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Interview - Arnaud Montebourg : "Toutes nos politiques libres sont mortes"

Lors de son débat d'orientation budgétaire, le conseil général de Saône-et-Loire adoptait début février un "plan de sauvetage" du département et votait, sous l'intitulé "impôt local cinquième risque", une hausse des impôts devant être affectée à la dépendance. Pour Arnaud Montebourg, son président, ce plan résulte du fait que "l'Etat lui doit 52 millions d'euros au titre du financement de l'aide aux personnes âgées ou encore du RMI-RSA". Les 82 mesures d'économies qui le composent devraient permettre de combler une partie d'un déficit de recettes estimé à 25 millions d'euros. Elles viennent ainsi mettre en lumière les coupes budgétaires "impopulaires, mais incontournables" auxquelles sont aujourd'hui contraints les départements les plus en difficulté. Arnaud Montebourg, qui porte haut et fort la parole de ces départements, revient pour Localtis sur le contexte et les conséquences de ces difficultés.

 

Localtis - On entend actuellement beaucoup parler de la situation des départements les plus en difficulté, dont fait partie la Saône-et-Loire. Cette situation est en partie liée au fait qu'il s'agit d'un département âgé...

Arnaud Montebourg - Le président du Sénat lui-même, Gérard Larcher, reconnaît qu'une quinzaine de départements sont en quasi-dépôt de bilan. La Saône-et-Loire fait partie de cette catégorie de départements effectivement plus exposés que d'autres au vieillissement. Ceci est lié à l'exode rural, au fait que nos villes ne se sont pas suffisamment développées… et que nous n'avons pas réussi à attirer de nouvelles populations, contrairement par exemple à certains départements des façades maritimes. Ainsi, en dix ans, nous n'avons gagné que 5.000 nouveaux habitants. Résultat : nous avons un indice de vieillissement de 93, à savoir supérieur de près de 30 points à la moyenne nationale, qui est à 66.

Qu'en est-il, de ce fait, de vos dépenses en matière de dépendance et donc d'APA, l'allocation personnalisée à l'autonomie ?

Pour l'APA qui, rappelons-le, est une politique d'Etat, les départements se trouvent face aujourd'hui à la fois à la hausse du nombre d'allocataires et au retrait de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. On perd des millions chaque année ! En 2004, nous avions environ 9.000 allocataires et l'Etat finançait environ 50% des 36 millions d'euros de dépenses d'APA. Aujourd'hui, nous avons 19.000 allocataires et sur 56 millions de dépenses, l'Etat n'intervient plus qu'à hauteur de 31%. En 5 ans, mon département a accru sa contribution à l'APA de 20 millions, pendant que l'Etat ne l'a augmentée que de 2 millions. Tout cela dans un contexte où les entreprises ne sont même plus mises à contribution… Les départements les moins exposés au vieillissement peuvent peut-être imaginer des solutions, mais ce n'est pas le cas pour nous, qui sommes de surcroît un département pauvre. Il faut aussi rappeler que les excédents de la CNSA, que j'appelle la "caisse du lundi de Pentecôte travaillé", ont été purement et simplement détournés pour combler le déficit de l'assurance maladie. Il n'y a donc plus de confiance quant à l'usage des fonds de la CNSA.

Au niveau fiscal, quelle est la situation de votre département, notamment par rapport aux droits de mutation ?

Nos déserts démographiques nous font perdre énormément. Pour les DMTO, on est à -40% : ils ont diminué de 30 millions d'euros en deux ans…

Votre "plan de sauvetage" et d'économies adopté début février comprend des mesures assez drastiques…

Notre plan de sauvetage, c'est une baisse de plus de 30% de notre niveau d'investissement par rapport à l'an dernier et environ 16 millions d'euros d'économies côté fonctionnement, principalement sur les compétences facultatives du département. Tous les secteurs sont frappés par nos 82 mesures d'économies, par la suspension de nos dispositifs d'aides ou subventions. Y compris d'ailleurs le champ de la dépendance : nous avions déjà transformé nos pratiques professionnelles, mais nous devons maintenant supprimer nos aides extra-légales, limiter la hausse au titre de la tarification des établissements avec un taux directeur de 0,5%, renoncer à de nombreux investissements y compris sur les places d'Ehpad… Tout cela porte directement atteinte à la population. Notre budget est presque entièrement recentré sur nos dépenses obligatoires. C'est bien simple : toutes nos politiques libres sont mortes.

Dans ce contexte, j'imagine que pour vous, le débat sur la clause de compétence générale n'a même plus vraiment lieu d'être…

C'est clair. La clause, il n'y en a plus ! Nous sommes les victimes d'un étranglement financier, qui est la conséquence directe de choix politiques au niveau de l'Etat. L'article 72-2 de la Constitution est violé. Autrement dit, on est aujourd'hui en situation de violation du principe constitutionnel de libre administration des collectivités. Nous avons récemment gagné sur le financement de la protection de l'enfance, le Conseil d'Etat ayant reconnu la responsabilité de l'Etat en termes de compensation des charges. Nous allons maintenant le saisir sur l'APA, le RSA, la PCH…

Est-ce que cela ne risque pas d'être plus difficile, sachant que sur la protection de l'enfance, le recours reposait sur le fait que le fonds de financement n'avait tout simplement pas été créé ?

Non, je ne vois pas pourquoi. Il s'agit bien de l'inconstitutionnalité des transferts de charges non compensés. Et de la fin de la liberté des collectivités locales. Nous avons été chercher les milliers d'euros de dommages et intérêts pour la protection de l'enfance, nous irons chercher les millions d'euros qui nous sont dus au titre de nos autres compétences sociales. Nous devons obtenir réparation. Pratiquement tous les départements vont s'y mettre.

Est-ce que vous considérez toutefois que la mission sur "la consolidation des finances des départements fragilisés" confiée à Pierre Jamet par François Fillon suite au mémorandum que lui a remis l'ADF, ou bien encore le groupe de travail créé au sein du Comité des finances locales, représentent un signe positif ?

Oui, dans le sens où pour la toute première fois, il y a une reconnaissance de notre situation, une reconnaissance du fait que vingt départements sont en grave difficulté. Mais maintenant, on attend de vraies réponses, il ne s'agit plus de faire des rapports et des colloques… Faute de quoi nous irons au contentieux.

Quelles sont vos principales préconisations sur le financement de la dépendance ? Faites-vous partie de ceux qui pensent qu'il faut envisager une "renationalisation" des allocations individuelles de solidarité ?

Soit on estime en effet qu'il doit s'agir d'une politique de l'Etat… et l'Etat la finance. Moi, j'y suis favorable. Soit on considère que le fait qu'il s'agisse d'une politique locale est un bien pour la population, en termes de proximité… mais dans ce cas, il faut prévoir des centimes additionnels sur un impôt national.

A savoir la CSG ?

Oui, une part de CSG. Et on pourrait d'ailleurs le faire dans tous les domaines : sur le développement économique local et le développement durable avec une part additionnelle d'impôt sur les entreprises, sur les services publics avec une part d'impôt sur le revenu… C'est le système actuel de la fiscalité locale qu'il faut supprimer.

Savez-vous si cette idée, dont il est question depuis longtemps, de part supplémentaire de CSG, fait son chemin du côté du gouvernement ?

On le demandera à Pierre Jamet !

En quels termes décririez-vous l'"impôt local cinquième risque" que vous avez inclus dans votre plan de sauvetage ?

Comprenez bien que je n'avais pas spécialement envie de lever davantage d'impôt local, surtout parce que désormais il ne frappe que les ménages et les familles, après la fin de la taxe professionnelle, ce qui est une injustice de plus. Simplement, notre situation financière nous contraint à prévoir une hausse et à utiliser l'intégralité de cette hausse à la dépendance. Nous nous engageons à l'affecter à cela. D'ailleurs, si l'Etat nous rembourse, nous rebaisserons les impôts.

Vous avez effectivement prévu un dispositif important pour veiller au fléchage des recettes supplémentaires, avec pas moins de trois instances. Ce n'est pas un peu lourd ?

Non ce n'est pas lourd. Il s'agit de répondre à tout éventuel problème de confiance, compréhensible après des épisodes tels que l'effet vignette, celui du lundi de Pentecôte… Je veux pouvoir certifier au contribuable que ces recettes serviront bien à notre politique en faveur des personnes âgées et handicapées. D'où, effectivement, un triple contrôle – l'évaluation, le débat contradictoire, le contrôle politique.


Propos recueillis par Claire Mallet
 

 

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