TIC et développement durable - Développer des TIC plus sobres et améliorer la filière des DEEE

Le Conseil général des technologies de l'information (CGTI) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable ont remis, le 11 mars, un rapport sur l'évaluation des impacts écologiques des TIC, commandé en avril 2008 par les ministres Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde. Réalisé en collaboration avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, la mission d'étude a procédé à une quarantaine d'auditions, étalées d'avril à octobre 2008, et a reçu l'essentiel des parties intéressées par le sujet : acteurs du secteur des TIC, fournisseurs d'énergie, organismes ou entreprises de traitement des déchets, administrations en charge de politiques publiques (Manche Numérique), experts (Mission Ecoter)...

 

Quatre constats

Globalement, les TIC ont un apport positif pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en permettant d'économiser 1 à 4 fois leurs propres émissions sur le reste de l'économie.
Cependant, les experts précisent une augmentation importante de la consommation électrique liée aux TIC. En France, cette consommation est comprise entre 55 et 60 TWh par an, soit 13,5% de la consommation d'électricité par les applications finales. Cette consommation augmente à un rythme soutenu, d'environ 10% par an, et "l'arrivée de la télévision numérique terrestre (TNT) et de la haute définition (HD) ne permettent pas d'espérer un quelconque ralentissement de cette consommation à court terme", prévient le rapport.
En outre, la consommation énergétique est loin d'être optimisée. La chaleur dissipée par les centres de données n'est pas récupérée. Les boîtiers d'interface des opérateurs (les "box") ne disposent pas de mode de fonctionnement en "veille ". Les nouveaux écrans plats de télévision sont de plus en plus énergivores.
Enfin, la filière de récupération et de traitement des déchets (DEEE) n'est pas au niveau d'efficacité voulu.
C'est pourquoi la mission préconise dix-neuf mesures dans le cadre d'une politique globale de développement durable reposant sur les TIC, "politique qui devra également veiller à préserver l'apport des TIC à la productivité de l'économie, à l'accès à la culture, et plus généralement au bien-être social", précise le rapport.

 

Télétravail et e-administration

Les onze premières mesures visent à "développer des TIC plus sobres", c'est-à-dire moins consommatrices en énergie et moins polluantes. Elles s'adressent en priorité aux industriels du secteur, avec une action réglementaire plus contraignante de l'Etat.
Les huit dernières préconisations concernent le développement d'applications reposant sur l'usage et la diffusion des TIC et permettant "des économies d'émissions de gaz à effet de serre pour lesquelles l'Etat est appelé à se montrer exemplaire".
Il s'agit, en premier lieu, de "soutenir le déploiement actuel des réseaux de très haut débit, et l'instauration d'une concurrence effective dans le secteur". Dans ce domaine, les collectivités locales sont déjà bien engagées dans la mise en oeuvre de réseaux d'initiative publique. Le rapport insiste également sur des voies prometteuses, en particulier le développement du télétravail ou de la dématérialisation des procédures administratives. Le télétravail peine à se développer et, en convergence avec le plan France Numérique 2012, il s'agirait d'encourager cette pratique par la clarification du contexte réglementaire et par une expérimentation à la fois ciblée et quantitativement significative dans plusieurs administrations. Le développement des télécentres mis en place dans certaines collectivités, comme dans le Cantal, est l'une des pistes à suivre.
Concernant la dématérialisation des procédures, l'usage des certificats (action 78 de France Numérique 2012) et des solutions de signature électronique simples et gratuites pour les services ainsi que de la visioconférence, devrait être favorisé. Les collectivités territoriales sont déjà parties prenantes de ce mouvement, à l'exemple de l'Auvergne.
Un groupe de réflexion Eco-TIC ("Green IT") confié à Michel Petit, président de la section scientifique et technique du CGTI et président du comité de l'environnement de l'Académie des sciences, devrait décliner de manière opérationnelle ces mesures d'ici mai. Les ministres préciseront prochainement les domaines prioritaires à examiner par ce groupe afin qu'il conduise à des actions concrètes pour le secteur d'ici l'été.

 


Luc Derriano / EVS

Déchets d'équipements électriques et électroniques : une filière de récupération et de traitement à revoir

 

 

Le rapport TIC et développement durable dresse un constat sévère des 18 mois de fonctionnement du dispositif français de récupération des déchets électriques et électroniques (DEEE). Par rapport aux pays scandinaves, au Royaume-Uni, à l'Irlande ou à l'Allemagne, la France serait 2 à 4 fois moins efficace dans le traitement de ces déchets. Les équipements utilisés par les entreprises ne sont pas collectés et les petits matériels électriques et électroniques des particuliers sont généralement éliminés avec les ordures ménagères, les 4.000 points de collecte des collectivités territoriales ne couvrant aujourd'hui que 43 millions d'habitants.
La contre-performance française s'explique par le retard pris dans la transposition de la directive européenne sur les DEEE - le décret du 20 juillet 2005 est sorti un an après la date butoir et ses derniers arrêtés d'application datent de la mi-2006 - mais aussi par les difficultés propres à l'organisation de la filière. Ainsi les auteurs du rapport jugent la différenciation de traitement entre matériel "ménager" et "professionnel" "largement artificielle". C'est en effet au stade de la production du matériel - et non selon le type d'achat - que cette distinction sera opérée et qu'elle déterminera si l'éco-participation est payée - dans le cas du choix du type ménager - ou si elle ne l'est pas - dans celui du type professionnel. Or dans d'autres pays, ce distinguo n'existe pas et les obligations concernant la récupération des déchets sont les mêmes, quelle que soit la filière empruntée par les matériels. De plus, note le rapport, "si l'organisation de la filière ménagère semble se mettre en place laborieusement, l'organisation de la filière professionnelle semble encore plus largement à réaliser, l'absence d'éco-organisme responsable de la récupération et du traitement des déchets dans le secteur étant l'un des points les plus révélateurs". Les rapporteurs s'interrogent aussi sur "l'accumulation financière" dans les éco-organismes de la filière ménagère (188 millions d'euros en 2007), qui semble trouver sa source dans le différentiel entre les éco-participations collectées, versées par le grand public, et les sommes reversées aux collectivités territoriales (10 millions d'euros) pour la gestion de leur structure de collecte des déchets  ou utilisées directement pour le retraitement des déchets. "Lorsque la collecte des éco-participations prendra fin, en 2011, se poseront deux questions : quelle sera dès lors la solution de financement des collectes assurées par les collectivités territoriales ? Que deviendront les masses financières générées par les éco-participations et accumulées par les éco-organismes ?", interpellent-ils. Selon les auteurs du rapport, la mise en place de ces éco-participations, qui est en Europe une spécificité française et irlandaise, n'est peut-être pas ce que l'on fait de mieux. "La rémunération des éco-organismes à la tonne collectée apparaît plus efficace que le système actuel", avancent-ils. Ils estiment également que les conséquences juridiques du non-renouvellement de l'agrément reçu par un éco-organisme n'ont pas été correctement anticipées, notamment pour le devenir des masses financières accumulées. Autres difficultés relevées dans le rapport : la position prédominante des grands distributeurs "qui conduit à des freins dans la mise en oeuvre de la directive et dans la création de filières de traitement", l'insuffisante implication de l'e-commerce et surtout des distributeurs opérant depuis l'étranger et la faible proportion de recyclage et de traitement des terminaux de téléphonie mobile. Enfin, les auteurs du rapport estiment que la répartition des collectes effectuées par les collectivités territoriales entre les trois éco-organismes (Eco-systèmes, Ecologic et ERP) est "porteuse de questions vis-à-vis du respect des prescriptions du Code des marchés publics". Cette répartition tiendrait "davantage des règles artificielles concernant le fonctionnement des éco-organismes que de la saine émulation concurrentielle exigée par le Code des marchés publics", les collectivités devant en principe procéder à une consultation publique et passer un marché pour éliminer leurs déchets.
Sans attendre une éventuelle révision de la directive de 2003, le rapport propose de remettre en chantier "sans délai" le décret du 20 juillet 2005 et formule plusieurs recommandations. Tout d'abord il suggère de réformer la commission d'agrément "pour qu'elle prenne ses décisions en toute indépendance", de réaliser un audit annuel des éco-organismes pour examiner la gestion de leurs avoirs, leurs investissements et les quantités de DEEE qu'elles ont fait traiter, et d'interdire aux acteurs de la filière de production ou de traitement d'être actionnaires des éco-organismes pour "mettre fin aux conflits d'intérêt actuellement constatés". La rémunération des éco-organismes pourrait se faire sur la base des DEEE qu'ils ont effectivement fait traiter et non en fonction de la quantité de produits mis sur le marché. Pour éviter les transports lointains de déchets et favoriser leur valorisation au niveau local, le rapport préconise d'imposer dans le cahier des charges des éco-organismes que la collecte et le traitement des déchets s'effectuent dans la même région ou dans une région limitrophe. Comme pour les autres déchets ménagers, il propose de confier aux collectivités le rôle principal de la collecte des DEEE, les distributeurs de produits électriques et électroniques étant simplement tenus d'accepter tous les DEEE qui leur sont rapportés. Enfin, le rapport souhaite redonner aux détenteurs professionnels de DEEE la responsabilité de leurs déchets en les laissant recourir à la filière d'élimination de leur choix mais en leur imposant de justifier la traçabilité de leurs déchets. En repensant l'ensemble de l'organisation de la filière de traitement des DEEE, l'objectif "devrait consister à atteindre la moyenne européenne de collecte de déchets liés aux TIC d'ici 2012, ce qui signifie quadrupler le taux observé à ce jour", conclut le rapport.

Anne Lenormand