Personnes âgées - Aide sociale à l'hébergement : faut-il supprimer l'obligation alimentaire ?
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) rend public son rapport consacré aux "Modalités de mise en œuvre de l'aide sociale à l'hébergement" en établissement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Commandé par Roselyne Bachelot-Narquin en mars dernier, ce rapport devrait intéresser tout particulièrement les conseils généraux, puisque ces derniers assument l'essentiel de cette forme d'aide sociale au profit des personnes dont les ressources ne leur permettent pas d'acquitter le tarif d'hébergement en établissement. L'état des lieux établi par l'Igas s'appuie sur une mission de terrain dans cinq départements (Cantal, Creuse, Hauts-de-Seine, Seine-Maritime et Vaucluse), ainsi que sur l'exploitation d'un questionnaire détaillé adressé à tous les conseils généraux. En dépit de quelques spécificités locales, le constat qui se dégage semble largement partagé sur l'ensemble du territoire. Et il est loin d'être positif.
Une procédure complexe, coûteuse et injuste
Tout d'abord, l'Igas constate une "relative stabilité" - en volume - du nombre de bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement (ASH), en dépit de la forte progression du nombre de personnes âgées et de celle des tarifs d'hébergement. Ceci pourrait s'expliquer à la fois par le développement rapide des dispositifs de maintien à domicile (dont la création de l'allocation personnalisée d'autonomie constitue l'exemple le plus emblématique), mais aussi par l'amélioration globale des revenus des retraités. L'aide sociale à l'hébergement n'a toutefois rien de marginale, puisque l'ASH nette (déduction faite d'autres aides comme les aides au logement) représentait, en 2007, 850 millions d'euros pour 87.000 bénéficiaires, soit 19% des résidents en Ehpad.
Au regard de ces évolutions, les règles relatives à la gestion de l'ASH apparaissent pour le moins complexes, du fait de la mise en œuvre de l'obligation alimentaire et de la récupération sur succession. La première pèse lourdement sur l'instruction des demandes d'ASH. L'Igas constate en effet que "la recherche des informations sur les obligés alimentaires et [le] circuit des dossiers de demandes entre établissements, centres communaux d'action sociale et conseils généraux constitue un dernier élément de dissuasion, en particulier pour les établissements d'hébergement". S'il n'est pas possible de reconstituer le coût de ces démarches du fait de la multiplicité des intervenants (départements, CCAS, établissements, services payeurs...), celui-ci est "vraisemblablement élevé au regard des sommes concernées et du nombre de bénéficiaires". Autre facteur pénalisant pointé par le rapport : la complexité des règles nationales ou locales de l'ASH, qui "se combine à une diversité des pratiques départementales portant notamment sur le champ et les barèmes de l'obligation alimentaire, dont la publicité est aujourd'hui limitée". Conséquence : "cette insécurité juridique renforce le caractère dissuasif de ces deux composantes de cette aide sociale" (autrement dit l'obligation alimentaire et la récupération sur succession). Enfin, il apparaît que la mise en œuvre de l'obligation alimentaire donne une sorte de prime aux "mauvais payeurs" - pour lesquels des mesures de contrainte sont rarement prononcées -, au détriment des autres obligés (par exemple dans le cas d'une fratrie). Ceci s'explique notamment par le fait que "l'obligation alimentaire ne semble plus comprise par les demandeurs et leurs familles. Restant en vigueur pour la seule ASH parmi les prestations d'aide sociale, sa mise en œuvre suscite des conflits et des contentieux dont l'impact sur des personnes vulnérables est, selon les interlocuteurs de la mission, désastreux".
Une mesure radicale, mais pas révolutionnaire
Face à ce constat, l'Igas propose deux options : soit maintenir l'obligation alimentaire pour l'ASH mais avec "des aménagements substantiels" (auxquels les auteurs ne semblent guère croire eux-mêmes), soit la supprimer, comme cela est déjà le cas pour toutes les autres formes d'aide sociale. Radicale, la mesure n'est pas pour autant révolutionnaire : elle constitue en effet l'une des 55 propositions de l'Association des départements de France (ADF), formulées dans le cadre de sa récente contribution au débat national sur la dépendance (voir notre article ci-contre du 20 mai 2011). L'Igas rappelle toutefois les conséquences d'une telle mesure. Côté positif, elle mettrait un terme aux dysfonctionnements constatés (diversité des barèmes, délais et complexité d'instruction, contentieux, coût du recouvrement). Mais, côté ombre, elle "aurait des conséquences financières par la disparition d'une recette d'abord, par l'augmentation du nombre de demandeurs surtout". La mission indique toutefois que cet impact financier est difficile à évaluer, d'autant plus que des effets de substitution sont possibles avec le maintien à domicile. Par ailleurs, si une loi venait à être votée pour supprimer la mise en jeu de l'obligation alimentaire, les départements pourraient difficilement réclamer à l'Etat la compensation de la mesure, alors qu'ils seraient pour partie à son origine.
Sur la récupération sur succession, l'Igas propose un maintien, mais avec une modernisation. Celle-ci passerait notamment par l'instauration d'un plancher de récupération, qui éviterait d'engager des démarches lourdes pour de faibles montants escomptés. Le rapport propose de fixer ce plancher à 3.000 euros. De même, les auteurs préconisent "d'adapter les modalités de récupération de l'ASH pour la rendre plus effective". Ceci vise en particulier les libéralités et l'assurance vie, ce qui rejoint une autre proposition de l'ADF, qui souhaite une prise en compte des contrats d'assurance vie dans les recours sur succession. Enfin, l'Igas préconise que les départements "puissent au minimum engager des échanges d'informations avec les services fiscaux et les autres organismes engageant de telles opérations", comme les caisses de retraite. De même, il pourrait être envisagé de déléguer aux caisses de retraite - "qui les pratiquent davantage" - la gestion de ces procédures.