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Culture - Baisse des financements culturels : la faute aux collectivités ?

Après les attentats de janvier dernier, la culture était érigée au rang de l'un des ciments de la République. Un consensus s'était alors dessiné sur la nécessité de la préserver, afin d'en faire un élément fort du lien social. Mais cette unanimité n'a pas résisté longtemps aux réalités de la crise économique et aux difficultés budgétaires des collectivités, mais aussi de l'Etat. Et aujourd'hui, un débat sur la question, régulièrement relayé par la ministre de la Culture, s'est installé, pointant du doigt la responsabilité des collectivités territoriales dans la réduction des crédits de la culture.

Le détonateur de la "Cartocrise"

A vrai dire, ce débat aurait pu émerger plus tôt : dès 2013, par exemple, certaines régions ont revu une partie de leurs financements au cinéma (voir nos articles ci-contre du 4 janvier 2013 et du 9 janvier 2014). De façon classique, les municipales de mars 2014 - et les nombreuses alternances qu'elles ont provoquées - se sont aussi traduites par la remise en cause de certaines subventions au secteur culturel, comme d'ailleurs pour d'autres domaines.
Mais le véritable détonateur est venu d'une initiative privée. En mars dernier, un article du quotidien Le Parisien attirait l'attention sur le site d'une médiatrice culturelle travaillant pour le Boulon, un centre national des arts de la rue situé à Vieux-Condé, près de Valenciennes (Nord). Intitulé "Cartocrise - Culture française, tu te meurs", ce site se présente sous la forme d'une carte interactive recensant, au jour le jour, les structures fermées et les festivals annulés dans toutes les disciplines artistiques. A la fin du mois de juin 2015, la carte dénombrait 215 structures ou festivals fermés depuis sa mise en ligne en mars 2014.

Festivals : une baisse de quelle ampleur ?

Largement reprise dans les médias, cette carte et ses informations ont lancé le débat sur les responsabilités dans cet état de fait. Dans un premier temps, l'argument avancé était que si des festivals s'interrompent et que des lieux culturels ferment, il s'en crée aussi chaque année de nouveaux. Mais la démonstration n'a pas tenu longtemps.
La publication d'une étude - conduite par la Sacem, le CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz) et l'Irma (centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles) - a en effet démontré que si 29 festivals de musique ont disparu en 2013 pour 86 créés, ce rapport s'est inversé en 2014 avec 51 disparitions pour 44 créations, sur un total de 1.615 festivals de musique recensés (voir notre article ci-contre du 6 mai 2015).
Finalement, la ministre de la Culture a décidé de confier une mission à Pierre Cohen, l'ancien maire de Toulouse, pour tenter d'y voir plus clair sur la situation des festivals (voir notre article ci-contre du 23 juin 2015).

Des élus qui "maquillent" un choix politique ?

Du coup, la question des responsabilités dans cette situation s'est reposée de plus belle. Et le ton a changé. Le 29 janvier dernier, trois semaines après les attentats, Fleur Pellerin signait le premier "pacte pour la culture" avec la ville de Clermont-Ferrand (la ville de Michel Renaud, fondateur du festival "Rendez-vous du carnet de voyage de Clermont-Ferrand", et l'une des victimes de la tuerie de Charlie Hebdo). L'ambiance était alors au partenariat sans faille entre l'Etat et les collectivités au service de la culture, tout juste assorti d'une allusion de la ministre au soutien apporté aux "villes qui, au moment de dresser leurs priorités budgétaires, ont placé la culture au cœur de leur projet" (voir notre article ci-contre du 30 janvier 2015).
Changement de ton avec le discours prononcé, le 1er juillet, devant le Conseil national des professions du spectacle (CNPS). Fleur Pellerin y dénonçait "le désengagement, parfois brutal, de certaines collectivités territoriales, faisant craindre la remise en cause de notre modèle de décentralisation culturelle". La ministre de la Culture ajoutait : "Il ne faut pas être naïf : je n'accepte pas que certains élus maquillent sous des difficultés budgétaires ce qui relève en réalité d'un pur choix politique. S'attaquer à la culture, cela doit s'assumer politiquement."
Des accusations renouvelées depuis lors à plusieurs reprises, notamment à l'occasion de sa conférence de presse à Avignon, le 5 juillet, ou lors de la table ronde "La culture pour la République", organisée le 16 juillet 2015, toujours à Avignon. Et cette fois-ci en citant certaines collectivités, comme le département du Nord ou la ville de Tourcoing.

L'AMF renvoie la balle

C'est peu dire que ces accusations n'ont pas vraiment été appréciées du côté de l'Association des maires de France (AMF). Son président, François Baroin, a écrit, le 13 juillet, à la ministre de la Culture pour s'étonner des propos tenus devant le CNPS et "rappeler le profond attachement des maires à l'action culturelle, puisqu'ils en sont les premiers financeurs, bien loin devant les régions et les départements".
Le président de l'AMF en profite pour renvoyer la balle : "Les maires sont ainsi placés dans une position de 'bon ou mauvais élève', alors même que le ministère de la Culture et de la Communication confirme, par ses pactes culturels, un niveau historiquement bas de ses crédits." Et François Baroin de rappeler "l'ampleur brutale et immédiate de la baisse des dotations décidées par l'Etat, qui représente une baisse cumulée de 28 milliards d'euros sur la période 2014-2017 [et] explique la baisse des contributions financières du bloc communal en matière culturelle".

Un débat stérile et une question de fond

Il reste que ce débat - très politique - est largement stérile. Du côté des collectivités, il est incontestable que nombre d'entre elles - et pas seulement des communes - ont dû réduire leurs financements au secteur culturel. Il est tout aussi évident que certaines d'entre elles ont cédé à la tentation des "règlements de compte" à l'encontre d'institutions culturelles jugées trop ouvertement critiques. Par ailleurs, des villes de droite ont ou vont signer des "pactes pour la culture" - qui atteindront bientôt la centaine (voir notre article ci-contre du 7 juillet 2015) - et des villes de gauche, comme Grenoble, ont fortement réduit, voire supprimé, leurs subventions à certaines institutions ou manifestations culturelles.
Du côté de l'Etat, il serait naïf de faire croire que la baisse des dotations et la demande d'une gestion plus rigoureuse des collectivités ne devraient avoir aucune conséquence sur les subventions accordées par ces dernières. L'Etat lui-même a d'ailleurs montré l'exemple, avec la réduction des crédits du ministère durant les deux premières années du quinquennat (voir notre article ci-contre du 7 novembre 2013). Une réduction dont Manuel Valls lui-même reconnaît aujourd'hui qu'il s'agissait d'une "erreur" (commise par son prédécesseur...). La valse-hésitation sur le financement des conservatoires confirme également les difficultés de l'Etat (voir notre article ci-contre du 12 juin 2015).
Derrière ce débat se cache en réalité une autre question qui, elle, reste taboue dans les deux camps, du moins publiquement : le monde de la culture doit-il ou non - et jusqu'à quel point - contribuer à l'effort de redressement des comptes du pays ? 

 

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