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Transports ferroviaires - Des TER attractifs mais trop chers

Dans un rapport rendu public le 25 novembre, la Cour des comptes estime que le transfert aux régions du transport express régional (TER) a permis une nette amélioration de l'offre pour les usagers. Mais cela s'est fait à un coût trop important pour les finances publiques, d'autant que le bilan écologique des TER laisse selon elle à désirer.

Fruit du travail commun de la Cour des comptes et de six chambres régionales des comptes (1), le rapport thématique présenté à la presse le 25 novembre dresse un bilan mitigé du transfert aux régions du transport express régional (TER) effectif depuis 2002. Point positif : "l'usager a été clairement bénéficiaire de la décentralisation des TER, qui ont aujourd'hui une meilleure image et une plus forte attractivité", a déclaré Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes. La distance parcourue par les trains s'est accrue. Les régions ont investi dans le renouvellement du matériel roulant et mis en place des politiques tarifaires attractives qui ont contribué à une hausse importante du trafic (+27% de voyageurs/kilomètre entre 2002 et 2007).

 

Une charge trop lourde pour le contribuable

Mais "cette évolution positive a été coûteuse pour les finances publiques et par conséquent pour le contribuable", a estimé Philippe Séguin. Les usagers ne contribuent en effet qu'à hauteur de 20% aux coûts complets des TER, estimés aux alentours de 5 milliards d'euros, a relevé la Cour. Pour l'Etat, le transfert aux régions s'est avéré coûteux puisque, paradoxalement, la charge qu'il supporte à ce titre a augmenté de plus de 40% en euros constants entre 1996 et 2007 pour atteindre 1,9 milliard d'euros. Un surcoût qui tient d'abord aux modalités de compensation des charges, a expliqué le premier président de la Cour. "L'Etat doit désormais financer des charges autrefois supportées par la SNCF, en particulier son déficit d'exploitation tel que constaté avant le transfert des TER aux régions. En outre, les dotations financières qui permettent de compenser les charges transférées ont des règles de revalorisation très favorables." L'Etat doit encore assumer l'insuffisance des péages acquittés pour l'utilisation des infrastructures ferroviaires et rembourser à la SNCF la TVA qui avait été perçue sur les subventions des régions depuis 2002, soit plus de 400 millions d'euros.

"Au final, une grande partie de ces dépenses aurait pu être prise en charge par les régions, autorités organisatrices des transports, ou par la SNCF en tant qu'exploitant, plutôt que par le contribuable national", a estimé Philippe Séguin, qui a aussi pointé le fait que les TER représentent également une charge croissante pour les régions (2,7 milliards en 2009). "Il est difficile dans ces dépenses de déterminer l'effort propre des régions, puisqu'une large part de ces dépenses sont couvertes par l'Etat", a-t-il nuancé, soulignant toutefois que "depuis 2004, elles ont dépensé en moyenne 600 millions d'euros par an pour renouveler le matériel roulant et les installations fixes, le reste correspondant essentiellement au financement des dépenses d'exploitation de la SNCF."

Pour Réseau ferré de France (RFF), le transfert s'est aussi traduit par un manque à gagner du fait de "l'inadaptation des règles de fixation des péages, très éloignées de la couverture des coûts complets", relève encore la Cour des Comptes. Quant à la SNCF, "elle n'a pas su réunir les conditions d'exploitation rentable, en raison d'une maîtrise insuffisante de ses charges d'exploitation".

 

Des solutions de substitution pour les lignes les moins fréquentées

La Cour formule donc plusieurs pistes d'amélioration de l'exploitation des services régionaux de voyageurs à la fois en termes de coût et de bilan écologique. Aujourd'hui, le coût de production moyen d'un TER en France est de 17 euros par kilomètre contre 11 euros seulement en Allemagne et le coût pour les finances publiques est aussi bien supérieur dans l'Hexagone (12,5 euros/km contre 7,2 euros/km dans certains Länder outre-Rhin). Pour la Cour, cette différence s'explique notamment par le faible taux de remplissage des TER en France (26% en moyenne, avec de fortes disparités selon les lignes). Ainsi, les taux d'occupation sont très faibles dans nombre de zones rurales ou aux heures creuses pour certaines liaisons intercités ou urbaines alors que les surcharges peuvent être à l'inverse très importantes aux heures de pointe.

Le rapport estime donc que "des marges de réduction des coûts importantes" existent pour les lignes les moins fréquentées, notamment en zone rurale. Ces lignes, qui couvrent 7.800 km soit le quart du réseau, sont à 90% non électrifiées et pèsent de surcroît sur le bilan écologique du TER, selon la Cour. "Les régions devraient réaliser des audits financiers et écologiques des lignes rurales supportant un faible trafic", a estimé Philippe Séguin. Pour les lignes les moins fréquentées, le rapport recommande de développer des transports routiers de substitution comme des autocars à horaires cadencés.

La Cour met aussi en garde les régions sur leur participation au financement des infrastructures ferroviaires. Sans attendre la loi Grenelle 1 du 3 août 2009 qui encourage leurs interventions dans ce domaine, elles s'étaient déjà engagées à le faire dans le cadre des contrats de plan Etat-régions et trois d'entre elles (Midi-Pyrénées, Auvergne et Limousin) ont mis en place des plans-rails pour l'amélioration et l'entretien des infrastructures. Mais du fait du dynamisme de l'offre de TER, les besoins de financement des infrastructures sont appelés à augmenter assez fortement et la Cour tire le signal d'alarme sur les risques financiers qui en découlent.

 

Ouverture à la concurrence à titre expérimental

Elle estime aussi que la situation de monopole de la SNCF sur l'exploitation des lignes TER réduit le pouvoir de négociation des régions, d'autant que l'opérateur ferroviaire ne leur fournit pas toutes les informations économiques nécessaires pour éclairer leurs décisions. Le rapport plaide donc pour une "amélioration de la transparence et de la fiabilité des comptes du TER" et suggère notamment le "suivi ligne par ligne des services TER" et l'élaboration, par la SNCF, de comptes par ligne communiqués aux régions.
Enfin, la Cour "recommande qu'une expérimentation de mise en concurrence soit lancée sur la base du volontariat", a déclaré Philippe Séguin. "Mais toutes les précautions devraient être prises pour maîtriser ce processus", a-t-il aussitôt ajouté. Plutôt que de concéder l'ensemble d'un réseau régional (…), il serait préférable de procéder à un allotissement progressif. Cela permettrait de prévenir les risques d'un morcellement du réseau qui nuirait au développement des TER intercités".

 

Les régions défendent leur bilan

Dans un communiqué, Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées et président de la commission transports de l'ARF, s'est réjoui que le rapport reconnaisse les efforts des régions pour rendre le TER plus attractif mais regrette certains non-dits. "Lorsque nous avons hérité des TER en 2002, le système était à bout de souffle, certaines études techniques prévoyaient la fin du service sur une large partie du territoire d'ici 10 ans. Sans les investissements des régions, il n'y aurait plus de TER en France. Ce point ne figure pas dans le rapport." Concernant de possibles "marges de réduction des coûts" sur les lignes les moins fréquentées ou la suppression de lignes, Martin Malvy a estimé que cette proposition était en contradiction avec le principe même de service public. "Nous sommes attachés au service public. On ne peut pas dire comme De Gaulle 'l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !', 'transports collectifs ! transports collectifs ! transports collectifs !' et ensuite découvrir que cela coûte cher. S'il en va ainsi de tous les services de transports collectifs, bien sûr il faut chercher la maîtrise des dépenses. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans un système en pleine évolution avec progression régulière de la fréquentation et une complémentarité qui se développe avec les autres modes collectifs de transports". Il estime nécessaire d'accompagner ce développement et d'"ajuster les politiques régionales à cette montée en puissance". "C'est en fonction de ces résultats qu'il faudra effectivement se poser des questions, de bilan carbone notamment."

Interrogé ce 26 novembre par l'AFP en marge des Rencontres nationales du transport public qui se tiennent à Nice, Bernard Soulage, vice-président chargé des transports de la région Rhône-Alpes et co-animateur du pôle ferroviaire de l'ARF, a estimé que le rapport était "très positif sur l'évolution des TER depuis que les régions en ont la responsabilité". Concernant le bilan écologique des TER, il a reconnu qu'"il faut certes des améliorations, mais que les régions ont commencé". "J'accepte l'idée, et nous l'avons fait en Rhône-Alpes, que sur certaines relations et à certaines heures, on fasse circuler des cars à la place des trains", a-t-il ajouté. Quant à l'expérimentation de la mise en concurrence, "il faut aborder cette question avec une extrême prudence", selon lui. "En dehors de notre sentiment que nous sommes attachés au service public et que la SNCF peut s'améliorer, nous n'avons aucune garantie que la concurrence apportera un mieux."

De son côté, le secrétaire d'Etat chargé des transports, Dominique Bussereau, a jugé "particulièrement sévère" le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des trains express régionaux, y voyant un encouragement à une ouverture du marché. A propos du bilan écologique des TER, "il faut être réaliste sur la gestion de certaines lignes à certaines heures". "Il faut une bonne adéquation de nos TER aux réalités du terrain et aux capacités financières des régions", a-t-il ajouté.

 

Anne Lenormand
 

(1) Alsace, Bourgogne, Haute-Normandie, Midi-Pyrénées, Picardie et Rhône-Alpes
 

 

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