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Enfance - L'Etat condamné à mettre en place le fonds de financement de la protection de l'enfance

La nouvelle est passée relativement inaperçue, au regard de l'annulation, par le Conseil constitutionnel, de la loi instaurant la taxe carbone ou de la censure partielle, par le Conseil d'Etat, du fichier Eloi (Eloignement). Dans un arrêt du 30 décembre, le Conseil d'Etat a annulé "la décision implicite du ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité refusant de proposer à la signature du Premier ministre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application de l'article 27 de la loi du 5 mars 2007 et la décision du Premier ministre du 23 juin 2009 refusant d'édicter ces mesures". En d'autres termes, cette double annulation contraint l'Etat à mettre en place le fonds de financement de la protection de l'enfance, prévu par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.
En l'espèce, la haute juridiction était saisie de deux recours introduits respectivement par le département de Saône-et-Loire et par celui de la Seine-Saint-Denis. Le Conseil d'Etat devrait examiner bientôt le recours déposé sur le même sujet par l'Association des départements de France (ADF), avec la même probable conclusion.
Le principe de ce fonds ne figurait pas dans le texte initial du projet de loi, mais le gouvernement l'a lui-même introduit sous la forme d'un amendement déposé lors de l'examen du texte par le Sénat (voir notre article ci-contre du 22 juin 2006). Depuis lors, le gouvernement n'a eu de cesse d'écarter la mise en oeuvre de cette disposition (voir nos articles ci-contre). Plus récemment, à l'issue de la réception par le chef de l'Etat des associations de défense de l'enfance lors du 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, le communiqué de l'Elysée écartait à nouveau la mise en place du fonds au motif de "problèmes juridiques" indéterminés. L'allusion du communiqué à des "formules", qui permettraient d'atteindre les objectifs du fonds sans le fonds, n'a manifestement pas convaincu le Conseil d'Etat.
Dans son arrêt, celui-ci constate que le refus implicite du ministre du Travail et des Relations sociales "est intervenu plus d'un an et demi après la publication de la loi du 5 mars 2007" et "qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'élaboration de ce décret se serait heurtée à des difficultés particulières de nature à justifier l'absence d'édiction de ce texte au terme d'un tel délai". Dès lors, le refus de prendre ce décret à l'issue de ce "délai raisonnable" est entaché d'illégalité, de même que la décision expresse de refus opposée par le Premier ministre, le 23 juin 2009, à la demande du département de Saône-et-Loire. Dans ces conditions, le Conseil d'Etat "enjoint au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application de l'article 27 de la loi du 5 mars 2007, [...], dans un délai de quatre mois à compter de la notification de celle-ci, sous astreinte de 500 euros par jour de retard". L'arrêt donne également droit à la demande d'indemnité formulée par la Saône-et-Loire en lui accordant 100.000 euros (pour 600.000 demandés). Cette sorte d'avance s'imputera sur le versement du fonds, une fois celui-ci mis en place.

Les départements encouragés à "ouvrir de nouveaux contentieux"

Seule consolation pour l'Etat, le Conseil s'en tient, dans son calcul de l'indemnité, au seul montant du fonds indiqué dans l'article 27 dans la loi de 2007, soit 30 millions d'euros à verser par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Il convient toutefois de préciser que ce montant vaut uniquement, "par exception", pour la seule année 2007. En régime de croisière, il appartient en effet, chaque année, à la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de fixer la contribution de la Cnaf au fonds et à la loi de finances de fixer celle de l'Etat. Le principe de cette dernière est posé à l'article 27, mais sans aucune indication sur les modalités de son calcul. En tout état de cause, la seule contribution de la Cnaf devrait s'élever au minimum à 90 millions d'euros sur la période 2007-2009, celle de l'Etat restant à déterminer. L'arrêt du Conseil d'Etat précise toutefois qu'un département "ne saurait revendiquer de droit à la compensation intégrale des charges résultant pour lui de l'application de cette loi, mais seulement celui de se voir verser une fraction des sommes dont dispose le fonds, dont l'objet est de compenser ces charges, réparties selon des critères nationaux tenant compte, notamment, de leur situation démographique et sociale".
Dans un communiqué du 31 décembre, Matignon prend acte du fait que le Conseil d'Etat "enjoint à l’Etat de publier dans un délai de quatre mois le décret créant le Fonds national de financement de la protection de l’enfance". Et rappelle que "sans attendre cet arrêt du Conseil d’Etat et compte tenu des difficultés auxquelles se heurte la mise en oeuvre de ce fonds en l’état actuel des textes, le président de la République a demandé au gouvernement (…) d'étudier avec les associations actives en matière de protection de l’enfance les formules permettant d'atteindre les objectifs du fonds". Les services du Premier ministre assurent enfin que "les conseils généraux seront naturellement associés à cette réforme qui sera conduite dans les délais prescrits par l’arrêt du Conseil d’Etat" et indiquent, dans une formule quelque peu elliptique, que "le gouvernement proposera les modifications législatives et réglementaires qui seraient, le cas échéant, nécessaires".
Le président de l’ADF, Claudy Lebreton, s'est naturellement réjoui d'une décision – "une première" - qui "fait enfin droit à la demande constante des collectivités territoriales d’une juste compensation des transferts de charges" opérés depuis 2004. Cette décision, prévient Claudy Lebreton ce 5 janvier dans un communiqué, "encourage les départements à ouvrir de nouveaux contentieux et mettre en demeure l’Etat d’honorer sa parole" pour l'ensemble des "transferts financiers permettant aux départements d’assumer leurs nouvelles compétences de solidarité et le versement des trois prestations sociales universelles que sont le RSA, l’APA et la PCH".
 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Référence : Conseil d'Etat, section du contentieux, arrêt numéro 325824 du 30 décembre 2009.

 

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