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Habitat - La Vefa, un nouveau levier pour le logement social ?

Le plan en faveur du secteur du logement annoncé par Nicolas Sarkozy prévoit l'acquisition de 30.000 logements en Vefa (vente en l'état futur d'achèvement). S'il ne s'agit pas là à proprement parler d'une nouveauté pour le logement social, l'ampleur de l'opération et son financement posent des questions inédites.
L'article 1601-3 du Code civil - introduit par la loi du 3 janvier 1967 relative aux ventes d'immeubles à construire et à l'obligation de garantie à raison des vices de construction et repris à l'article L.261-3 du Code de la construction et de l'habitation - définit la vente en l'état futur d'achèvement comme "le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à mesure de l'avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l'ouvrage jusqu'à la réception des travaux". Techniquement, la Vefa repose sur la signature successive d'un contrat de réservation (ou contrat préliminaire), puis d'un contrat de vente définitif. En pratique, ce type de vente intéresse surtout les relations entre particuliers et promoteurs. Mais les bailleurs sociaux sont néanmoins concernés à un double titre.

 

La suppression du verrou des 50% déjà programmée

En tant que vendeurs, les opérateurs HLM peuvent produire en Vefa des logements en accession. Celle-ci est exonérée d'impôt sur les sociétés dès lors que 75% des ventes sont conclues avec des clients sous plafond PLS (dont 20% au moins sous plafond PAS). Le prix de vente au m2 est alors lui-même plafonné et le taux de TVA applicable est ramené à 5,5% en zone Anru (rénovation urbaine) agrandie d'un périmètre de 500 mètres.
Dans le cas de la mesure annoncée par Nicolas Sarkozy, les organismes HLM seront au contraire en position d'acheteurs. Un décret du 8 février 2000 leur permet déjà d'acheter en Vefa des logements financés en Plus, PLA-I ou PLS, notamment pour favoriser la mixité sociale dans les quartiers. Une circulaire du 12 mars 2001 précise toutefois que les organismes HLM ne peuvent pas acquérir directement en Vefa plus de 50% des logements d'une même opération immobilière.
Mais la disparition de cette limite est d'ores et déjà programmée, avant même l'intervention du chef de l'Etat. L'article 4 du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, qui doit être examiné par le Sénat à partir du 14 octobre, prévoit en effet de faciliter l'achat de logements en Vefa par les bailleurs sociaux en instaurant un double régime. Les organismes HLM pourront ainsi continuer de recourir à la Vefa sans mise en concurrence dans différents cas de figure : logements dont la surface représente moins de la moitié de la surface totale d'un programme, acquisitions dédiées à des publics particuliers (logements foyers et résidences hôtelières à vocation sociale) ou de bâtiments construits par d'autres organismes d'HLM ou par des sociétés d'économie mixte (Sem). En revanche, lorsque l'acquisition en Vefa dépasse 50% du programme concerné, une mise en concurrence des opérateurs privés sera obligatoire. Le choix de la procédure d'appel d'offres, parmi celles prévues par le Code des marchés publics, appartiendra à l'organisme HLM. A ce jour, le recours à la Vefa par les bailleurs sociaux reste cependant très modeste, puisqu'il concerne la production d'environ 2.300 logements sociaux. Avant les annonces du chef de l'Etat, les ambitions du projet de loi de mobilisation pour le logement étaient d'ailleurs elles-mêmes modestes en ce domaine. Dans sa présentation du texte, le secrétaire d'Etat, porte-parole du gouvernement, indiquait ainsi que "le nouveau dispositif devrait permettre la construction de 1.000 logements supplémentaires par an". Ces chiffres avancés lors de la présentation du projet de loi sont très inférieurs à ceux annoncés par la ministre du Logement qui, intervenant le 4 octobre au micro d'Europe 1, indiquait que le projet de loi de finances pour 2009 prévoyait déjà la production de 20.000 logements sociaux en Vefa...

 

Des questions en suspens

Quel que soit l'écart véritable, l'ampleur de l'opération décidée par le chef de l'Etat soulève un certain nombre de questions. La première est celle du prix, ou plus précisément de la décote par rapport au prix initial. Dans son intervention sur Europe 1, Christine Boutin, tout en se refusant à citer un chiffre, a indiqué que le gouvernement entendait se montrer "très souple" : "Il ne s'agit pas de faire une décote trop importante, sinon les promoteurs ne vendront pas." Pour sa part, Jean-François Gabilla, président de la Fédération des promoteurs et constructeurs (FPC), s'est déclaré très satisfait de l'annonce d'"une vraie mesure de soutien à l'emploi et la construction de logements qui permet d'éviter que la crise continue de s'aggraver", mais a néanmoins rappelé que vendre des logements à un prix décoté "ne veut pas dire vente à perte". Selon les professionnels, l'achat en bloc d'un programme immobilier peut conduire à une décote de l'ordre de 20%.
Sur la destination de ces acquisitions, Christine Boutin a été très claire : les 30.000 logements visés seront affectés au logement social. Elle a cependant indiqué que les logements ainsi acquis pourraient être destinés soit au locatif social, soit à l'accession sociale à la propriété. Il reste donc à définir la répartition entre ces deux options.

Les programmes en souffrance concernent, selon les sources, entre 50 et 70.000 logements soit le double des acquisitions envisagées. Christine Boutin a donc balayé les accusations de certaines associations dénonçant le risque de rachat de "programmes pourris", en indiquant que la Caisse des Dépôts et les autres opérateurs choisiront d'acheter "des programmes de qualité" et uniquement "là où c'est nécessaire". Les opérations situées dans les villes qui se trouvent loin de l'objectif de 20% de logements sociaux pourraient être privilégiées.  De nombreux programmes peinent à trouver preneur dans certaines villes moyennes en surcapacité manifeste, mais leur rachat ne réglera pas pour autant la question de l'accès au logement social en Ile-de-France ou dans les grandes agglomérations. La question du choix des programmes s'annonce cependant délicate.

Un financement qui se précise

La principale question demeure toutefois celle des modalités de l'opération et de son financement. Si les modalités pratiques restent encore largement à définir, un certain nombre de points semblent cependant acquis notamment sur le portage de l'opération. Le groupe SNI (Société nationale immobilière) - filiale de la Caisse des Dépôts et premier bailleur de France - devrait se porter acquéreur de 10.000 logements, directement ou par l'intermédiaire d'organismes HLM qu'il contrôle. La Foncière Logement - l'un des opérateurs du 1% logement - pourrait intervenir à hauteur de quelques milliers de logements. Le solde, soit plus de 15.000 logements, serait destiné à l'acquisition par des organismes HLM. Le choix des organismes acquéreurs et les modalités d'acquisition devraient être précisés dans les prochaines semaines.
Sur le financement, un premier point semble acquis : l'Etat ne mobilisera pas de moyens supplémentaires. Les acquisitions, éligibles aux diverses aides au logement, s'inscriront donc dans l'enveloppe prévue au projet de loi de finances pour 2009. Le gouvernement compte toutefois utiliser les crédits inscrits au budget 2008, pour financer 142.000 logements sociaux, et qui n'ont pas été intégralement utilisés. La collecte exceptionnelle sur les livrets A devrait également permettre de bonifier sans difficulté les prêts aux HLM, mais ceux-ci seront attribués aux conditions habituelles.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Les organismes HLM dans l'expectative

Pour l'USH, les questions sont nombreuses : ces produits seront-ils ajustés au public HLM ? Comment si ce n'est pas le cas les ajuster ? Les opérations Vefa choisies seront-elles celles qui sont seulement au stade du foncier, celles qui regroupent l'achat du foncier et du permis de construire, celles qui sont au stade du semi-construit ou celles qui sont totalement réalisées ? Dans le cadre des politiques locales de l'habitat, le niveau d'exigence notamment sur la HQE sera-t-il assoupli par les collectivités pour permettre d'intégrer ses opérations dans le parc HLM ? Autre question de taille, l'achat en masse de ces opérations privées aura-t-il pour effet de mettre à mal la mixité sociale ? La Vefa est actuellement utilisée dans cette optique : en achetant une part d'une opération qui reste en partie privée, la mixité se fait automatiquement.  De plus, la localisation de certains programmes excentrés peut se révéler difficilement compatible avec les impératifs du logement social, notamment pour les logements très sociaux.
C.V