Habitat social - Construction de logements sociaux : la Vefa, ça suffit comme ça ?
Les organismes franciliens de logement social veulent limiter le recours à la Vefa et revenir à davantage de maîtrise d'ouvrage directe. Certes, pouvoir acheter à des promoteurs tout ou partie d'un programme immobilier avant de débuter le chantier de construction a ses avantages. Pour les promoteurs d'abord. Cette pratique a ainsi permis en 2008, au plus fort de la crise immobilière, de débloquer des programmes immobiliers privés qui ne trouvaient pas d'acquéreurs du fait des difficultés d'emprunt. Pour les organismes HLM aussi, puisqu'elles ont ainsi augmenté leur patrimoine, partagé les risques financiers, et répondu aux élus qui exigent toujours plus de mixité sociale (ou du logement social "qui ne se voit pas").
Mais les enjeux ont changé.
40% de la production neuve en Ile-de-France
Aujourd'hui, la Vefa est devenue monnaie courante, jusqu'à représenter 40% de la production neuve en Ile-de-France en 2013 (50% en retirant Paris) sur un total de 31.000 logements agréés cette même année. Alors que la Vefa avait aidé des promoteurs privés à sortir de la crise de 2008, elle se retourne aujourd'hui vers les organismes HLM. Faute de commercialisation des logements de la partie privée, c'est l'ensemble du programme qui est en effet bloqué. Au final rien ne sort : ni logement privé ni logement social.
"La Vefa rend la production de logement social directement dépendante de la conjoncture immobilière", dénoncent les organismes HLM franciliens dans un livre blanc publié en juin par leur fédération, l'Aorif (Union sociale pour l'habitat d'Ile-de-France). Pire, "la Vefa remet en cause le rôle contra-cyclique de la production HLM" et "fragilise dans la durée la capacité de maîtrise d'ouvrage des organismes de logement social".
En continuant à encourager la Vefa, "les pouvoirs publics prennent un risque", résume Christophe Rabault, directeur de l'Aorif. C'est pour cela que le livre blanc préconise de privilégier la maîtrise d'ouvrage directe des organismes de logement social, au moins sur les terrains sous maîtrise publique. Il demande que l'agrément des opérations de logement social "100% Vefa" ne soit pas "privilégié".
Selon les organismes HLM franciliens, le recours à la Vefa ne devrait se justifier que lorsque l'accès au foncier par les organismes de logement social ou l'équilibre financier d'une opération ne sont pas assurés autrement. Stéphane Dambrine, président de l'Aorif, estime que les "Vefa justifiées" représentent aujourd'hui environ 20% de la construction totale de logements sociaux aujourd'hui, soit seulement la moitié des Véfa…
En attendant la gouvernance
En plus des risques de blocage d'opérations inhérents à la Vefa, l'Aorif craint que la phase de transition vers une gouvernance véritablement opérationnelle de la politique du logement en Ile-de-France (articulée autour de la Métropole du Grand Paris, d'EPCI consolidés en grande couronne et du tout nouveau comité régional de l'habitat et de l'hébergement installé le 1er juillet co-présidé par l'Etat et le conseil régional) ne provoque un attentisme chez les élus locaux, alors que "la gravité de la situation du logement en Ile-de-France nécessite au contraire des efforts immédiats".
L'Aorif propose que, durant ce temps, "l'Etat et les collectivités locales acceptent, dans le cadre de leurs décisions, que les opérations de logement social se réfèrent au document de programmation et de planification le plus favorable à la sortie des opérations".
Contrairement aux gouvernances vertueuses citées en exemple dans les métropoles de Rennes ou de Lyon, "en Ile-de-France, c'est un peu la jungle", résume Stéphane Dambrine, "les intercommunalités restent balbutiantes, le pouvoir est toujours communal".
"La Vefa est significativement plus chère que la construction"
Le dernier numéro de la lettre d'information "Eclairages" de la Caisse des Dépôts vient à point nommé. Il propose une étude originale sur "Les coûts de production du logement social - Tendances nationales et spécificités de l'Ile-de-France". L'analyse s'appuie sur les logements sociaux financés par la Caisse, selon les différents modes de réalisation possibles : construction, acquisition et… acquisition en Vefa. Elle montre combien la Vefa a bouleversé la production des logements sociaux. Un chiffre donne l'ampleur du phénomène au niveau national : en 2005, les acquisitions en Vefa représentaient 1% des logements sociaux financés par la Caisse des Dépôts, contre 23% en acquisition simple et 76% en construction. En 2013, l'acquisition en Vefa représente 26% du total, contre 14% pour l'acquisition simple et 59% pour la construction.
L'étude montre aussi que "la Vefa est significativement plus chère que la construction". L'écart entre les deux modes de production de logements sociaux est moins important en Ile-de-France (10%) qu'en régions (18%). Cette situation s'explique par le fait que les opérations en Vefa sont plus fréquentes en zones tendues, alors que les opérations de construction sont réparties de façon plus uniforme. Or, en Ile-de-France, quasi toutes les opérations sont réalisées en zones tendues.
En termes d'évolution entre 2006 et 2013, les coûts d'acquisition en Vefa en Ile-de-France ont progressé à peu près au même rythme que les coûts de construction (+20%), d'où un écart qui est demeuré stable. En revanche, en régions, les coûts d'acquisition en Vefa ont progressé moins vite (+28% sur la période) que ceux de la construction (+42%), d'où une réduction de l'écart. Ceci pourrait s'expliquer par "la compression des marges des promoteurs privés, en lien avec la crise que traverse le secteur".
Une stabilisation récente des coûts, après une forte hausse
Le numéro d'"Eclairages" met également en évidence la récente stabilisation des coûts de production du logement social au niveau national, essentiellement sous l'effet de la crise, "mais sans que cela soit forcément lié à des éléments pérennes", nous prévient-on. Cette stabilisation ne doit toutefois pas faire oublier la forte hausse qui l'a précédée (+53% pour les coûts de production entre 2005 et 2011).
Cette tendance nationale recouvre comme souvent de fortes disparités territoriales. L'écart se situe - ce qui n'est pas non plus une surprise - entre l'Ile-de-France et les régions, même s'il tend à se réduire légèrement. Sur la période 2005-2013, les coûts de production ont en effet progressé de 38% en Ile-de-France et de 53% en régions. L'écart entre ces deux territoires reste toutefois élevé, de l'ordre de 800 euros/m2 en 2013. Celui-ci s'explique par différents facteurs, dont le principal reste le coût du foncier.
Au sein même de l'Ile-de-France, l'étude met aussi en évidence des écarts territoriaux importants entre le centre et la périphérie.
Jean-Noël Escudié / PCA, et Valérie Liquet
Les préconisations du Livre Blanc de l'Aorif
L'Aorif a organisé ses préconisations pour "relever les défis de la crise du logement" en quatre chantiers.
Chantier 1 : Produire plus, plus vite et moins cher
Il s'agit, pour l'Aorif, d'une "responsabilité collective" des organismes Hlm, de l'Etat et des élus locaux. Elle impliquerait :
- la mobilisation immédiate des fonciers urbanisables, notamment publics (EPF, EPA) et la maîtrise volontariste de la charge foncière ;
- l'opérationnalité de documents de programmations locaux et régionaux car il y a, selon l'Aorif, "encore trop de PLU qui ne permettent pas la réalisation des objectifs de production de logement".
- la pérennisation et la mise en cohérence des financements avec les besoins des territoires et les coûts de production.
L'Aorif porte beaucoup d'espoir dans le Comité régional de l'habitat et de l'hébergement (CRHH), qui a succédé depuis le 1er juillet au comité régional de l'hébergement et du logement (CRHL), et qui "doit garantir la cohérence des différents échelons des politiques de l'habitat". Elle suggère également de signer un protocole d'accord régional avec l'État et les collectivités territoriales, dès 2016, sur la question des financements.
Chantier 2 : Améliorer la performance énergétique du patrimoine
- mieux combiner performances économiques, énergétiques et sociales pour assurer conjointement économie d'énergie et maîtrise de la quittance pour le locataire. "Pour peser sur les coûts et atteindre les objectifs, les organismes de logement social appellent à s'en tenir à la RT 2012", lit-on dans le livre blanc qui suggère également de "se fixer des objectifs de performance énergétique et de consommation à l'échelle d'un patrimoine global, plutôt que sur chaque résidence") ;
- renforcer l'efficacité des dispositifs financiers et des éco-conditionnalités tout en veillant à ne pas générer de distorsion entre la métropole et le reste du territoire régional.
L'Aorif note deux points de vigilance. Elle estime d'une part que "le renforcement des exigences normatives et réglementaires pourrait remettre en cause l'atteinte des objectifs régionaux" et craint que l'impact technique et financier du désamiantage (conduise) à remettre en cause la faisabilité des opérations de réhabilitation ou de démolition".
Chantier 3 : Poursuivre la rénovation urbaine des quartiers et assurer la gestion dans la durée
- s'engager dans une gestion partenariale et territorialisée de tranquillité et sécurité, de gestion urbaine et sociale ("les conventions de gestion urbaine de proximité doivent être consolidées"), de peuplement et de mobilité résidentielle ("mieux encourager la reconstitution des patrimoines démolis hors site") ;
- veiller à la cohérence des nouveaux périmètres ANRU à l'échelle francilienne et à la cohérence entre les dimensions logement, transport et développement économique des futurs contrats.
Chantier 4 : Développer des politiques cohérentes et équilibrées pour l'accès et le maintien dans le parc social
- élaborer un cahier des charges régional applicable aux dispositifs de gestion partagée de la demande ;
- permettre l'accès et l'accompagnement dans le logement des ménages modestes dans le respect des impératifs de mixité sociale ;
- analyser les dynamiques de peuplement notamment dans les conférences intercommunales du logement pour lutter contre la spécialisation des résidences ;
- favoriser les mutations au sein du parc HLM en mobilisant l'ensemble des contingents et menant des expérimentations (la "location choisie") ;
- faciliter le maintien des ménages en difficultés dans leur logement par un renforcement des moyens humains et financiers.
V.L.