Finances locales - André Laignel : "Les collectivités sont proches de l'anorexie"
Confrontées l'an dernier à une nouvelle baisse drastique des dotations de l'Etat, les collectivités territoriales se sont fortement serrées la ceinture, confirme le premier rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales, qui dépend du Comité des finances locales. Son président, André Laignel, lance un avertissement : "La capacité d'adaptation des collectivités a probablement atteint ses limites."
Pour faire face à la réduction des dotations de l'Etat de 8,8 milliards d'euros sur la période 2014-2016 sans recourir massivement à l'emprunt, les collectivités territoriales ont donné un brutal coup de frein à leurs dépenses. Un réflexe dont elles ont très vite tiré des résultats très significatifs, comme le montre le premier rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publiques locales, instance placée en 2016 auprès du Comité des finances locales (CFL). L'an dernier, les dépenses des administrations publiques locales ont en effet diminué de 0,8% après avoir déjà baissé de 0,9% en 2015, pointe ce document que le CFL a examiné ce 5 septembre, aussitôt après la réélection de son président (voir ci-dessous).
L'investissement en recul de 3%
Cette évolution d'ensemble provient "essentiellement" du ralentissement des dépenses d'investissement du secteur public local, analyse le rapport de 58 pages complétées par 120 pages d'annexes. Après deux plongeons en 2014 et 2015 (- 7,7% et - 8,4%), l'investissement local a de nouveau reculé de 3% en 2016. Résultat : il s'est élevé à 40,3 milliards d'euros l'an dernier, soit 10 milliards d'euros de moins qu'en 2013. Dans le détail, les dépenses d'investissement des régions (9 milliards d'euros), qui étaient en progression constante depuis 2012, se sont contractées l'an dernier de 6,1%. Cette évolution a concerné toutes les régions : celles qui ont fusionné le 1er janvier 2016 et les autres. De leur côté, les départements n'ont pas enrayé la chute de leurs investissements: en 2016 ceux-ci ont encore connu un repli de 5,7%. A l'instar des régions, ils ont surtout réduit les subventions d'équipement qu'ils accordent le plus souvent aux communes et à leurs groupements. Par un "effet domino", l'investissement du bloc communal s'en est trouvé pénalisé, parvenant toutefois à quasiment "se stabiliser" (-0,6%).
En plus de mettre en sommeil leurs investissements, les collectivités ont fait la chasse aux économies. Une opération payante. Les dépenses de fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales ont ainsi reculé de 0,2% l'an dernier, alors qu'elles avaient encore augmenté d'environ 1% en 2015. Résultat des efforts draconiens des régions, leurs dépenses de fonctionnement ont reculé de 0,9%, tandis que les départements sont parvenus à une stabilisation (+0,1%). S'agissant du bloc communal, l'évolution des frais de fonctionnement a été très contrastée entre les communes (-0,2%) et l'intercommunalité (+3,6%).
Frais de personnel : +0,9%
La limitation de la croissance des frais de personnel à 0,9%, un résultat exceptionnel, a été pour beaucoup dans la maîtrise des dépenses de fonctionnement. Sans la mise en œuvre des normes décidées par le gouvernement, telles que la revalorisation du point d'indice (+ 0,6%) intervenue le 1er juillet 2016, les dépenses consacrées aux personnels territoriaux auraient même reculé, a souligné le président du CFL lors d'une conférence de presse. Les communes ne sont pas passées loin de cette situation. Leurs dépenses de personnels ont été "stables" l'an dernier, ce qui les distingue clairement des groupements à fiscalité propre, dont les frais de personnel ont progressé de 6,8% en raison de la poursuite des transferts de compétences en provenance des communes et des syndicats de communes.
La maîtrise des dépenses de fonctionnement a été salutaire pour des collectivités locales qui ont dû se contenter d'une progression l'an dernier de leurs recettes de fonctionnement de 0,5% en moyenne (contre +1,3% en 2015). Mais le secteur communal a connu une situation beaucoup moins favorable que les collectivités locales dans leur ensemble. Les recettes de fonctionnement des communes et de leurs groupements ont en effet reculé de 0,5%. Quasi stables, les recettes de taxe d'habitation n'ont pas permis aux communes d'amortir comme en 2015 la baisse des dotations de l'Etat. Les régions ont connu une baisse moins prononcée (- 0,2%) de leurs recettes de fonctionnement. Enfin, contrairement aux communes, les départements ont eu recours au levier fiscal : 36 d'entre eux ont augmenté leurs taux de taxe sur le foncier bâti. Conséquence, les produits de fiscalité directe perçus par les départements ont progressé de 4,8% l'an dernier. La croissance de 8,2% du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçu par les départements a aussi contribué à revigorer les finances départementales.
"Une année en trompe l'œil"
Signe d'une meilleure santé des départements, leur épargne nette (celle qui sert au financement des investissements) s'est redressée de 32,4% l'an dernier, alors qu'elle avait diminué de 15% depuis 2011. Les régions sont aussi en voie de rémission: fortement dégradée depuis 2011 (-28,5%), leur épargne nette progresse de près de 15% en 2016. En revanche, les communes ne voient pas d'amélioration de leur capacité d'autofinancement : celle-ci recule en 2016 de 4,6%, dans un contexte de forte fragilisation (-35,6% depuis 2011).
Se saisissant de ces résultats, le président du CFL a conclu que 2016 a été "une année contrastée et en trompe l'œil" sur le plan des finances locales. Son diagnostic est sévère : soumises à un régime qui a trop longtemps duré, "les collectivités territoriales sont proches de l'anorexie". "Toute nouvelle baisse des ressources entrainerait une contraction inévitable des investissements et un affaiblissement accéléré des services publics locaux", prévient-il. Alors que les collectivités territoriales ont permis à la France – grâce à une capacité de financement de 4,2 milliards d'euros – de réduire son déficit public en 2016 de 2,8 milliards d'euros, "il conviendrait" que les administrations centrales – dont les dépenses ont augmenté de 2,1 milliards d'euros l'an dernier – "prennent en charge les nécessaires économies qui doivent être faites à l'avenir", a estimé André Laignel. Autant dire que l'élu bataillera contre la décision du gouvernement de mettre à la charge des collectivités territoriales des économies de l'ordre de 13 milliards d'euros sur leurs dépenses de fonctionnement d'ici 2022. Le CFL devra "se saisir" du sujet au cours des prochains mois, a-t-il juste précisé.
André Laignel réélu président du CFL
André Laignel, maire socialiste d'Issoudun, a été réélu ce 5 septembre à l'unanimité à la présidence du comité des finances locales (CFL). Il avait été élu pour la première fois en 2012 à la tête de l'instance et avait été réélu en 2014.
Le CFL a désigné au poste de premier vice-président le maire de Cannes, David Lisnard (LR). Joël Giraud, député des Hautes-Alpes et rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, est devenu le deuxième vice-président de l'instance. André Laignel avait "proposé" au CFL d'élire les deux élus à ces fonctions.
Le CFL a désigné Jean-René Lecerf, président du conseil départemental du Nord, à la tête de la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC). Formation restreinte du Comité des finances locales (CFL), la commission rend un avis sur l'évaluation et le calcul des compensations financières allouées en contrepartie des transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Beaucoup des 32 membres titulaires qui siègent au CFL depuis le renouvellement du mois de juin dernier sont nouveaux. Ce résultat est lié notamment à l'entrée en vigueur de la règle du non-cumul entre une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire et à l'obligation pour le CFL de s'ouvrir à la parité. Ces élus ne sont toutefois pas tous inconnus, y compris du grand public. La maire de Paris, Anne Hidalgo, siège ainsi désormais au sein de l'organisme consulté par le gouvernement sur les finances locales. Elle rejoint d'autres élus plus anciens, considérés comme des experts de la matière, comme Philippe Laurent, maire de Sceaux, ou Jean-Claude Boulard, maire et président de la communauté urbaine du Mans.