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Aménagement du territoire - Demandez la carte des déserts !

Deux rapports sénatoriaux, l'un sur la réforme des bases de défense, l'autre sur la carte judiciaire, mettent en lumière "l'effet domino" que peut avoir la fermeture de certains services publics sur d'autres. Ils constatent l'apparition de "déserts" judiciaires ou militaires. Toute réforme à venir devra passer par une réflexion sur l'organisation et ne pas se contenter de choix comptables, concluent-ils.

Le chef du gouvernement a officiellement enterré la révision générale des politiques publiques, en clôture de la conférence sociale, le 10 juillet. Mais il a aussitôt annoncé la nécessité de moderniser l’administration et d'engager dès l'automne des travaux "sur les missions des services publics et leur organisation territoriale". L'enjeu : trouver de quoi compenser les embauches promises dans les trois ministères clés que sont l'Education, l'Intérieur et la Justice. D'ores et déjà, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls n'a pas exclu la fermeture de certaines sous-préfectures...
Alors que les territoires ruraux sont dans l'expectative et regardent encore le ministère de l'Egalité des territoires avec curiosité, le Sénat vient de passer au crible deux réformes symboliques de l'ère Sarkozy : les refontes de la carte militaire et de la carte judiciaire… Le point commun de ces deux rapports présentés à un jour d'intervalle est de mettre en exergue des parties du territoire durement touchées par l'effet domino des fermetures de services publics les uns sur les autres. "Les élus nous ont fait observer que les regroupements de tribunaux allaient de pair avec la suppression de plusieurs services publics, de certaines administrations, d'hôpitaux dans les mêmes endroits, contribuant ainsi au désert tout court, et au désert judiciaire de la proximité", déplore la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Séat (groupe communiste - Paris), co-auteur avec Yves Détraigne (Union centriste - Marne) d'un rapport sur la réforme de la carte judiciaire, présenté à la presse, jeudi 12 juillet. Pour les deux sénateurs, la réforme de cette carte inchangée depuis 1958 se justifiait, mais elle se conclut par une "occasion manquée". Menée au pas de charge par Rachida Dati sous forme de décret, sans passer par le Parlement, elle a tout d'abord posé un problème de "méthode", la concertation annoncée s'étant limitée à une réunion de l'instance de suivie et de concertation. Et puis la refonte a manqué son objectif. Prévue pour mieux répartir le travail dans les tribunaux et rationaliser leurs moyens, elle s'est traduite par une baisse du nombre de magistrats et de fonctionnaires au moment où les besoins en personnels augmentaient sous l'effet de réformes pénales et civiles. Les rapporteurs dénoncent ainsi une "réforme quantitative des implantations sans réflexion sur l'organisation de la justice et la répartition des contentieux".


Une justice éloignée des citoyens

D'un coût de 340 millions d'euros, la réforme a abouti à la réduction de près d'un tiers des implantations judiciaires en France (819 contre 1.206 auparavant), pour une efficacité moindre. L'instruction d'un dossier par les tribunaux d'instance est ainsi passée de 5,7 mois à 6,3 mois, même si les sénateurs reconnaissent qu'il faut peut être se donner un peu plus de temps pour juger de "l'effectivité de la réforme". Dans le ressort des cours d'appel de Rouen, Rennes, Nîmes ou Douai, les délais ont augmenté de 20%. Mais surtout, la mission estime que la justice s'est éloignée du citoyen. "Le nombre d'affaires a diminué dans les tribunaux d'instance de certains endroits, les gens ont renoncé à saisir la justice", explique Nicole Borvo Cohen-Séat. En cause : les distances trop longues ou l'absence de transport. Exemple en Haute-Loire avec la suppression des tribunaux d'instance de Brioude et d'Yssingeaux et de leur rattachement à celui du Puy-en-Velay : depuis 2008, le nombre d'affaires a chuté de 21,6% ! A Saint Gaudens, une petite ville de 13.000 habitants dans les Pyrénées, jusqu'à présent, les habitants devaient se rendre à Luchon. Désormais, il leur faut monter à Toulouse, soit une centaine de kilomètres. "Une expédition", résume Yves Détraigne. Selon lui, les distances ne sont pas tout, il aurait fallu examiner la densité de population et le maillage des réseaux de transport…

Une réforme des cours d'appel ?

La mission s'interroge aussi sur les surcoûts de la réforme : les palais de justice, propriétés des collectivités territoriales, étaient généralement mis à disposition. Or, les regroupements ont obligé le ministère à prendre de nouveaux bâtiments en location. Ce n'est pas tout : des alternatives ont été pensées, comme les maisons de la justice et du droit, mais celles-ci sont à la charge des collectivités. "La question est de savoir si c'est aux collectivités de mettre les moyens", s'interroge Yves Détraigne. Les sénateurs ne semblent par ailleurs pas très convaincus par la vingtaine de maisons de nouvelle génération équipées de bornes électroniques. Des maisons qui ne peuvent faire l'économie de personnels, ne serait-ce que pour aiguiller le public. Quant aux "audiences foraines", elles n'ont pas pu être mises en œuvre. "On nous a vendu des succédanés", a résumé Jean-Pierre Sueur, le président socialiste de la commission des lois.
Bref, pour les deux sénateurs, le chantier de la carte judiciaire est "encore ouvert". "Cependant, l'institution judiciaire, qui a besoin de stabilité, mérite que ce chantier ne s'engage qu'après une réflexion et une concertation large, portée par le Parlement", préviennent-ils. Elle devra s'accompagner, selon eux, d'une réforme de la carte des 36 cours d'appel qui n'a pas été touchée. Ils proposent par ailleurs de créer des "tribunaux de première instance", nés de la fusion des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance. "Ces derniers ne seraient plus qu'un service délocalisé du TPI", expliquent-ils. Un projet sur lequel la Chancellerie a commencé à plancher.

Déserts militaires

A quelques jours du 14 juillet, d'autres sénateurs se demandent quelles forces vont défiler sur les Champs-Elysées. Leur constat est toutefois plus nuancé que celui de leurs collègues. Dans un rapport présenté le 11 juillet, Gilbert Roger (socialiste, Seine-Saint-Denis) et André Dulait (UMP, Deux-Sèvres) évaluent à 6,6 milliards les économies générées par la réforme militaire sur la période 2008-2014. La seule création des 60 bases de défense au 1er janvier 2011 aura généré 10.000 suppressions de postes sur les 54.000 attendues et une économie de 40 millions d'euros annuels, sans que la qualité du soutien aux opérations ne se soit dégradée. Seulement la situation financière de l'armée est telle qu'il va manquer 130 millions d'euros pour boucler l'année, alertent les sénateurs, alors que le budget de la Défense pourrait faire les frais des coupes budgétaires. Mais les deux élus reviennent aussi sur le coût territorial de la réforme. Des dizaines de collectivités ont été touchées de plein fouet avec la fermeture de 82 unités et de 262 sites. "En zones de fragilité économique ou dans les petites villes, le choc est rude, il est particulièrement brutal dans l'Est", insiste André Dulait. Sur les 320 millions d'euros d'aides à la revitalisation économique prévus, peu ont été dépensés à ce jour. "Les collectivités territoriales, on l'oublie trop souvent, auront versé trois fois plus d'argent que l'Etat pour la reconversion des sites fermés", souligne le sénateur des Deux-Sèvres. Les rapporteurs s'interrogent aussi sur la viabilité des 200 entreprises aidées dans ces zones et qui ont pu créer 2.000 emplois…
"De véritables déserts militaires apparaissent, dans le Nord, le Centre et l'Ouest, et on peut s'interroger sur le maintien du lien armée-Nation", observe André Dulait. Le cas de Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence  est édifiant : la fermeture du centre national d'aguerrissement en montagne s'est traduite par la disparition d'un dixième de la population et de 14% de l'emploi. "Depuis la fermeture du centre, le nombre de naissances annuelles a été divisé par deux à Barcelonnette et le nombre de demandeurs d'emploi a été multiplié par deux", s'inquiètent les rapporteurs. Dans quelques semaines débuteront les travaux pour la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale… Les sénateurs demandent de ne pas réduire davantage le nombre de bases de défense comme le recommande la Cour des comptes. Cela créerait un "nouveau traumatisme territorial".
Auditionnée par la commission des affaires économiques et de l'aménagement du territoire de la Haute Assemblée, la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement Cécile Duflot semble en phase avec le constat des sénateurs. Elle a promis de veiller à ce que les futures réformes conjuguent "vision spatiale et vision d'organisation".

 

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