Accès au logement - Le rapport Pinte juge nécessaire d'accroître l'effort de l'Etat en faveur du logement
Cette remise très discrète, à 18 heures la veille du week-end, s'explique pour partie par l'embarras qui entoure ce document. D'une part, les deux principaux textes susceptibles de reprendre certaines de ses mesures sont déjà déposés sur le bureau du Parlement : le projet de loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion - qui doit être examiné en première lecture par le Sénat le 14 octobre - et le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire de l'Assemblée nationale qui s'ouvre le 22 septembre. Seuls d'éventuels amendements peuvent désormais donner aux propositions concernées une traduction législative. D'autre part, certaines mesures proposées par l'ancien maire de Versailles ne semblent guère en phase avec les orientations retenues par le gouvernement.
Trop de crédits gelés ou non-consommés
La mission confiée à Etienne Pinte par François Fillon en décembre 2007, à l'apogée des manifestations en faveur des sans-abri, comportait deux phases. Un premier rapport, remis le 29 janvier dernier, a servi de base à l'élaboration du "chantier national 2008-2012 pour les personnes sans abri ou mal logées", présenté le même jour et doté d'une enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros pour 2008. Il s'agissait alors de mettre en oeuvre un ensemble de mesures immédiates pour assurer l'hébergement d'urgence des sans-abri.
Le second rapport d'Etienne Pinte, remis le 5 septembre, s'intéresse davantage à l'accès durable au logement. Il rappelle que la France compte environ 100.000 sans-abri, 600.000 logements indignes, 900.000 personnes sans domicile personnel et 3,5 millions de mal-logés. Pour sortir de cette situation, il faudrait construire 500.000 logements par an, dont 120.000 logements sociaux. Or le retournement de la conjoncture immobilière a conduit Christine Boutin à annoncer, le 4 septembre, qu'elle espérait atteindre un total de 400.000 logements neufs cette année (contre 435.000 en 2007). Le rapport Pinte suggère donc de "consolider les efforts budgétaires de l'Etat en matière d'hébergement et de logement tant que la crise ne sera pas résorbée". Il chiffre ainsi à 1,256 milliard d'euros les crédits nécessaires au programme budgétaire "hébergement". Il demande également le maintien du financement budgétaire des aides à la pierre à hauteur de la dotation votée en 2008, soit 800 millions d'euros.
Le député des Yvelines insiste sur la nécessité d'engager réellement les crédits votés et de les concentrer sur les zones plus tendues. Il rappelle notamment que, sur les 798 millions d'euros votés dans la loi de finances pour 2008, seuls 643 millions ont été effectivement répartis tandis que le solde (155 millions) était officiellement gelé ou non-utilisé. Or cette enveloppe "pourrait servir à mieux financer la production de maisons relais par exemple en portant à 35, ou même 50% le taux de subvention, comme le préconise dans son rapport Michel Pélissier, et à renforcer les fonds propres de l'Adoma" (ex-Sonacotra). De même, le rapport rappelle que les crédits affectés à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) n'ont pas tous été "dégelés" malgré des besoins importants et que l'enveloppe de 60 millions d'euros annoncée fin janvier par François Fillon pour traiter dès cette année 15.000 logement indignes n'est pas encore mise en place dans sa totalité.
Toujours dans le souci d'une meilleure utilisation des ressources budgétaires, Etienne Pinte suggère de réaffecter une partie des sommes consacrées au règlement de nuitées d'hôtel - notamment par les services de l'enfance des départements - au développement de la location et de la sous-location.
Des propositions innovantes
Au-delà des aspects budgétaires, le rapport formule plusieurs propositions innovantes. Il suggère tout d'abord de renforcer le pilotage de la politique du logement. Au plan national, il propose de réunir, sous l'autorité du préfet délégué général à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement, le pôle national de lutte contre l'insalubrité et la délégation interministérielle au développement de l'offre de logement. Au plan local, le rapport recommande que l'un des collaborateurs du préfet soit "clairement identifié comme le pilote de toutes les actions menées dans ce domaine".
Le député des Yvelines suggère aussi de conditionner les aides fiscales au logement (9 milliards d'euros) à une vraie contrepartie sociale. Ainsi, "les aides à l'investissement locatif devraient être davantage conditionnées à une contrepartie sociale effective et recentrées par exemple sur la location /sous-location à destination des plus modestes".
Pour prévenir les expulsions, le rapport propose de prévoir, dans les baux locatifs, une obligation pour le propriétaire de signaler les impayés de loyer, mais aussi de maintenir temporairement l'allocation logement en cas d'impayés afin de faciliter la recherche de solution amiable.
En matière d'effort de construction, il propose notamment de proroger jusqu'en 2014 l'effort de construction prévu par le plan de cohésion sociale. De même, l'exonération de 25 ans de taxe foncière sur les propriétés bâties et sa compensation intégrale devraient être poursuivies au-delà de 2009.
Loi SRU : durcir ou assouplir ?
Si sa remise officielle a été discrète, le rapport devrait être abondamment évoqué lors de la discussion de l'article 17 du projet de loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion. Etienne Pinte doit d'ailleurs en présenter les conclusions, le 15 octobre prochain, lors d'une réunion commune de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Alors que le projet de loi propose d'assouplir le calcul du quota de 20% de logements sociaux prévu par la loi SRU du 13 décembre 2000, le rapport Pinte propose au contraire de "faire mieux appliquer l'article 55 de la loi SRU" qui fixe ce quota. Pour cela, il n'hésite pas à bousculer les collectivités et suggère de rendre obligatoire, dans les communes en constat de carence au regard de l'article 55, la réalisation d'au moins 30% de logements sociaux - dont un tiers de prêts locatifs aidés d'insertion (PLAI) - dans l'ensemble des programmes de construction de l'année, sauf dans les quartiers ayant déjà atteint 40% de logements sociaux. De même, il suggère d'augmenter les prélèvements financiers versés par les communes qui ne respectent pas les objectifs de l'article 55.
Le rapport propose également de renforcer le rôle du préfet, en lui donnant la possibilité de disposer du droit de préemption urbain sur l'ensemble du parc existant, assorti de la possibilité de prescrire - si nécessaire - une modification du plan local d'urbanisme (PLU) et de délivrer le permis de construire. Cette disposition avait trouvé en mai dernier un écho favorable auprès de la ministre du logement qui ne l'a pas repris dans le projet de loi (voir notre article "Le projet de loi 'mobilisation pour le logement' se précise", 19 mai 2008).
Dans le même esprit, le préfet pourrait procéder à une déclaration de projet pour la réalisation de programmes de logement comprenant des logements sociaux et, ainsi, modifier le PLU après enquête publique. Il s'agit là de la reprise d'une mesure préconisée dans le cadre des états généraux du logement en Ile-de-France. Sa mise en oeuvre supposerait de compléter la liste des actions pouvant faire l'objet d'une déclaration de projet, prévue par l'article L.300-6 du Code de l'urbanisme. Une modification législative qui ne cadre guère avec l'article 17 du projet de loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion, visant au contraire à alléger la pression du quota de 20%...
Jean-Noël Escudié / PCA