goldberg de regretter que les annonces de Manuel Valls "ne soient pas conformes aux discussions que les parlementaires ont eues avant l'été avec le ministère du Logement et Matignon". "Nous sommes passés d'une application pragmatique du dispositif - soit une mise en place en fonction des données collectées par les observatoires locaux - à un renoncement du dispositif. L'exécutif ne peut pas s'opposer à appliquer un texte voté par la majorité parlementaire", estime-t-il.
Sa co-rapporteure Audrey Linkenheld tempère ce constat. Selon elle, "la loi Alur entraîne d'elle-même une application différée de l'encadrement des loyers sur le territoire, puisqu'il faut que l'observatoire soit créé, ait des données fiables, puis soit agréé. L'approche pragmatique passe par une action partout où les collectivités en ont vraiment besoin et sont en capacité de le faire".
Une délibération en conseil municipal suffira-t-elle ?
Reste à savoir comment les villes volontaires au dispositif d'encadrement peuvent y adhérer : doivent-elles rentrer dans la procédure fixée par la loi ? Peuvent-elles simplement adopter une délibération en conseil municipal pour l'appliquer ?
Pour Audrey Linkenheld, "la loi Alur et ses décrets d'application fixent les conditions dans lesquelles l'encadrement peut être mené : il faut notamment que la ville fasse partie des zones considérées comme tendues et que l'observatoire soit agréé".
Même analyse pour Geneviève Prandi, directrice de l'Olap (Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne), observatoire qui a été désigné pour mener l'expérimentation en Ile-de-France et qui traite au niveau national les données selon des critères validés par un comité scientifique, et dont les données serviront à l'application du dispositif sur Paris. "Pour mettre en place un encadrement des loyers, les collectivités devront disposer d'un observatoire agréé qui devra prendre la forme d'une association ou d'un GIP et assurer la représentation de plusieurs partenaires", précise-t-elle. Pour sa part, l'Olap prévoit que ses données seront finalisées pour la fin de l'année.
Le décret "agrément" publié "prochainement"
Le préfet d'Ile-de-France devra ensuite définir un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré par catégorie de logement et secteur. Le ministère du Logement assure de son côté que le décret relatif à l'agrément des observatoires est "en cours de préparation" et sera publié "prochainement".
Thierry Delesalle, notaire à Paris et membre de la commission Immobilier de la chambre des notaires parisienne, considère qu'"une délibération en conseil municipal suffit pour mettre en place un encadrement des loyers" et que "les collectivités pourront s'inspirer de la loi Alur pour créer leur propre dispositif d'encadrement". Mais chez les juristes, certains estiment au contraire qu'"un maire ne peut pas décider de plafonner les loyers car leur fixation est par principe libre, sauf si une disposition de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs en décide autrement" (*). Les résultats de l'étude de Matignon sur ce point sont donc très attendus.
* La loi Alur a modifié cette loi du 6 juillet 1989 par son titre I, et y a notamment intégré le dispositif d'encadrement des loyers.
AEF Habitat et Urbanisme
Que prévoit la loi Alur sur l'encadrement des loyers ?
Pour rappel, l'article 6 de la loi Alur indique que les zones tendues, soit 28 agglomérations de plus de 50.000 habitants où le déséquilibre entre l'offre et la demande est tel qu'il entraîne des prix trop élevés et des difficultés d'accès au logement, doivent être dotées d'un observatoire local des loyers. Il s'agit des villes d'Ajaccio, Annecy, Arles, Bastia, Bayonne, Beauvais, Bordeaux, Draguignan, Fréjus, Genève-Annemasse, Grenoble, La Rochelle, La Teste-de-Buch-Arcachon, Lille, Lyon, Marseille-Aix-en-Provence, Meaux, Menton-Monaco, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Saint-Nazaire, Sète, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Toulon, Toulouse.
Le préfet du département doit ensuite fixer chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logement et par secteur géographique. Le loyer de référence majoré est égal à un montant supérieur de 20% au loyer de référence, et le loyer de référence minoré est égal au loyer de référence diminué de 30%.
Voir aussi notre article Logement : ce qui change avec la loi Alur